« On nous a dit de faire attention » : dans les campagnes du Maine-et-Loire, des citoyens se mobilisent contre l’extrême droite

par | 2 Déc 2024 | 12/2024, Culture et société

Au printemps 2024, des habitants de Chalonnes-sur-Loire et du Lion-d’Angers, dans le Maine-et-Loire, ont milité pour contrer l’implantation de militants d’extrême droite. Dans des zones rurales où le vote d’extrême droite grimpe, comment ces habitants s’organisent-ils ?

C’était le 26 juin dernier. Quatre jours seulement avant le premier tour des élections législatives qui verra plus de 9,3 millions d’électeurs porter le Rassemblement national (RN) en tête du scrutin. Au Lion-d’Angers, commune du nord du Maine-et-Loire de 5 250 habitants, 250 manifestants sont réunis à l’appel du collectif Bien vivre ensemble au Lion-d’Angers.

Ce jour-là, la crainte n’est pas d’abord liée au contexte national, mais à la reprise d’un établissement historique situé dans la rue principale de la commune : Le Café des sports. Ouvert depuis trente-trois ans et surnommé « Chez Katia », le nom de l’ancienne patronne, l’endroit est fermé depuis fin 2023. Quelques jours plus tôt, des tracts ont été distribués dans les boîtes aux lettres et certains collés anonymement sur les volets clos de l’établissement. On y lit : « Café sucré, oui – café frappé, non ».

Lire aussi : « Si je vote, c’est pour Bardella » : au marché aux bestiaux de Cholet, des agriculteurs tentés par l’extrême droite

Dans une France qui se vide de ses bistrots (on en comptait 200 000 dans les années 60 contre près de 35 000 aujourd’hui), cette fermeture n’est pas anodine. Dans les colonnes du trimestriel d’investigation, La Topette, une habitante témoigne : « Ce café, c’était un lieu de mixité emblématique. » Franck (nom d’emprunt), un homme d’une cinquantaine d’années, membre du collectif complète : « C’était vraiment un bar de campagne dans son jus. » Oui, mais voilà : le nouveau locataire est un militant d’extrême droite lié à l’Alvarium. Ce groupuscule nationaliste a été dissous fin 2021 (une décision confirmée par le Conseil d’État) car « propageant des idées justifiant la discrimination et la haine envers les personnes étrangères ou les Français issus de l’immigration ».

De Lyon en Lion

Aux médias qui contactent le locataire, Louis G. (qui a porté plainte pour le collage) nie d’abord tout lien avec la sphère identitaire. S’il connaît Jean-Eudes Gannat, ex-porte-parole de l’Alvarium ? À Ouest-France, il répond : « Non. Je n’ai aucun lien avec lui. » Quelques jours plus tard, l’intéressé change de version : « Je le connais depuis que je suis arrivé à Angers. » De son côté, le Réseau angevin antifasciste (Raaf) — un groupe de militants s’étant fait une spécialité d’informer sur les agissements des nationalistes locaux — déterre quelques archives montrant Louis G. en membre actif (et bagarreur) de l’Alvarium. Le Lion-d’Angers serait-il en passe de devenir un nouveau Lyon, ville réputée pour sa forte présence de groupuscule d’extrême droite ?

Localement, la lutte s’organise. « On est une quinzaine à échanger régulièrement et une quarantaine de personnes dans la boucle [de discussion en ligne] », témoigne Franck (nom d’emprunt). Son collectif est composé de membres, âgés de 20 à 65 ans, dont une bonne part de « jeunes quadra », militants ou non.  N’ayant jamais milité, ce natif du coin raconte s’être mobilisé pour deux raisons : la crainte de violences contre les minorités dans les rues de sa commune et celle d’un prosélytisme politique envers les jeunes du coin. « Comme ils se sont fait chasser d’Angers, ils sont en train de reformer leurs réseaux sous un autre nom », estime-t-il. Les membres du collectif ont opté pour l’anonymat et la discrétion. « On fait plutôt profil bas, parce qu’on sait qu’ils peuvent être dangereux. Si on doit tracter, on n’y va pas la fleur au fusil, on nous a dit de faire attention. » Dans une commune rurale plus qu’ailleurs, on se reconnaît. On se croise. On se toise.

