Dans le pays de Retz, la résistance écolo et anticapitaliste de la famille Morice

par | 3 Déc 2024 | 12/2024, Culture et société

À eux deux, Hubert et Yoann Morice, père et fils, ont fait de la défense du territoire au sud de l’estuaire de la Loire leur terrain de lutte pendant plusieurs décennies. Yoann revient sur les engagements intergénérationnels de sa famille, les joies des projets abandonnés, mais aussi les coups durs encaissés.

« On a quand même sauvé l’estuaire de la Loire ! Quand on voit le peu de victoires qu’on remporte en ce moment, ça fait du bien de se le rappeler. » Yoann Morice, 36 ans, s’essaie à l’optimisme en cette fin du mois de novembre.

L’enfant du pays de Retz, en Loire-Atlantique, a hésité à nous recevoir. Il a beaucoup donné pour les luttes écologistes du département, en particulier au sud de la Loire. Un virus familial, hérité en particulier de son père, Hubert Morice. Une histoire de famille et de militantisme qui l’a abîmé et qui a essoré son père, décédé d’une crise cardiaque sur son tracteur en 2023, juste avant ses 64 ans et un an avant une retraite qu’il envisageait enfin.

Une famille pas comme les autres

Les Morice, c’est l’histoire d’une famille pas comme les autres sur ce lopin de terre. Au sud de la Loire, Hubert a été de toutes les luttes, puis Yoann dans son sillage. La première marquante remonte aux années 1980. Quelques années plus tôt, EDF avait annoncé son souhait de construire une centrale nucléaire au sud de la Loire, vers le Pellerin.

L’État français cherchait à se doter d’un vaste programme de construction de centrales nucléaires et à sécuriser l’approvisionnement en énergie de Nantes et de la Bretagne. L’arrivée de François Mitterrand au pouvoir en 1981 n’a fait que repousser le projet à quelques kilomètres de là, sur la zone du Carnet. Entre les communes de Frossay et de Saint-Viaud, cette île de la Loire a été rattachée à la terre ferme via des travaux de comblement d’un bras du fleuve, afin d’y établir cette cheminée radioactive.

Hubert et Yoann Morice ont participé à de nombreuses luttes. Crédit photo : archives familiales

Anarchiste, anticapitaliste, anti-nucléaire, Hubert s’est impliqué de toutes ses forces dans la lutte contre l’implantation de la centrale en bord de Loire. « Le mouvement antinucléaire radical était encore assez vivant », dépeint Yoann, ravivant la mémoire familiale. « Quasi tous les dimanches, il y avait des affrontements entre les flics et les anar’ sur la route départementale ».

Une autre époque, souligne encore le fils : « Les mouvements « citoyennistes » ne s’opposaient pas autant à la violence, comme aujourd’hui ». Comme il y a prescription, Yoann nous raconte des « faits d’armes » d’Hubert lors de cette lutte. Dont le kidnapping d’un maire et des actions de sabotage.

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Des pionniers du bio

Hubert se démenait alors surtout la nuit, avec d’autres camarades, contre l’installation de la centrale nucléaire. Le jour, avec sa femme Louisette, ils s’attachaient à développer une ferme rachetée à Chauvé. Ils figuraient alors parmi les pionniers du bio, en se lançant avec ces méthodes dans les années 1980. Ils le sont restés en pays de Retz. D’autant que « la PAC [la Politique agricole commune de l’Union européenne], avec l’instauration de la libre concurrence, a éliminé une grande partie des petites exploitations et des gens de gauche dans les campagnes », analyse aujourd’hui Yoann.

Il se rappelle des années de galère de ses parents pour tout mener de front, en cohérence avec leurs idéaux, tout en étant de plus en plus isolés sur leur territoire. « La ruralité, il ne faut pas la fantasmer, raisonne Yoann. Dès que tu te politises et entreprends des actions, tu déranges. » Pour décharger un peu ses parents à la double vie de paysans-militants, Yoann aidait autant qu’il pouvait sur la ferme. Ça le dégoûtait de devenir paysan à son tour. Il a pourtant fini par se faire happer, plus tard.

Le goût du militantisme

De la première lutte au Carnet, Yoann se souvient de son côté festif, lors du défrichage de la « maison de la résistance » du Carnet ou du teknival antinucléaire de juin 1997. « Il devait y avoir 40 à 50 000 personnes. J’ai le souvenir d’avoir vu des trucs un peu bizarres devant moi », s’amuse-t-il aujourd’hui.

Voyant ses parents s’épanouir dans ces milieux militants, Yoann y prend goût. Il se politise à son tour. Lit Ni Dieu ni maître. Regarde en boucle des documentaires d’Arte sur les luttes des peuples autochtones, qui lui donne un goût d’injustices à réparer.

