En Touraine, la construction d’un incubateur de start-up au milieu des bois suscite la fronde

par | 3 Déc 2024 | 12/2024, Culture et société

Le projet Da Vinci Labs qui défend l’innovation au service de la planète a entrainé la défiance de citoyens. Ces derniers ont décidé de lutter contre son implantation sur une parcelle agricole boisée classée pour sa biodiversité.

Au pays de Leonard de Vinci, non loin de la ville d’Amboise où le père de La Joconde a vécu les dernières années de sa vie, un projet fait grincer des dents : le Da Vinci Labs. Ici, il n’est pas question de l’inventeur mais d’un laboratoire pour start-ups. « L’innovation deeptech au service de la planète », présente sobrement le site internet.

Le projet porté par le promoteur Xavier Aubry prévoit la création pour 15 millions d’euros sur fonds propres d’un bâtiment futuriste de recherche, « véritable démonstrateur de développement durable en milieu rural », dans la commune rurale de Reugny, 1750 âmes, à une vingtaine de minutes de Tours environ.

Cet espace au service de l’étude des « domaines d’avenir » (intelligence artificielle, informatique quantique, robotique, biologie de synthèse, etc.) se veut « un lieu inspirant de retraite, au milieu de la nature, pour des chercheurs et entrepreneurs désireux de s’attaquer aux défis majeurs de notre époque ». Orienté vers l’innovation, l’incubation et la formation, il utiliserait des technologies de pointe. 

« Noyau de biodiversité »

Mais certains habitants de la commune ne l’entendent pas de cette oreille. Bien au contraire. Depuis un an et demi, un petit collectif de citoyens qui doutent du bien-fondé du projet est donc entré en résistance.

Ces Frondes joyeuses, comme ils se sont surnommés en référence à la Polystic à frondes soyeuses – une fougère protégée présente aux abords de la zone artificialisée – dénonce l’artificialisation de 7000 m² d’une parcelle agricole boisée à Reugny.

Le terrain de la discorde est protégé à plusieurs égards : c’est un noyau (ou réservoir) de biodiversité, d’après la Trame verte et bleue du Schéma de Cohérence Territorial (SCoT) de l’agglomération tourangelle. Il présente aussi une zone humide et se trouve dans le périmètre d’un monument historique.

Plan local d’urbanisme

Au cœur de la bataille, le plan local d’urbanisme (PLU). Car si la parcelle agricole boisée appartient au porteur de projet et se trouve à proximité du château qu’il possède, elle n’était pas à l’origine constructible, en raison de son rôle pour la biodiversité. Le projet demande donc la mise en compatibilité du PLU en vue de la création de ce centre d’innovation technologique.

Dans un avis de décembre 2022, la Mission régionale d’autorité environnementale Centre-Val de Loire, estime qu’« en l’état, le dossier ne justifie pas de la compatibilité de la déclaration de projet avec le SCoT, le projet étant prévu au sein d’un réservoir de biodiversité identifié au SCoT », interdit à tout projet d’urbanisation.

Elle note aussi qu’une autre implantation a été rejetée en raison de « l’isolement sur un plateau agricole sans végétation haute […] pourtant potentiellement compatible avec les besoins en foncier initialement exprimés et située en zone à urbaniser, non boisée et en dehors de tout réservoir de biodiversité ».

« Les solutions alternatives n’ont pas été étudiées », déplore de son côté, Renaud Poirson, habitant de la commune, qui a rejoint le collectif à l’automne 2023, après avoir eu connaissance du projet lors d’une réunion publique.

« Le « besoin d’un écrin paysager » pour le bâtiment apparaît donc être la principale raison conduisant à l’implantation du projet sur un site boisé présentant des enjeux de biodiversité. Ce préalable est-il une raison suffisante pour justifier de l’impact du projet ? », questionne le collectif.

Enquête publique

Une enquête publique est lancée en 2024. « On était suffisamment nombreux et motivés pour aller plus loin et produire une réponse dans ce cadre », poursuit cet habitant. Les citoyens produisent un document de plus de 80 pages, « un avis du collectif citoyens Les Frondes joyeuses », dans lequel ils questionnent le projet.

De son côté, l’enquête publique conclut qu’avec « plus de 50 visiteurs qui se sont présentés à la mairie de Reugny et 122 observations reçues, l’enquête a connu une forte affluence ». Elle souligne que « ces observations sont d’une grande richesse autant par la variété de thèmes abordés que par la qualité des arguments développés » et note de manière indicative, « qu’environ 30 % viennent en soutien au projet et 70 % s’y opposent ».

Le commissaire enquêteur donne toutefois un avis favorable. Le projet est voté avec une voix d’écart par le conseil municipal de Reugny en mai. Puis la communauté de communes vote à son tour en faveur.

Tensions

Pour bloquer le projet, l’association se saisie d’outils juridiques à sa disposition : un recours gracieux dans l’été, puis, mi-octobre 2024, un recours contentieux auprès du tribunal administratif. « On attaque surtout sur le fond : on conteste l’intérêt général du projet », note Renaud Poirson, qui cite, en plus de l’impact sur la biodiversité, le peu de retombées économiques du projet sur la commune et la possible augmentation de trafic routier. Et face au peu d’incubateurs présents dans la région, il note que « les défis technologiques sont des défis mondiaux, qu’ils soient ici ou à Saclay ».

Dans la commune, les tensions sont palpables. Le porteur de projet se dit quant à lui victime de harcèlement moral et d’intimidations. « Le projet est bloqué car nous affrontons des recours administratifs, et puis il y a cette campagne d’intimidation régulière qui me conduit à ne pas vouloir avancer sur le dossier tant que ces gens continueront à nous harceler », explique-t-il à France Bleu.

« Ces gens n’ont jamais essayé de me connaître et j’inclus dedans l’ancienne préfète […][1] Je n’ai pas découvert mon intérêt pour l’environnement le jour où il a fallu obtenir des autorisations pour le Da Vinci Labs », note-t-il.

Collectif

Le collectif, lui, poursuit son combat, soutenu par les organisations comme Extinction Rebellion, Les Grands parents pour le climat, Les Soulèvements de la terre, Aspie ou encore Luttes locales Centre.

« Cette lutte nous paraît particulièrement intéressante pour ce qui est de la protection de la biodiversité et des écosystèmes », note Patrick Tauvel, membre du groupe local Greenpeace sur le média associatif Radio Active. « On s’est positionné. On a tâché de comprendre ce dossier compliqué pour pouvoir le transmettre à notre siège parisien. »

L’association reste optimiste. Une pétition a recueilli 900 signatures. Le collectif cherche désormais à collecter des fonds pour ses recours juridiques. « L’objectif, c’est de rester concentré sur le besoin en financement. » Mais elle prévoit aussi d’organiser des évènements musicaux et des sorties nature pour défendre la biodiversité. Une chose est sûre : au pays de Leonardo, la bataille Da Vinci est loin d’être finie.


[1] Selon un article du Canard Enchaîné de décembre 2022, le projet de Da Vinci Labs aurait contribué au limogeage de la préfète d’Indre-et-Loire, ce que le porteur de projet dément.

2 Commentaires

  1. Xavier Aubry

    Bonjour, je suis le porteur du projet Da Vinci Labs et je souhaite exercer mon droit de réponse.

    Réponse
    • Élodie Louchez

      Bonjour, vous pouvez exercer ce droit ici-même. En revanche tout propos diffamatoire, injurieux ou falsifié sera supprimé de ce site.

      Réponse

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