Brigitte et Patrick Baronnet, 76 et 78 ans, quittent Paris il y a près de cinquante ans pour s’installer à Moisdon-la-Rivière (Loire-Atlantique). Ici, ils créent une maison autonome et solidaire, pour mener une vie sobre : ils se coupent d’EDF, du réseau d’eau courante et puisent dans leur jardin leur alimentation. Rencontre.
Dans la campagne de Moisdon-la-Rivière, celle qui s’étend vers Louisfert, le bocage vibre d’une histoire singulière. Celle de Brigitte et Patrick Baronnet. Quarante-huit années ont passé depuis leur installation dans cette bourgade du nord de la Loire-Atlantique, près de Châteaubriant.
Ici, au fil des années, guidés par leurs besoins et leur projet de vie profondément politique, ils ont bâti la première maison autonome de France.
Autonomie incarnée
En ce matin d’automne, le ciel froid et brumeux enveloppe la maison aux volets rose vif des Baronnet. Un foyer englouti sous la végétation. À la façade bigarrée, bricolée avec des pièces rapportées et des matériaux récupérés ici et là, mais toujours locaux : pierre, bois, paille, ardoise, chaux.
Pour pénétrer dans cet habitat insolite, il faut traverser une serre. À l’intérieur, il fait bon. Le bois brûle dans un poêle en faïence, et l’eau bout sur une vieille gazinière. Au centre de cette modeste cuisine, Brigitte sert le café sur une table nappée aux couleurs et motifs de Noël. Dans une société dépendante des énergies fossiles, difficile d’imaginer qu’ici, tous les besoins essentiels à une vie confortable sont comblés, quand on sait que Brigitte et Patrick ne payent ni facture d’eau, ni d’électricité.
Ils sont les pionniers de la vie autonome, ou autosuffisante. En témoigne leur environnement. Dehors, une éolienne parmi les arbres et deux photopiles [1] voisines d’une petite mare alimentent les deux septuagénaires en électricité. Au-dessus de leurs têtes, la toiture isolée en chanvre abrite des gouttières pour récupérer l’eau de pluie, filtrée par la suite, et un chauffe-eau solaire fait main. Aussi, ils se chauffent uniquement au bois, utilisent des toilettes sèches et compostent.
Aucune ressource naturelle n’est gaspillée. Tout est optimisé, pour répondre aux besoins, rien que les besoins. Patrick s’enorgueillit : « Dans cette maison, où a vécu le neveu de Bernard Lambert [une figure des luttes paysannes] avant que nous la transformions, nous portons une proposition alternative hautement politique, plus que les politiques eux-mêmes. Et cette proposition, nous l’incarnons tous les jours. Nous consommons huit fois moins que la moyenne des Français en électricité. »
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Adieu la ville
Leur maison en a fait couler, de l’encre. Si « 100 000 personnes » l’ont visitée, des centaines de journalistes y sont également passés. Patrick, lui-même, est devenu écrivain avec son bouquin De la maison autonome à l’économie solidaire. « Quand on parle de maison autonome, ce qui intrigue, c’est la technique, notre consommation, notre mode de vie actuel », souffle Patrick. Et Brigitte de compléter, l’œil doux et brillant : « Pour nous, ce qui compte, ce sont les idées, la philosophie, la spiritualité et le projet politique qui accompagnent cette vie. »
Dans la cuisine, flotte une ambiance de café-philo. Attablés, les mains enlaçant leurs tasses fumantes, Brigitte et Patrick s’échangent des regards complices. Leurs sourires, et même leurs rires, creusent de fines pattes d’oie aux coins de leurs yeux. Ils sont à la fois posés, mais aussi résolument engagés. Ces deux-là, convaincus, sont alignés avec leurs valeurs écologiques, habités par une vie frugale, « heureuse et saine ».
Cette vie commence en 1976, quand l’ancien professeur de gymnastique – Patrick – et l’harpiste – Brigitte – s’installent à Moisdon. Ils ont décidé de quitter le béton. Avant, ils vivaient à Clamart, en banlieue parisienne. « On sort des Trente Glorieuses, le monde est en pleine croissance. C’est l’époque moderne, portée par une révolution agricole où l’histoire capitaliste s’écrit. Avec la modernisation de l’agriculture, l’accaparement des terres, les gens rejoignent les grandes villes. Et le désert rural se dessine », regrette Patrick, le soixante-huitard.
Eux, vont à contre-courant de cet exode rural. « Pour avoir une bonne qualité de vie, il faut un jardin, note Brigitte. Nous en avions un à Paris, mais avec l’urbanisation et l’entassement des populations dans les lotissements, nous savions que ça n’allait pas durer. » Dans le même temps, les jeunes mariés, à l’approche de la trentaine, se posent des questions sur « le sens de leur vie ».
