Désobéir est un acte protéiforme et qui se renouvelle dans l’histoire, qui plus est à vitesse Grand V ces dernières années, comme l’ont démontré les mouvements des gilets jaunes et de justice climatique. Sylvie Ollitrault, sociologue et directrice de recherche en sciences politiques à l’École des hautes études en santé publique (EHESP), co-autrice de La Désobéissance civile (éditions Presses de Sciences Po), galope derrière ces citoyens qui réinventent les façons de dire non à l’État, et en partage les contours avec Les Champs d’ici.
Votre ouvrage La Désobéissance civile, dont c’est la troisième édition avec votre co-auteur Graeme Hayes, retrace l’histoire de la désobéissance civile, comme mode protestataire des minorités. Il réévalue aussi les formes de mise en œuvre actuelles, explore les rapports ambigus avec la violence, le droit et les médias. Pourquoi était-ce nécessaire qu’il y ait une réédition ? Les formes de résistance ont-elles changé ?
Sylvie Ollitrault : En effet, il y a eu des nouvelles modalités de désobéissance civile qui ont émergé depuis deux à trois ans. Autant sur les questions de climat que, je dirais, sur un revivalisme des luttes rurales, en tout cas dans l’espace rural, autour de la question de l’eau et plus particulièrement avec l’affaire Sainte-Soline.
Le livre avait presque dix ans, mais les luttes sociales ont évolué, se sont transformées, et toute une nouvelle génération s’est aussi emparée de cette question de désobéissance civile. On n’est plus du tout sur le même modèle. Il y a eu, bien sûr, de la considération paysanne, avec la lutte des faucheurs volontaires. Et puis là, il y a un renouveau. Ce qui ne veut pas dire que la grand-mère de la désobéissance civile n’existe plus. Elle est toujours là. Mais ces générations s’interrogent encore plus.
Désormais le pouvoir, les États en général, évoquent ce glissement sémantique et parlent d’écoterrorisme au sujet des mobilisations autour du vivant. Les mouvements se sont-ils vraiment radicalisés à la hauteur de cette indignation ?
Les acteurs de résistance changent au fil des décennies et des sujets qu’ils affrontent. On peut dire par exemple que même le pouvoir des ONG, des lanceurs d’alerte, est en baisse aujourd’hui. Mais, en tous les cas, ils deviennent des éclaireurs de communication. On a l’impression que les actions radicales sont du côté des citoyens. En fait, la société s’est recomposée par rapport à cette vigilance des luttes. Et effectivement, elle s’est ancrée territorialement.
On l’avait constaté dans les années 70, notamment sur le plateau du Larzac. Et il y a ainsi des points communs entre le Larzac et la ZAD de Notre-Dame-des-Landes. Évidemment, lorsqu’il y a différents groupes sociaux qui se mettent ensemble, c’est tout de suite différent, déjà d’un point de vue numérique et puis aussi d’un point de vue symbolique. Ce qui fait d’eux une force qui fragilise l’autorité institutionnelle.
Pourquoi en est-on arrivé là selon vous ?
Il y a à la fois la secousse institutionnelle, mais aussi des verrous institutionnels. En ce moment, je pense que si vous voulez parler de la radicalité, y compris du milieu rural, c’est parce que tous les espaces de concertation, les espaces même légaux, n’ont pas apporté de réponse à un questionnement sociétal et de société.
C’est-à-dire qu’on ne peut pas comprendre Sainte-Soline si on ne comprend pas qu’il y a eu Notre-Dame-des-Landes, qu’il y a eu des process de concertations et qu’il n’y a pas eu d’effet sur la décision politique et institutionnelle, qu’il peut y avoir même parfois des décisions soulignant bien les limites des projets. La contestation arrive donc à ce moment-là.
C’est donc les limites d’un modèle démocratique qui n’entend plus ses citoyens ?
Il faut inclure les questions sur deux points de vigilance ou d’interrogation qui traversent toutes nos sociétés en ce moment : la question démocratique de manière assez générale, c’est-à-dire un questionnement sur le vote et son efficacité, une question qui est assez transgénérationnelle. On se disait souvent que c’était les jeunes qui n’allaient plus voter. Mais en réalité, c’est faux. L’abstention se généralise et le vote ne produit plus d’effet. Alors il y a un questionnement sur le modèle démocratique et institutionnel.
Et à cela s’ajoutent les questions de réchauffement climatique. C’est-à-dire qu’on sent qu’il y a une urgence à prendre des décisions. On en voit déjà les effets sur les territoires.
Alors comment envisagez-vous l’avenir proche et comment les citoyens vont-ils s’emparer de ces problématiques ?
Depuis les années 70, c’est toujours le pouvoir d’achat qui a fait se bouger les citoyens dans la rue. Donc en fait, c’est un détonateur qui va encore jouer sur les mobilisations. Et puis, ça a déjà été le cas pour les Gilets jaunes, et on voit historiquement que ça a laissé des traces. Aujourd’hui, les mouvements citoyens ne souhaitent pas forcément être reconnus, avoir une reconnaissance sociale, comme Les Soulèvements de la terre qui ne veulent pas être sur un mode triangulaire avec des têtes de pont.
Pour le mouvement écologiste qui s’est ouvert et rêve de justice environnementale et de justice sociale, il y aura un sujet, de toute façon, sur l’alimentation. Et c’est encore par la question de la santé, que les lignes vont bouger.
On entre dans un cycle énorme par rapport à l’alimentation et par rapport aux produits et aux intrants, la question des pesticides étant en tête des crispations sanitaires des citoyens. En tous les cas, il y a quelque chose de plus lourd qui s’est installé quand même concernant la vigilance des citoyens. Ils s’organisent et forment leurs propres réseaux.
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Et l’État opte pour cette posture plus contraignante à leur égard, en arguant que l’ordre est de mise…
On a l’impression que l’étau se resserre, en fait, à cet égard. Je pense qu’il y aura de la surveillance plus forte, de la répression. Pas forcément policière. Il y a déjà la pression sur les budgets du milieu associatif. Parce qu’ils vont justement faire les coupures là où ils n’ont pas envie d’être embêtés.
Mais le milieu associatif a intérêt – et les syndicats aussi d’ailleurs – à trouver une réflexion sur comment faire quand on est dans des situations de contrainte, voire même de surveillance, et de répression. Et donc à s’organiser sur les modes d’action non violente ou au contraire. Donc ça veut dire reprendre aussi les bonnes et les anciennes recettes, justement, de modalités de protection des citoyens. En tous les cas, pour se réapproprier la société telle qu’elle existe. Enfin, telle qu’elle devrait être.
Dans l’histoire, vous dites que les moments de fragilité démocratique sont aussi une chance et c’est peut-être ce que nous vivons en ce moment ?
L’optimisme de l’affaire, quand il y a des moments encore bien pires, mais dans le même temps suscitant des élans de résistance, c’est ce moment-là aussi où les mouvements sociaux se renouvellent, où il y a des nouvelles modalités qui se créent, où on se sent citoyen.
Peut-être que c’est un moment, quand on est citoyen et qu’on commence à être un peu malmené, où l’on peut réinvestir ce rôle et redevenir créatif à cet égard. Donc quand il y a des dangers ou des préoccupations, ça peut aussi recréer du lien social, du lien de proximité et permettre de trouver de nouvelles modalités d’action, de repenser l’avenir différemment.
Photo bannière : Sylvie Ollitrault, sociologue et directrice de recherche en sciences politiques à l’École des hautes études en santé publique (EHESP), co-autrice de La Désobéissance civile (éditions Presses de Sciences Po). Crédit photo : EHESP
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