Depuis 2020, la démocratie participative a pris racine à Plessé (Loire-Atlantique). Forte des propositions d’un comité de citoyens, la mairie a notamment mis en place une politique agricole communale pour aider les agriculteurs à s’installer. Dans une société fracturée, comment cette commune repense-t-elle la vie politique locale ? Parvient-elle à embarquer tous ses habitants hors des sentiers battus ?
15 décembre 2024, jour de marché. « Les députés, qu’ils soient français ou européens, et les sénateurs, sont totalement hors-sol. Les élus municipaux sont les seuls à pouvoir répondre aux demandes et aux souffrances des citoyens. Pourtant, on retire de plus en plus aux mairies leurs moyens d’agir. Il faut défendre l’échelon communal ! », revendique, dans une allée, celui qui veut rester anonyme et se présente comme « un gars » de Plessé.
Osons Plessé
Dans cette commune du nord de la Loire-Atlantique, depuis 2020 et l’arrivée de l’équipe municipale – gauche écolo – emmenée par la maire Aurélie Mézière, une mairie fondée sur la démocratie participative et l’implication des citoyens a vu le jour.
Après l’élection de la liste « Osons Plessé ! », a suivi la mise en place d’une Politique agricole communale (PAC) pour soutenir l’installation de paysans. Ou encore, le développement d’un hameau participatif autour de 12 foyers d’habitats réversibles. Aussi, des comités citoyens ont remplacé les traditionnelles commissions municipales.
Le « gars », habitant Plessé depuis une vingtaine d’années et croisé au marché, en est. « Je suis dans le comité agriculture », précise-t-il. Ainsi, il a la fonction de VIP, pour Volontaires investis à Plessé. Ces non-élus et élus construisent ensemble la vie politique locale, qui enveloppe une population de 5 400 habitants.
Dialogue citoyen
« Il y a huit comités permanents, nous apprend Thierry Lohr, adjoint et président du comité Cadre de vie (urbanisme) et Transition territoriale. Pour les créer, on s’est demandé : de quoi un être humain a-t-il besoin pour bien vivre ? Il a besoin de se nourrir, de se soigner, de se loger, de s’éduquer… On a identifié huit besoins fondamentaux et on les a répartis entre les huit adjoints. »
Pour rejoindre un de ces comités, il suffit de demander, d’avoir au moins 14 ans et de s’engager pour un an. « Tout est fait en transparence. On a cette volonté de donner la parole aux gens. Cela suscite de l’intérêt. On l’a vu lors des réunions publiques pour la réfection de la voirie du plus vieux lotissement de Plessé, pour ne citer que cet exemple »,embraye l’élu.
Les douze coups de midi retentissent dans le bourg de Plessé. Même son de cloche chez Laurent Thibault, 53 ans, lui aussi membre du comité agriculture, alimentation, biodiversité et environnement. « La démocratie, ce n’est pas que le droit de vote. Grâce au mode de gouvernance de Plessé, le dialogue citoyen est ouvert. La commune arrive à tirer son épingle du jeu dans un contexte où la démocratie est en danger », appuie le VIP.
Le goût de la politique chez certains
Avant 2020, Laurent Thibault n’aurait pas imaginé faire de la politique. « J’ai pris pied dans ce système qui m’était inconnu. » Et il y a pris goût. Échanger, se renseigner, écouter, débattre et rendre un avis : les comités sont consultatifs. Les membres y bâtissent un projet, selon la demande citoyenne ou municipale, et le soumettent ensuite aux votes des élus. « 100 % des dossiers traités en comité arrivent en conseil municipal et, jusqu’à présent, 100 % des propositions qui nous ont été transmises ont été validées », se réjouit Thierry Lohr.
« Les comités sont un espace où on monte en compétence sur un dossier. Ça a été mon cas, quand on a intégré des mesures compensatoires sur la réduction des haies et l’abattage des arbres », illustre Laurent Thibault, dont le métier est chargé des travaux rivière à la Fédération de Loire-Atlantique pour la pêche et la protection du milieu aquatique.