La Flamme met le feu aux poudres

Aujourd’hui, la Brasserie Gorin s’est retirée des réseaux sociaux. Contacté par le Courrier de l’Ouest, Louis G. répète que l’endroit « ne sera pas occupé par un mouvement politique » mais sera « réservé aux membres souhaitant adhérer à l’association […] centré[e] sur le terroir, d’apprendre à brasser et cuisiner en s’amusant dans un cadre associatif ». Une description qui n’est pas sans rappeler l’Alvarium, qui se revendiquait « centre communautaire d’actions sociales et culturelles ». Selon Franck, l’ouverture du lieu est imminente. Mi-novembre, il raconte : « Ça s’active pas mal, y’a eu des livraisons de tables et de siège, quand on passe le soir, il y a des gens dans la pénombre à échanger. On sait que ce sera ouvert d’ici la fin de l’année. On ne va pas y échapper. » Une mobilisation est déjà envisagée le jour de l’ouverture du lieu.

Ce n’est pas par hasard si ce projet est né ici. Le nord du Maine-et-Loire compte plusieurs entreprises liées, plus ou moins directement, à l’extrême droite : les Blancs de l’Ouest à Chazé-Henry (Ombré d’Anjou),  SOS Calvaires au Lion-d’Angers et la Flamme Angevine à Sainte-Gemmes-d’Andigné (Segré-en-Anjou-Bleu). Cette entreprise de traiteur est dirigée par un militant identitaire angevin et un certain… Jean-Eudes Gannat. Une quarantaine de kilomètres plus au sud, sur les bords de Loire, à Chalonnes-sur-Loire, la venue de cette entreprise, pour la troisième année de suite, a secoué le Landerneau en mai dernier. Elle a même entraîné l’annulation de la Fête des vins d’Anjou, organisée par l’Union des producteurs de grands vins (UPGV) depuis 1960 et qui attire 15 000 visiteurs par an.

La peste, le choléra et l’inverse de la charge

Ici aussi, tout a commencé par une distribution, sur le marché de cette commune de 6500 habitants, de tracts signés par des « habitant.e.s révolté.e.s ». Il y est dénoncé la présence de deux « figures de l’ultra droite locale, condamnées ou poursuivies toutes deux pour faits de violence » et estime que « l’UPGV s’obstine à soutenir ces personnes et donc leurs idées ». « Nous trouvons honteux que Chalonnes serve de vitrine à ces personnes qui propagent des idées racistes et discriminatoires. Acheter auprès de « la Flamme Angevine » c’est financer ces groupes identitaires », lit-on encore. Si leur venue n’est pas annulée, il est annoncé un rassemblement antifasciste.

Alors que le conseil d’administration de la Fête des vins se réunit le 6 mai pour trancher sur la présence ou non de la Flamme angevine, il décide finalement de tout bonnement annuler la fête. Au Courrier de l’Ouest, le président de l’UPGV dit se sentir « pris dans un étau » et contraint de devoir « choisir entre la peste et le choléra ». La peste : valider la présence de la Flamme angevine et « se faire lyncher sur les réseaux tout en s’exposant à des troubles, à une manifestation » . Le choléra : annuler sa présence et « se faire attaquer en justice ». Le Raaf dénonce lui une « inversion de la charge délibérée, malhonnête et grossière ».

Malgré tout vient le temps des dépôts de plainte : celle de l’organisateur contre les auteurs du tract pour « diffamation et intimidation » et celle de la Flamme angevine contre des élus de la Chalonnes, dont la députée (et ex-maire de Chalonnes) Stella Dupont (En Commun) pour « discrimination à raison des opinions politiques ». Ultime rebondissement dans cette affaire : en juin, Mediapart relève, au détour d’un article sur un gendarme suspecté de dérober des armes de collection, les liens entre un co-président de l’UPGV et l’extrême droite radicale angevine. Le fils de ce dernier est passé dans les rangs de l’Alvarium, mais aussi du groupuscule violent des Zouaves Paris. Dans les campagnes angevines, la montée de l’extrême droite n’a pas fini de faire parler. Et de mobiliser.

Photo bannière : La reprise du bar « Le café des sports », au Lion-d’Angers (Maine-et-Loire) par des militants d’extrême droite suscite la mobilisation d’habitants. Crédit photo : Capture écran Google street view

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