Dans le nord-est du Maine-et-Loire, une partie du domaine de Boudré aurait dû être vendue pour renflouer les caisses du Département. C’était sans compter sur une mobilisation hétéroclite de citoyens. Dix ans après l’annonce de la mise en vente et trois ans après son annulation, l’endroit est devenu — selon les mots de la collectivité — la « vitrine de la biodiversité ». Retour sur une lutte environnementale gagnante et méconnue.
La banderole du collectif est toujours là, accrochée entre deux arbres à cinq mètres de hauteur. « La forêt de Boudré : notre bien commun, le poumon vert de notre territoire ». Dans son camion aménagé, Bertrand Raimbeau, un éducateur spécialisé à la retraite de 63 ans, sillonne ce coin de verdure coincé dans une boucle du Loir, un affluent de la Sarthe. À un moment, la route bétonnée laisse place à un chemin qui s’enfonce dans ce domaine de près de 1 000 hectares où se mêlent parcelles privées et publiques. Sur son site web, le département du Maine-et-Loire vante ce site — classé espace naturel sensible (ENS) et Zone naturelle d’intérêt écologique, faunistique et floristique (Znieff) — comme d’une « vitrine de la biodiversité […] représentati[ve] du paysage de l’Anjou ».
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Rien ne laisse à penser que l’endroit a été le théâtre d’affrontements où se mêlent lutte écologique et austérité budgétaire. Dans la pièce de vie des Raimbeau avec vue plongeante sur la rivière, trois co-présidents sirotent leur café et remuent leurs souvenirs d’anciens combattants. « On n’est plus dans la lutte, mais dans une veille environnementale », situe Bertrand Raimbeau. À ses côtés, il y a Isabelle Bozzani, infirmière retraitée de 63 ans, et Dominique Morille, prof de sport retraité de 66 ans. Ils font partie des douze co-présidents du collectif Préservons le domaine de Boudré dont la genèse remonte à 2014.
La crainte de la carrière
En septembre de cette année-là, le Conseil général de Maine-et-Loire décide de vendre des biens pour renflouer ses caisses : l’ancien tribunal de Saumur, des parts de la galerie Vivienne à Paris et… 500 hectares du domaine de Boudré comprenant des terres, des fermes, un hippodrome, des étangs et une forêt. « C’est un domaine public où les Séchois ont l’habitude de se promener », contextualise Isabelle Bozzani, alors conseillère municipale. « L’hippodrome était utilisé pour les courses et les associations locales », complète Dominique Morille. Bertrand Raimbeau finit de peindre le tableau :« C’est un cul-de-sac et il n’y a quasiment pas de passage routier, pas de pollution visuelle et sonore… »
Une tranquillité que le premier acheteur à se positionner, le groupe Pigeon, risquait de mettre à mal. Au cœur du domaine, on trouve une veine de grave [un mélange de sable et de gravillons] exploitée jusqu’au tournant du siècle. « Ça nous a foutu les jetons », reconnaît l’ex-éducateur qui craint de voir les camions recommencer leurs va-et-vient sur la départementale voisine. « On voit les forces en face et on se dit qu’il faut une structure juridique pour encadrer nos luttes. » En février 2015, après une réunion publique rassemblant 300 personnes, les opposants se regroupent dans une association qui a compté jusqu’à 120 membres (une quarantaine aujourd’hui).
La ZAD et la chasse
« Au niveau politique, c’était très hétéroclite, mais on était cohérent sur les buts et objectifs », indique-t-il. On y croise un syndicaliste rompu aux luttes paysannes, des notables, des habitants indignés… L’idée d’une association collégiale — dirigée par un comité de pilotage prenant les décisions à l’unanimité — émerge. L’objectif est double : se protéger en « répartissant » la responsabilité en cas de désobéissance civile et éviter d’avoir un interlocuteur unique. « Une association collégiale, ça emmerde les élus, ils n’ont personne à cibler », résume Dominique Morille.
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Certaines idées n’émergent pas faute d’unanimité et la question de la chasse divise. « Certains voulaient faire une ZAD [Zone à défendre], mais il n’y a pas eu de consensus. Elle aurait pu se faire, mais hors du collectif », estime Bertrand Raimbeau. Le jeune collectif entend se positionner contre la vente, mais aussi faire la promotion du domaine. « Pendant un siècle, le Département a privatisé la forêt comme réserve de chasse », rappelle le co-président. Résultat : l’endroit est peu connu au-delà des locaux. En plus de pétitions, il y a aura donc une marche, une chaîne humaine, une fête sur l’hippodrome et deux événements dédiés au cirque rassemblant jusqu’à 1 000 personnes…
De « fumeux » appels à projet
Fin 2016, le projet d’origine est révisé : le Conseil (désormais) départemental décide de maintenir les 300 hectares de forêt sous gestion publique, mais opte pour un appel à projets concernant le reste. Avec la commune et la communauté de communes, le collectif élabore un projet de « slow tourisme ».
Quelque temps avant la clôture de dépôt de candidature, le Département annule l’appel à projets, pour en relancer un dans la foulée. Un nouvel acteur entre alors en piste : le célèbre entraîneur de chevaux parisien Yannick Fouin. « Il avait loupé la date et le Département a cassé l’appel pour lui », croit savoir Bertrand Raimbeau.
Quand eux produisent un dossier d’une vingtaine de pages, l’entraîneur rédige… trois pages. Ce dernier sera pourtant sélectionné par la collectivité, avant qu’il ne se retire en mai 2019. Avec le recul, Bertrand Raimbeau fustige ces appels à projets, sortes d’apparats démocratiques :« Ça laisse le pouvoir aux élus qui votent en commission, c’est complètement fumeux. » Parallèlement, un bras de fer s’engage pour la modification du Plan local d’urbanisme intercommunal (PLUi). « On s’est affiliés à France nature environnement, on a eu gracieusement accès à un juriste, il nous a aidés à déposer ce recours. » Un recours qui échouera, mais mettra un (autre) grain de sable dans l’engrenage.
Dix ans et six agences
En 2021, Christian Gilet n’est pas réélu à la tête du Conseil départemental et Boudré sauve la sienne. La nouvelle équipe d’élus met un terme (définitif ?) aux tractations. Comme une revanche, la Fête de la biodiversité du Département y est organisée depuis 2023 et le collectif est désormais invité aux réunions de concertation pour la gestion de l’ENS. Une maison de la biodiversité est dans les rails à la suite d’une concertation publique. « Elle débouche sur ce qu’on voulait il y a dix ans : un espace de biodiversité dans le domaine public ouvert au public, souligne Bertrand Raimbeau. Mais ils ont financé six agences pour cette concertation. L’idée de vendre, c’était pourtant de faire des économies… »
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Pour ses 10 ans qu’il fêtera en janvier, le collectif envisage de revenir sur ce combat qui a permis de préserver un endroit où 420 espèces animales et 480 espèces végétales ont été dénombrées. Histoire que cette histoire de lutte ne tombe pas dans l’oubli et pour ne pas laisser le monopole du récit au seul département de Maine-et-Loire. « La lutte, c’est long, mais ça paie », affirme le coprésident. Problème : le site web du collectif, qui tenait lieu de carnet de bord, a planté il y a un an. « On avait toute l’histoire de la lutte », se désole Bertrand Raimbeau, occupé à retracer la chronologie de ces dix années.
Photo bannière : Situé à Seiches-sur-le-Loir, le domaine de Boudré a failli être vendu par le département de Maine-et-Loire pour renflouer ses caisses. Crédit photo : Maxime Pionneau
Merci pour ce bon article qui retrace bien l’histoire de la lutte depuis 10 ans