« Le premier combat environnemental du département » : en Mayenne, l’histoire oubliée d’un projet de barrage

par | 2 Déc 2024 | 12/2024, Culture et société

Enterré en 2005, le projet de barrage de Saint-Calais-du-Désert, une commune du nord-est de la Mayenne, a donné naissance à une drôle de convergence des luttes entre écologistes, pêcheurs et… catholiques. Retour sur une lutte environnementale oubliée et, pourtant, plus que jamais d’actualité.

C’est une histoire que les moins de 30 ans ne connaissent pas forcément, mais qui, pourtant, reste furieusement d’actualité. Une histoire de lutte, d’eau et d’obstination dont les traces sur Internet sont plus que maigres. On est en juin 1992 et le Conseil général (devenu « départemental ») de la Mayenne annonce la création d’un projet monstre sur le territoire d’une commune d’un peu moins de 400 âmes du nord-est de la Mayenne, Saint-Calais-du-Désert.

L’idée ? Ériger un barrage à dix kilomètres de la source de la Mayenne. Un barrage de 32 mètres de hauteur sur lequel une route doit passer et, au passage, engloutir 135 hectares de la commune sous 16 millions de m3 d’eau. L’argument officiel est alors la hausse de la consommation d’eau potable et les sécheresses estivales. « On se disait qu’on n’aurait plus assez d’eau. D’où l’idée d’une retenue », témoigne celui qui est maire de la commune depuis 1989, Henri Guilmeau, dans les colonnes d’Ouest-France.

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Comme le rappelle Jean-Marc Lalloz [1], « l’association Mayenne Nature Environnement [dont il est alors le vice-président, NDLR] réfute d’emblée cet argument et initie, en novembre 1994, la création d’un collectif “pour une alternative au barrage de Saint-Calais-du-Désert» Ce dernier évoque trois arguments : « économique, légal et environnemental ». Dans son premier communiqué de presse, on lit notamment que « les prévisions d’augmentation de la consommation en eau ne sont pas crédibles ».

L’avenir donnera raison aux opposants : la consommation en eau potable tend à baisser depuis les années 1990. Pour Olivier Pain, 65 ans, membre de l’association depuis 1998, ce projet est caractéristique d’une certaine vision du monde : « Cette bétonisation permanente et cette fuite en avant du toujours plus… » Michel Perrier, 69 ans, ex-président de l’association, devenu conseiller régional écologiste entre 2010 et 2015, complète : « On domestique les éléments naturels pour une activité économique. C’était un projet complètement fou. »

Des pêcheurs et des catholiques

Rapidement, le 8 septembre 1995, le collectif passe au statut d’association : « Mayenne Vivante ! » est née. L’association comptera parmi ses membres — jamais plus de plusieurs dizaines — des habitants de Saint-Calais, et, dès 1996, les associations des pêcheurs de la Mayenne et de l’Orne. Michel Perrier reconnaît que « ça a été une coalition faible en nombre, mais forte en conviction et volonté ». De son côté, Olivier Pain ajoute : « On était tous très complémentaires. » Une convergence des luttes avant l’heure qui ira jusqu’à attirer des catholiques.

Michel Perrier raconte : « Dans cette vallée, il y a une réplique de la grotte de Lourdes. Elle aurait été inondée. Quelque part, le clergé nous a soutenus et nous a défendus. » Le collectif a même mené une action un 15 août, jour de l’Assomption pour les catholiques, en accrochant des ballons au bout de ficelles pour montrer la hauteur future de l’eau sur ce lieu religieux. Jean-Marc Lalloz, président de l’association de sa création à 1999, ajoute : « La même année, on bénéficiera, première faille au sein du Conseil départemental, du refus de la ville de Laval d’adhérer au fonds départemental de financement du barrage. »

Le mouvement d’opposition au barrage a rassemblé des citoyens de divers horizons : pêcheurs, écologistes, locaux, catholiques…. Crédit photo : Archives de l’association Mayenne Vivante

Pendant plus de dix ans, l’association se battra sur plusieurs fronts : celui des mobilisations et celui de sensibilisation. Outre des rassemblements (600 personnes en octobre 1997), l’objectif de Mayenne Vivante est bien de « convaincre et d’informer », se rappelle Olivier Pain. Initialement, un seul membre du conseil général avait voté contre ce projet de barrage. Alors que les dés semblent jetés et qu’une dizaine d’habitations sont rachetées pour être englouties, la situation se renverse.

« Dès que Dominique Voynet [ministre de l’aménagement du territoire et de l’environnement entre 1997 et 2001] impose les commissions locales de l’eau (CLE), on se dit qu’on va gagner », se rappelle Michel Perrier. Ces commissions décident du schéma d’aménagement et de gestion des eaux (SAGE) de leur territoire. En 2005, le conseil général de Mayenne vote à nouveau et, cette fois, le non l’emporte. Ironie de l’histoire : en 2008, 180 hectares sont reconnus comme « espace naturel sensible » par le même Département qui projetait de les engloutir.

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Veiller sur l’eau

« C’est une belle lutte, un beau combat : c’est le premier combat environnemental qu’on a gagné collectivement dans le département », rembobine Michel Perrier. Olivier Pain y voit, lui, « une vraie victoire militante ». Pour lui, ce n’est pas la pression populaire qui a changé les choses, mais ce travail d’information, de lobbying, auprès des élus. Jean-Marc Lalloz ajoute : « On a campé sur nos trois arguments et c’est ce qui nous a permis de tenir le choc. On a réussi à convaincre et à expliquer. Ça a fait tomber le barrage. »

Pour les trois hommes, ce combat a été essentiel dans leur vie militante. Le premier estime que cet engagement « a été l’élément déclencheur d’un engagement politique plus profond ». Le second raconte avoir rejoint la CLE « pour continuer à veiller sur les ressources en eau ». Le troisième est engagé au sein de France Nature Environnement. Une vingtaine d’années avant le projet de « méga-bassines » de Sainte-Soline, ils regardent avec fierté cette lutte qui, au regard des enjeux actuels, a presque quelque chose d’avant-gardiste. Michel Perrier fait le lien entre hier et aujourd’hui : « Le projet a fini par s’arrêter sans affrontements violents. Bon, c’était une autre époque, les intérêts n’étaient pas aussi cruciaux. Mais sans opposition, le barrage aurait été créé. »

[1] Par ailleurs administrateur et trésorier de l’association Graines d’avenir qui détient GA Presse, qui elle-même édite Les Champs d’Ici.

Photo bannière : Entre 1994 et 2005, des citoyens se sont mobilisés, au sein de l’association Mayenne Vivante, pour lutter contre un projet de barrage à Saint-Calais-du-Désert. Crédit photo : Archives de l’association Mayenne Vivante

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