Simplicité volontaire
Ils veulent vivre autrement, réduire leur conso loin du « métro-boulot-dodo ». Afin de réduire leur impact sur terre. « Vivre léger », dirait Brigitte. Pour ce faire, il faut d’abord diminuer leurs besoins. « Nos modes de vie occidentaux et capitalistes sont une insulte à l’humanité. On perd notre vie à la gagner. »
Ils trouvent leur maison, une petite baraque entourée de ruines, grâce à des amis agriculteurs. « On était intégrés dans le réseau des paysans travailleurs qui contestait la modernisation de l’agriculture. On a milité à leurs côtés contre l’implantation de la centrale nucléaire au Pellerin, près de Nantes, sur des terres agricoles », se souvient Patrick. Ceci explique aussi pourquoi, depuis quarante ans, ils ont coupé EDF et ont pris leur indépendance vis-à-vis du nucléaire.
Les Baronnet commencent les rénovations de leur maison, selon leurs convictions. Au départ, ils choquent. « On nous prenait pour des fous. Des rêveurs, utopistes et rétrogrades. » Mais ceux que certains décrivent comme des « visionnaires » n’en ont que faire. Ils s’implantent et même s’ancrent. « On a essayé de transformer notre vie pour vivre le plus simplement possible. C’est la simplicité volontaire. Autrement dit, vivre de peu et avec peu pour que tout le monde puisse vivre aussi. C’est une question de justesse et de justice », développe Brigitte, qui se remémore les années qui suivront ce choix, à élever quatre enfants avec un demi-salaire.
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Solidarité et village
Pour résumer : « Notre crédo, c’est vivre simplement pour que tout le monde puisse vivre simplement », répètent Brigitte et Patrick, tels des sages qui ont traversé les âges. Et de trancher, toujours avec le sourire : « On en a rien à faire de l’argent. Ce qui compte, ce sont les relations humaines. Car l’autonomie est un élément majeur de la solidarité. » Avec leur projet de vie, les septuagénaires se font leur place dans le paysage car ils sont « solidaires ». « D’ailleurs, notre maison s’appelle “la maison autonome et solidaire” », rappelle Brigitte, en insistant.
« Notre simplicité s’exprime jusque dans la santé et l’alimentation, les deux étant liés », glisse Brigitte. Dans la cuisine, il n’y a ni réfrigérateur, ni congélateur. « Nous sommes végétariens, nous nous alimentons avec les légumes de notre jardin et n’achetons pas de viande, pour éviter de créer des oppressions à l’autre bout du monde. Nous consommons peu et, là aussi, nous sommes attentifs au respect de la terre en cultivant en permaculture. Dans tous les aspects de notre vie, nous essayons d’être conscients de ce que nos actes impliquent. »
Brigitte rit : « Et regarde comme nous sommes en bonne santé ! Cette vie a des bienfaits sur notre corps. Nous vivons ainsi pour nous, mais aussi pour les autres : par notre mode de vie, nous entretenons les communs. » Les écologistes prônent la relocalisation de l’économie à l’échelle villageoise : « Il s’agit de vivre en communauté et d’être intégré dans son territoire, pour produire et satisfaire les besoins fondamentaux. »
À Châteaubriant, ils ont participé à la création d’une coopérative bio en lien avec des agriculteurs engagés. Sur les deux hectares de leur terrain, ils ont fondé l’écohameau du Ruisseau, où une petite dizaine de personnes vivent en autonomie quasi-totale. « Ce ne sont pas que des discours, c’est du concret », affirme Patrick.
Transmission et raison
Et de citer son ami Pierre Rabhi, dont le couple défend la vision [1] : « Pierre Rabhi parle des oasis en tous lieux. Une oasis, ce n’est pas une personne, c’est un groupe de personnes organisé à partir de richesses locales. Chez nous, c’est comme une oasis », déroule Patrick, épanoui. Et puisque, selon lui et sa femme, « il n’y a pas de collectif sans individus responsables et informés », ils transmettent leurs connaissances et leur savoir lors de visites de leur maison, d’animations et de conférences.
« Par notre action concrète, notre témoignage vivant, on prouve que vivre simplement, c’est possible. L’année dernière, encore, on m’a interpellé pour me dire : “Vous étiez des précurseurs, mais on ne le savait pas” », raconte Patrick, en haussant les épaules, l’air de dire « on avait raison ». « On a raison, disons, par rapport à la qualité de vie que nous avons. Mais le but, ce n’est pas d’avoir raison. C’est d’avoir de bonnes raisons de le faire. »
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[1] Dispositif convertissant l’énergie lumineuse en courant électrique
[2] Cette pensée est critiquée par certains groupes politiques et militants écologistes, notamment pour son approche jugée trop idéaliste et déconnectée des contraintes économiques et sociales concrètes ou encore pour sa trop grande focalisation sur des initiatives individuelles au détriment de solutions structurelles.
Photo bannière : Brigitte et Patrick Baronnet sont des pionniers de la vie autonome. Crédit photo : Pauline Roussel
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