Dans le nord du Loir-et-Cher, des artisans récupèrent leur matière première, les fruits, dans des vergers abandonnés. Des récoltes sans conflits entre les propriétaires des arbres et ces glaneurs qui défendent un autre rapport à la terre.
Les branches ploient sous la quantité de fruits. À les voir ainsi s’arcbouter sous le poids des pommes, on en déduit que c’est une bonne année. La charge, la forme tombante, les pousses, tout indique que les arbres n’ont pas été taillés depuis longtemps, cinq à dix ans vraisemblablement. Au sol, les ronces, les orties, les pousses d’arbustes se mêlent aux fruits.
Dans le nord du Loir-et-Cher, une région longtemps cidricole dont l’activité a peu à peu diminué, les arbres sont restés, tombant peu à peu en désuétude. Un peu partout dans le secteur, et ailleurs en France, on trouve des vergers comme celui-ci, non entretenus voire abandonnés.
Approvisionnement local
En cette fin de journée d’automne, au milieu de ces pommiers percherons, Flavie Paillat est en plein glanage. Munie de ses seaux, la cidrière termine le ramassage au milieu des broussailles. « Il y a énormément de vergers qui ne sont pas entretenus, dont les fruits ne sont pas ramassés », explique la trentenaire, dont le débit de parole rapide traduit son empressement.
Celle-ci a installé sa micro-cidrerie dans le sud du département, à Thésée, en 2020. Depuis, elle a fait du nord du Loir-et-Cher son terrain de jeu. « Je ne trouvais pas vraiment de sens à créer une micro-cidrerie et à aller ramasser ou acheter des pommes à cidre en Normandie ou en Bretagne. Ce n’était pas cohérent », souligne-t-elle. Une manière choisie et assumée de privilégier un approvisionnement local et de récupérer des fruits qui se seraient autrement gâtés.
« J’ai toujours glané »
Le glanage s’est imposé comme une évidence pour celle qui, seule sur son activité, ne se voyait pas acheter et entretenir un verger. « J’ai toujours glané : des petits fruits pour faire des confitures, des baies, des coings pour faire des pâtes de fruits, des gelées. Ça me paraissait déjà spontané à l’époque. »
Au début de l’été 2020, après avoir fini une formation cidricole, elle a connaissance via un agriculteur du coin de vergers de pommes à cidre non exploités. Et en découvre petit à petit de nouveaux. « Et quand j’ai vu le volume d’arbres que cela représentait – c’est un tout petit volume mais quand même – je me suis dit que j’avais largement le tonnage qu’il me fallait pour élaborer ce que je souhaitais. » Soit une autre approche de la terre et du territoire, de son métier aussi.
Une pratique tombée en désuétude
Depuis le Moyen-Âge, le glanage autorise les individus à se rendre sur le terrain d’un autre, avec son accord, et après la récolte, pour récupérer ce qu’il reste. « Autrefois, c’était pour les personnes qui étaient très démunis », note la cidrière, alors qu’une fine pluie recouvre doucement les pommiers.
La pratique est peu à peu tombée en désuétude pour de nombreuses raisons comme la mécanisation des campagnes, la spéculation foncière ou encore les changements d’habitudes alimentaires. Rare sont les artisans, à l’instar de Flavie Paillat, qui y recourent pour utiliser ensuite les denrées dans leur production.
Entente avec les propriétaires
Clément Durepaire, salarié agricole en passe de s’installer, glane quant à lui des poires destinées à la fabrication du poiré, avec un vigneron et un chef cuisinier. Il a aidé Flavie Paillat à mieux appréhender la zone. « Pour pouvoir glaner, il est nécessaire de bien connaître son territoire », note ce passionné, fin connaisseur des vergers et des variétés du coin.
Ensuite, il faut rencontrer les premiers concernés, ceux qui possèdent ces arbres abandonnés afin d’obtenir leur autorisation. « Ce sont parfois des personnes qui faisaient du cidre et qui n’en ont plus le temps ou l’énergie, note Flavie Paillat. Beaucoup sont très contents de se dire que ça ne pourrira pas cette année, que ça va être exploité. »
Clément Durepaire ajoute : « La majorité des propriétaires de vergers se demandent pourquoi on vient chercher des poires immangeables [elles peuvent avoir un goût astringent, ndlr] mais, au final les trois quarts acceptent et sont sensibles à notre démarche », explique-t-il.
Adaptation et créativité
Dans le verger, on entend de temps à autre, une pomme tomber. Les oiseaux chantent. Mais l’artisane, elle, est débordée. Elle croule sous les demandes et n’a plus le temps de passer ramasser les fruits partout. « Il y a plus de fruits que ce dont j’ai besoin. Je n’exploite pas tout. Certaines variétés m’intéressent moins. Des fois, je vais passer une fois, ou deux pour ramasser, selon ce que j’élabore, ce que je fais. »
Aucune journée ne se ressemble. A l’automne, les ramassages se succèdent. Parfois, il faut passer jusqu’à quatre fois dans un verger dans la saison, tant les fruits sont nombreux. Certains sont directement pressés, d’autres stockés dans des palox. « Ce n’est pas comme une récolte, on ne va pas trouver tout ce dont on a besoin à un moment donné. On se déplace. On fait comme des sauts de puce, pour ramasser des fruits qui n’ont pas de destination. »
Il faut aussi s’adapter à ce que l’on trouve et faire preuve de créativité. « Le principe de mon métier, c’est aussi être sensible à ce qui se passe. Avec le glanage, je ne vais pas pouvoir refaire une recette. Cette année par exemple, il y a plein de pommes. Eh bien, on fait quelque chose avec la pomme. Alors que l’an dernier, il y en avait zéro, pas de quoi faire une tarte. S’il n’y a pas de coings, il n’y aura pas de jus pomme-coing, par exemple. »
Les produits et les saveurs ne se ressemblent jamais d’une année à l’autre. Les proportions varient tout comme les variétés, ce qui change la dynamique par rapport à une ferme cidricole.
Préserver des variétés ancestrales
Comme le souligne un rapport du Sénat, alors que de nombreux vergers sont arrachés chaque année, ces derniers constituent « des biotopes où flore et faune coexistent de façon équilibrée sur le long terme ». Ramasser ces fruits, c’est aussi préserver un territoire, un terroir, des variétés ancestrales, des arbres qui ont aussi souvent plus d’une centaine d’années.
« Avec le glanage, on essaie de faire prendre conscience aux gens de l’importance de ces variétés locales qui se trouvent dans un rayon de 40 km. On leur explique leurs caractéristiques particulières, leurs utilités anciennes et cela permet de redonner un second souffle, une seconde utilité à ces arbres domestiqué, les fruitiers. On la chance d’avoir un territoire avec encore de l’élevage, les fruitiers ont leur place. Certaines variétés sont quasi-uniques à notre coin », note Clément Durepaire. Et de leur démarche découlent parfois des retombées positives pour le territoire : « Certains propriétaires se remettent même à en planter. »
Photo bannière : Le glanage, tombé en désuétude, est de nouveau pratiqué par des artisans. Crédit photo : Toinon Debenne
0 commentaires