Yoann, une militante du collectif Stop Carnet et Hubert lors d’une ballade naturaliste organisée au Carnet en 2020. Crédit photo : Mathilde Doiezie

Après cette première lutte au Carnet, Hubert a pris un peu ses distances. Une histoire de fâcherie et de trahison avec d’autres personnes impliquées. Yoann évite de se prendre les pieds dans l’hagiographie du patriarche : « C’est quelqu’un qui est resté fidèle à ses convictions, entier. C’est grâce à ça qu’il est allé au bout de plusieurs luttes. Mais il avait aussi son caractère, édulcore-t-il en souriant. Il était souvent considéré comme une grande gueule, trop radical. »

Adolescent, Yoann milite encore aux côtés de son père contre un centre de déchets de Vinci au sud du pays de Retz. Ensemble, avec des dizaines d’autres paysans de tous âges, ils s’en vont aussi arracher des plans d’OGM dans le département lors de séances de fauchage nocturnes. « Une des meilleures nuits de ma vie », se souviennent encore ses yeux brillants.

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Une bataille en cache une autre

Père et fils s’impliquent ensuite, chacun à sa manière, contre l’implantation d’un aéroport à Notre-Dame-des-Landes. Puis ils se retrouvent à militer main dans la main en 2018, unissant leurs forces contre un projet de création de surf park, prévu sur huit hectares de terres agricoles à Saint-Père-en-Retz, à dix minutes de la mer. Pour mener la fronde, ils créent le collectif Terres communes, pour lutter plus globalement contre « la bétonisation des sols et l’accaparement des terres agricoles » en Loire-Atlantique. Le projet de surf park est finalement abandonné en 2021.

Une bataille de gagnée ! Mais Hubert et Yoann sont déjà en alerte, sur un autre projet d’artificialisation : celui d’une partie de l’île du Carnet, là où avait milité Hubert dans les années 1980 et 1990. Cette fois, c’est le Grand port maritime de Nantes Saint-Nazaire qui voudrait l’investir avec un « parc éco-technologique ». Yoann apprend le projet par voie de presse. Il en veut encore aux associations écologistes qui siègent au conseil de développement du Grand port de ne pas avoir « informé les militants historiques du Carnet ».

Lors de cette lutte, un nouveau collectif émerge – Stop Carnet – et une ZAD s’installe. Hubert et Yoann organisent des balades naturalistes pour faire découvrir ce bout d’île comblée aux habitants du coin. En mars 2023, le Grand port annonce lui aussi l’abandon de son projet.

« Une forme de décalage »

Malgré ces engagements victorieux, la lutte est vécue de plus en plus durement. Hubert a fini par « ressentir une forme de décalage » avec ceux de sa génération, décrit son fils. « Il n’a jamais accepté l’ère du consensus et de l’éco-gestion. Il est toujours resté dans la lutte anarchiste et radicale. C’est pour ça qu’il s’est fait beaucoup d’ennemis je pense ».

S’il a « été heureux de voir plein de jeunes qui recommençaient à croire au rapport de force, dans la lutte contre le surf park, à Notre-Dame-des-Landes ou au Carnet », il y avait aussi un grand écart avec cette jeune génération, pour laquelle le militantisme ne consistait plus à faire des coups d’éclat de voix lors des AG, mais à respecter des tours de parole.

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Puis, Hubert et Yoann ont fait face à beaucoup de rumeurs, à des intrusions sur leur ferme respective ou à des passages d’hélicoptères juste au-dessus de leurs maisons. Les coups de pression étaient constants. Les coups des forces de l’ordre, aussi, ont plu sur le corps d’Hubert. Flanqué à terre, il s’est retrouvé le corps recouvert d’ecchymoses, avant d’être emmené en garde à vue. En le récupérant à la sortie, Yoann a vu son père « effondré ». À partir de là, il a senti « que quelque chose s’était cassé en lui ». C’était deux ans avant son décès.

Aujourd’hui, Yoann a perdu son père et aussi sa ferme. Il s’interroge sur ce que les luttes font aux humains qui s’y impliquent. Sur la manière de les mener sans s’enfoncer dans des luttes politiciennes, tout en appliquant ses idéaux et en réussissant à convaincre le plus grand nombre de les rejoindre. Si « le militantisme continue de faire partie de sa colonne vertébrale », il a pris un peu ses distances, le temps de se remettre lui aussi de ces épreuves. La défense du vivant n’est cependant jamais très loin : au jour le jour, il continue de s’impliquer à travers ses formations en agroforesterie, en aménagement de jardins et en création de paysages comestibles. De quoi nourrir la lutte avec d’autres fruits.

Photo bannière : Yoann Morice devant les marais du pays de Retz. Crédit photo : Mathilde Doiezie

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