Du « nimby »  à l’« écoterrorisme » : comment les mots évoluent pour discréditer les mouvements citoyens et écologistes

par | 2 Déc 2024 | 12/2024, Culture et société

Apparu dans les années 80 pour désigner la mobilisation d’habitants opposés à l’implantation de projets « générateurs de nuisances » près de chez eux, le terme « nimby » (pour « not in my backyard », « pas dans mon jardin ») souligne la place des motivations égoïstes pour se lancer dans le militantisme. Mais est-ce réellement un problème ? Non, répond la géographe Léa Sébastien qui s’est penchée sur une mobilisation contre un projet de décharge.

Une lutte peut-elle (d’abord) être égoïste ? C’est sur ce paradoxe que l’acronyme « nimby » (pour « not in my backyard », « pas dans mon jardin ») est né dans les années 1980 aux États-Unis. Initialement, les nimby désignent ces habitants des banlieues cossues qui refusent l’implantation de logements sociaux près de chez eux. Au bien commun, ils privilégient leur confort individuel.

Par la suite, ce terme a été récupéré par des porteurs de projets pour critiquer toute mobilisation d’habitants. Il a été mis à toutes les sauces pour critiquer, pêle-mêle, l’opposition à l’implantation d’un site d’enfouissement nucléaire, la construction d’une nouvelle route ou l’installation d’éoliennes. Illustration de ce phénomène : en 2000, la Mayenne s’était mobilisée contre un projet d’enfouissement de déchets radioactifs… depuis transféré à Bure.

Lire aussi : Alexandre, un « semeur » face au pilleur de terres du Puy du Fou

Maîtresse de conférences en géographie à l’université Toulouse 2 – Jean Jaurès et autrice de l’article Le nimby est mort. Vive la résistance éclairée : le cas de l’opposition à un projet de décharge, Essonne, France, Léa Sébastien s’est penché sur ce phénomène. Pour elle, ce terme, moins utilisé de nos jours, est trompeur, mais il dit quelque chose de son époque.

Comment est né ce terme de nimby (« not in my backyard », « pas dans mon jardin ») et que désigne-t-il à l’origine ?

Léa Sébastien : Il est né dans les années 80 avec ces habitants des banlieues cossues américaines ne voulant pas voir arriver des immeubles de logements sociaux. Ça venait perturber les barbecues dans les backyard, ces jardins à l’arrière des maisons. Le slogan, c’était vraiment « not in my backyard » : car de leur jardin, ils auraient vu ces logements sociaux. Ça a alors été qualifié de « syndrome » et ça définissait ces habitants centrés sur leur liberté individuelle et s’opposant au bien commun. Le terme s’est diffusé dans le monde entier, jusqu’à la littérature scientifique.

Vous avez étudié la mobilisation autour d’un projet de décharge dans la commune de Saint-Escobille (Essonne). Qu’en avez-vous appris ?

J’ai réalisé qu’on n’était pas dans ce cas-là ! Nimby n’est pas une notion qui explique un phénomène social, c’est un concept qui va figer les conflits environnementaux. D’un côté, il y aurait les porteurs du bien commun, l’État. De l’autre, il y aurait des habitants centrés sur leurs libertés individuelles. Deux blocs monolithiques. Dans les conflits environnementaux, les mouvements évoluent beaucoup dans le temps.

C’est-à-dire ?

Il y a le moment où l’on apprend qu’il va y avoir une décharge ou autre à proximité de son domicile. On est alors dans un état de choc qui peut s’apparenter à du nimby. Mais très rapidement, ces mouvements évoluent et deviennent de la « résistance éclairée ». Ils vont créer des dynamiques très fortes sur le territoire, les citoyens vont monter en compétences. Tout ça crée une politisation du mouvement, que je définis par « une capacité à se projeter sur le long terme et un élargissement des thématiques et des échelles ». Au début, on va s’interroger sur le quartier où le village, puis le département, la région… Il y aussi un élargissement des sujets : on va faire des liens entre différentes thématiques.