Le silence de la majorité
Le Plesséen est convaincu. Toutefois, il constate que les VIP « ne sont pas légion » dans la commune et que « dans les comités, on croise souvent les mêmes têtes ». « J’ai clairement le sentiment qu’il y a un abandon de la politique au sens de l’implication citoyenne. Les gens en ont marre, surtout en ce moment, de la politique politicienne, et ils se désintéressent aussi de leurs affaires locales. C’est la majorité silencieuse. »
Retour sur le marché. Amélie et Julien, deux trentenaires accompagnés de leur bouvier bernois, ont fini leurs achats. Eux ne s’impliquent pas dans la politique rurale : « On reçoit la gazette communale, qui nous informe de ce qu’il se passe à Plessé. Ça nous suffit. On se laisse porter car, on n’a aucune inquiétude. Les actions menées sont en cohérence avec nos convictions écologiques : valoriser les producteurs locaux et les fermes. »
C’est justement l’un des projets politiques forts de la municipalité. Dès son arrivée, la mairie lance une Politique agricole et alimentaire communale pour répondre à la crise démographique agricole et relever le défi du renouvellement des générations, dans une France où la moitié des agriculteurs partira à la retraite dans moins de dix ans.
Préserver un paysage et ses villages
Construite en comité, la PAC est pensée pour aider les jeunes à s’installer, préserver le foncier agricole et maintenir une agriculture diversifiée sur le territoire. En somme, c’est un outil imaginé pour lutter contre l’agrandissement des exploitations et l’accaparement des terres par l’agriculture intensive.
« En favorisant l’installation et la transmission, on affiche notre soutien à l’agriculture. Des café-rencontres sont organisés entre jeunes paysans, cédants et porteurs de projet, présente Rémi Beslé, adjoint et président du comité agriculture, lui-même éleveur dans la commune. On défend aussi la souveraineté alimentaire et on développe des débouchés économiques : on a passé la cantine en régie directe avec un approvisionnement en grande partie local. Il y a aussi un magasin de producteurs du coin en création. »
Pas plus tard qu’en novembre, Plessé a été triplement récompensée pour sa PAC. Entre autres, la commune a décroché le Prix Territoria d’argent 2024 de l’Observatoire Territoria de l’innovation publique, dans la catégorie démocratie implicative, à l’Assemblée nationale. Mais le plus beau palmarès, pour Rémi Beslé, reste ces chiffres : « Sur les 10 400 hectares de la commune, 6 000 sont des terres agricoles. On compte près de 100 exploitations. Entre 2021 et 2024, il y a eu 26 départs en retraite et 26 nouvelles installations. »
Préempter pour installer
À trois reprises, la mairie est allée plus loin dans ses convictions, en exerçant son droit de préemption sur des terres agricoles en vente pour permettre l’installation de nouveaux exploitants. C’est grâce à cela que Clémence Fresneau, paysanne de 28 ans, a pu finaliser son installation. « Ici, il y a une dynamique paysanne et solidaire, une belle cohésion », médite-t-elle, plantée dans son champ, sous la bruine. Autour d’elle, ses brebis et agneaux.
« Depuis longtemps, la commune attire beaucoup de monde avec la Fête de la vache nantaise. C’est une terre d’élevage, encore plus accueillante et engageante pour les paysans aujourd’hui, avec la PAC. On se sent valorisé et écouté. »
Clémence Fresneau a repris la ferme de dix hectares de son père, installé à Plessé depuis 2007. Pour être viable économiquement et augmenter son cheptel, il lui manquait quelques lopins de terre. « On m’a doublée plusieurs fois sur des terrains avant que je m’installe. L’opportunité s’est enfin présentée quand la mairie a préempté des terres voisines. Au départ, c’était pour freiner la flambée des prix des parcelles, mais ça n’a pas fonctionné. On s’est tout de même organisés en groupe pour les reprendre. J’ai pu obtenir 18 hectares », raconte la paysanne.
