Après l’évacuation de la ZAD installée au nord de la Loire-Atlantique, la vie à Notre-Dame-des-Landes s’est transformée. Les documentaristes Ben Russell et Guillaume Cailleau ont capté le temps long des activités qui se sont ancrées sur place.
Que se passe-t-il, après une lutte victorieuse ? Après avoir enrayé par exemple un « grand projet inutile », tel que le projet d’aéroport du Grand Ouest, que les autorités françaises ont longtemps cherché à installer à Notre-Dame-des-Landes, à 25 kilomètres au nord de Nantes ?
C’est le temps de l’après que sont venus documenter avec leur caméra les documentaristes Ben Russell et Guillaume Cailleau dans l’ex-ZAD. Le résultat s’appelle Direct Action, un documentaire de trois heures trente-deux sorti fin novembre, filmant le temps long qui a pu s’installer après l’urgence de la lutte.
Au festival de cinéma allemand La Berlinale, où le film a été montré et primé d’une « mention spéciale du jury documentaire », il était présenté ainsi : « Direct Action est un portrait contemporain de l’une des communautés militantes les plus en vue de France : un collectif rural de 150 personnes qui a résisté avec succès à un projet d’agrandissement d’un aéroport international en 2018, a créé une zone autonome entre 2012 et 2018, a survécu à de multiples tentatives d’expulsion violentes de la part de l’État français et a donné naissance à un nouveau mouvement écologique en 2021 ».
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Un territoire emblématique des luttes écologistes françaises
Cette synthèse du film oublie les milliers de militants et militantes venus prêter main forte à toutes les actions, ou encore les centaines qui s’étaient installés sur place pendant des mois ou parfois des années pour faire acte de résistance. Elle condense l’histoire pour la présenter plus facilement à un public international. Car avant de filmer cette « communauté militante et rurale », Ben lui-même n’avait jamais entendu parler de Notre-Dame-des-Landes et c’est ce qui lui a donné envie de présenter cette « zone à défendre » emblématique des luttes écologistes françaises.
Le cinéaste américain vit pourtant depuis plusieurs années en France, à Marseille, où il est notamment chercheur associé à l’Institut d’ethnologie et d’anthropologie sociale de l’Université d’Aix-Marseille. Sa rencontre avec Notre-Dame-des-Landes a eu lieu par le hasard des contraintes de déplacements au cours de l’épidémie de Covid-19. Alors « artiste-professeur invité » au Fresnoy, le studio national des arts contemporains basé à Tourcoing (Nord), il cherchait « un sujet en France pour un nouveau film, autour d’une communauté de personnes ». Explorer la dimension collective d’un sujet fait déjà partie des fils rouges de sa filmographie.
« Je voulais savoir ce qui se passait après une victoire »
Une personne lui évoque alors Notre-Dame-des-Landes. « C’était la première fois que j’entendais parler de cet endroit, pas très connu aux États-Unis », retrace-t-il. Il contacte son producteur, Guillaume Cailleau. Français vivant à Berlin depuis plus de vingt ans, l’ancien étudiant nantais a bien sûr entendu parler de Notre-Dame-des-Landes. Justement, il se demande ce qu’il y encore à raconter sur le territoire. « Ben m’a convaincu de la portée internationale du sujet. J’ai remarqué aussi que ma famille qui vit dans les Deux-Sèvres ou mes anciens amis nantais ne savaient pas qu’il y avait encore des gens sur place », se remémore-t-il.
Le duo touchait alors du doigt son sujet : raconter Notre-Dame-des-Landes sans retracer tout son historique, en décrivant ce qui s’y passait aujourd’hui. « Je voulais savoir ce qui se passait après une victoire », relate Ben, qui ne s’était encore jamais emparé d’un sujet autour de l’activisme. « C’est rare qu’un mouvement de lutte soit victorieux après des années. Ça motivait notre curiosité. C’était un peu porteur d’espoir aussi », décrit Guillaume, qui cosigne la réalisation de ce documentaire, tourné en 2022 et en 2023.
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Un quotidien qui ne pulse plus au rythme du capitalisme
Leur film-ovni s’ouvre sur une scène où l’une des figures de Notre-Dame-des-Landes commente et ouvre plusieurs fichiers vidéo qu’il a lui-même tournés lors de moments forts de la vie de la ZAD, avant et après son expulsion. Il s’agit de la seule contextualisation du film. Le reste se déroule sans voix off, dans un enchaînement de plans-séquences de plusieurs minutes. Une plongée dans des scènes de la vie quotidienne sans montage. Un regard exigeant car placée en dehors des carcans habituels du cinéma. Ici, Ben et Guillaume utilisent le temps long.
Une forme adaptée au rythme qui s’est justement installé à Notre-Dame-des-Landes. « En général, on filmait un plan par jour. En tout, on en a tourné 90 et il en reste 36 dans le film », détaille Ben. Leur film transmet le temps long de l’agriculture. De la taille des bois. Du désherbage manuel. Des projets artistiques. « Notre-Dame-des-Landes incarne un rapport à la décroissance, au ralentissement du monde, qui n’est plus réglé par le capitalisme et ses horaires fixes », commente Guillaume. Le duo comprend aussi qu’il lui faudra revenir plusieurs fois pour suivre le cycle des saisons. Il n’y a pas que les champs bucoliques de l’été, mais aussi la pluie qui s’abat froidement sur des chemins en gadoue.
« Lorsque nous sommes arrivés, certaines personnes étaient curieuses de faire de nouveau l’objet d’un intérêt, quand d’autres étaient traumatisées par ça », revient Ben. Pour appréhender le sujet, lui et Guillaume ont passé beaucoup de temps avec les gens, ont cuisiné, ont prêté main forte sur différents chantiers, pour mieux comprendre les gestes et les occupations des unes et des autres. À chacun de leur retour, ils montraient ce qu’ils avaient déjà filmé. Au final, un pianiste s’est laissé convaincre pour une scène. « Pour beaucoup, le film donnait une image d’eux alignée avec ce qu’ils étaient devenus ». Le documentaire a d’ailleurs été projeté lors des portes ouvertes de l’ex-ZAD cet automne.
Une première victoire, mais la lutte contre continue
Une scène paraît décalée. Ben et Guillaume filment la manifestation de mars 2023 à Sainte-Soline, dans les Deux-Sèvres, contre les projets de « méga-bassines ». « Ça ne nous paraissait pas pertinent d’aller sur place au départ, concède Ben. Mais on s’est rendu compte que la plupart des personnes qu’on connaissait à Notre-Dame-des-Landes étaient impliquées. On s’est dit qu’on y allait par solidarité… puis finalement ça nous a aidés à comprendre la violence à laquelle les personnes de la ZAD avaient été exposées. »
Mieux, la manifestation leur a permis de dépasser le cadre territorial de Notre-Dame-des-Landes. « J’ai compris que la ZAD n’était pas juste un espace géographique, mais une idée », conclue Ben. Et de comprendre que l’après, ça n’est pas encore totalement maintenant. « C’était naïf de penser qu’on était dans l’après, complète Guillaume. Si la victoire contre l’aéroport a été remportée, la lutte contre son monde est toujours en cours. »
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Bande-annonce
Photo bannière : Image extraite du documentaire Direct Action, de Guillaume Cailleau et Ben Russell © Shellac
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