Lire aussi : En lutte contre les « projets à la con » qui accaparent les terres

Pour vous, un combat « égoïste » peut donc être la porte d’entrée vers un militantisme plus altruiste ?

Tout à fait. J’ai rencontré des retraités qui n’avaient jamais milité de leur vie et qui se sont mobilisés à partir de quelque chose qui se passait sur leur lieu de vie. C’est une porte d’entrée vers des combats autour de notions souvent écologiques. Il va y avoir une politisation des enjeux écologiques à partir de questions très locales et territoriales.

Ce terme peut-il être instrumentalisé pour culpabiliser les populations locales et amoindrir les mobilisations ?

Oui, ça peut servir à délégitimer les militants. Ils s’en défendent d’ailleurs. Il va souvent y avoir des écriteaux avec écrit « niamy » (« not in anyone backyard »). Ou « nina » en français : « ni ici, ni ailleurs ».

En 2000, la Mayenne s’était mobilisée contre un projet d’enfouissement de déchets radioactifs depuis transféré à Bure. Les porteurs de projets ont-ils intégré le fait que, si un projet n’est pas accepté sur un territoire, il suffit de tenter de l’implanter ailleurs ?

Oui, un porteur de projet essaiera d’implanter son projet ailleurs s’il ne passe pas à un endroit. C’est pour cela que les mouvements sont de plus en plus reliés ensemble sous la bannière « nina ». Mais ces réseaux de plus en plus importants restent néanmoins parfois informels et non systématiques. Ce qui fait qu’encore souvent, les projets sont simplement déplacés et non repensés.

Ce mot fait penser au terme « bobo » (bourgeois-bohème), à savoir un sociotype sans aucune valeur scientifique, fourre-tout et servant plutôt un agenda réactionnaire…

Oui, nimby n’a aucune portée explicative ou scientifique. Un conflit d’aménagement, c’est quelque chose de très complexe à analyser, ça bouge dans le temps. Il y a des acteurs qui sont pour et deviennent contre, d’autres qui ne veulent pas se positionner. Ce concept est inopérant.

Lire aussi : « Pour qu’une lutte puisse perdurer, il faut manger » : dans la campagne angevine, on milite en jardinant

Aujourd’hui, ce terme a un peu disparu. Pourquoi ?

Il a été critiqué par les scientifiques et les militants ont montré qu’ils dépassent la portée de ce mot. Quand on voit les Soulèvements de la terre ou la réunion de mouvements avec une portée nationale, on ne peut plus les qualifier de nimby. On voit aussi un glissement de la rhétorique de la part des porteurs de projet. Il y a ce terme d’écoterrorisme qui est apparu. On va plutôt critiquer ces citoyens, non car ils sont centrés sur leurs libertés individuelles, mais car ils ne respectent pas l’État.

Plus que le phénomène qu’ils sont censés désigner, ces mots disent donc plutôt quelque chose de l’époque et de ceux qui les utilisent ?

Les mouvements ont évolué et les porteurs de projet aussi. Aujourd’hui, dans les conflits d’aménagements, on voit qu’il y a beaucoup d’arguments globaux. Le terme écoterrorisme dit beaucoup du fait que l’écologie cristallise les tensions. Qualifier des opposants d’éco-terroristes, ça souligne l’échec de la gouvernance environnementale et que les institutions publiques ne sont pas à même d’intégrer l’écologie dans leurs politiques.

Bannière photo : En 2000, 2 300 personnes s’étaient réunies à Saint-Pierre-sur-Orthe, pour dire non au projet d’enfouissement de déchets nucléaires à Izé, en Mayenne. Crédit photo : Associations du mouvement du massif d’Izé

0 commentaires

Soumettre un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Léna Lazare, semeuse de luttes

Semer des luttes, soulever la terre. Un jour de...