Hors compétence ?
Ce groupe, elle l’a monté avec ses voisins de la ferme de Lancé. Cette exploitation appartient à Rémi Beslé, l’adjoint, et Rachel Perez, son associée. Le duo élève des vaches laitières de race Normande. « Nous, on a récupéré huit hectares pour sécuriser notre système extensif, précise l’agricultrice de 32 ans, syndiquée à la Confédération paysanne. C’est un agrandissement naturel raisonné et raisonnable, pour consolider notre agriculture durable. Ça n’a rien à voir avec de l’accaparement. Nous avons pu avoir ses terres parce que j’étais jeune agricultrice et que je rejoignais Rémi en Gaec. »
Rachel Perez précise car, certains agriculteurs de la commune n’ont pas vu d’un bon œil « que l’on se mêle de leurs affaires ». « Certains se demandent si c’est le rôle de la commune de préempter pour installer ? Moi, je réponds oui ! Les établissements qui sont censés le faire, la Chambre d’agriculture et la Safer [Société d’aménagement foncier et d’établissement rural], ne jouent pas le jeu. Il n’y a qu’à regarder l’actualité et leur refus d’installer quatre jeunes en bio à Denée [Maine-et-Loire] face à des agriculteurs qui s’agrandissent », s’agace l’éleveuse.
Pour elle, ces institutions dirigées par le syndicat agricole majoritaire, la FNSEA, veulent garder la main mise sur les terrains : « C’est pourquoi ils refusent de travailler avec les collectivités. Ils ont des intérêts privés alors que la gestion du foncier devrait être un service public. On a appris, après coup, que des jeunes étaient aussi intéressés par les terres que nous avons reprises : jamais la Safer ne nous l’a dit. Il n’y a aucun réseau de solidarité. À l’échelle locale, on peut créer ce réseau. Les mairies devraient avoir plus de clés pour agir sur le foncier. »
L’urgence d’agir
Mais le foncier reste le nerf de la guerre et génère beaucoup de frictions. En septembre 2023, la veille des Journées du patrimoine agricole, la ferme de Léa Piron-Vicet et Théo Ameslant, qui accueillait l’événement, a été taguée. « On venait d’arriver. Sur un mur, il était inscrit “zadistes”, sur une porte “merci qui, merci Rémi”. Ça ne s’adressait pas à nous, mais à la mairie », se souvient Léa Piron-Vicet, en agitant doucement le sachet de thé dans sa tasse.
« C’est vrai que nous, on se sent accompagnés et on est convaincus par le système politique communal, poursuit-elle. Mais, dans un territoire rural qui a son histoire, je pense qu’on ne peut pas embarquer tout le monde. En réinventant les règles du jeu démocratique, on ne s’attire pas que des amis. » Comme dirait Laurent Thibault, le VIP, les « fractures de la société » sont visibles partout. « C’est difficile d’avoir un quorum, il faut toujours le questionner et l’entretenir. »
Si la mairie expérimente la démocratie participative, elle a toutefois une ligne politique à tenir, « basée sur des critères de résilience du territoire », complète Thierry Lohr. L’élu n’oublie pas les résultats des dernières législatives : le Rassemblement national est arrivé en deuxième position dans sa commune, avec 36 % des voix.
Malgré l’opposition, Plessé résiste et percute le projet politique et agricole productiviste dominant. « Certains de nos comités travaillent sur des domaines qui ne relèvent pas des compétences communales, mais on ne peut pas se contenter d’attendre et de suivre les règles d’urbanisme traditionnelles et la jurisprudence. Il est urgent de changer et d’avancer. À travers l’agriculture, on peut relever d’importants défis climatiques, alimentaires et sanitaires. On doit préserver notre bocage », tranche l’adjoint.
Photo bannière : Sur 10 400 hectares à Plessé, 6 000 sont des terres agricoles. Crédit photo : Pauline Roussel
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