En plus d’être vice-présidente de France nature environnement, Cécile Claveirole représente son ONG au Conseil économique social et environnemental, le Cese, et suit tous les travaux concernant l’agriculture. Rapporteure d’une longue étude sur le foncier adoptée par l’assemblée constitutionnelle en 2023, elle revient sur les préconisations du rapport, plus que jamais brulantes, à la veille de l’examen de la loi d’orientation agricole.
Quel était le but du rapport produit par le Cese Du sol au foncier, des fonctions aux usages, quelle politique foncière ? dont vous êtes la rapporteure ?
Cécile Claveirole : On pourrait presque dire que l’objectif unique, c’était de remettre le sol à sa place, à sa place primordiale qui est la vie, et aussi qui est la base de la production alimentaire. Et donc, puisque le sol est la base de la vie, il faut le protéger. Il faut protéger ses vocations, sa vocation agricole, et le lier aussi aux façons dont on l’utilise, aux façons dont on l’exploite, certaines fois, à mauvais escient.
J’ai réussi à faire entrer dans ce texte quelques notions, même si c’est par petites touches, à l’instar de « la terre sacrée, c’est notre terre-mère » comme le considéraient les Amérindiens – la terre est un milieu nourricier dont on dépend absolument. J’ai aussi réussi à parler des interdépendances entre les êtres vivants, que ce soit ceux qui vivent dans le sol, ceux qui vivent sur le sol, et à nous considérer, comme Philippe Descola le décrit beaucoup mieux que moi, comme une particule de ce monde vivant et non pas comme un animal à part, qui dominerait tout le reste.
L’idée de remettre le vivant au cœur de cette étude se faisait plus prégnante en raison des tensions qui dominent autour du foncier ?
Les tensions se faisaient plus nombreuses que jamais et l’artificialisation des terres de plus en plus invasive. La loi ZAN (Zéro artificialisation nette) était parue – elle va enfin dans le bon sens – mais elle était déjà contestée. En 2020, on avait fait une photo de famille assez étonnante, au salon de l’Agriculture, sur le stand des affaires, où étaient réunies toutes les parties prenantes concernées par le foncier. De la FNSEA, à la Confédération Paysanne en passant par FNE, toutes les organisations demandaient une nouvelle loi foncière afin de prendre en compte cette question du sol. Et cette loi foncière, le dernier gouvernement Macron n’en voulait pas et n’en veut toujours pas d’ailleurs. C’était donc devenu un sujet prégnant.
L’intention du rapport était donc de remettre les outils législatifs au cœur des débats pour que les élus s’en emparent ? Cette fameuse loi ZAN par exemple ?
C’est ça, parce qu’on fait souvent le constat, dans nos travaux au Cese, que la plupart des outils existent. On a beaucoup de lois en France et beaucoup ne sont pas appliquées. Comme dans le cas du foncier et des taxes sur les logements vacants par exemple.
Donc au lieu de dire qu’il faut refaire de nouvelles lois, il faudrait déjà appliquer celles qui existent et qui sont intéressantes. Comme, par exemple, ces taxes sur les fonciers non bâtis, sur les fonciers qui changent de destination, qui deviennent agricoles, inconstructibles, et surtout qui font que des propriétaires multiplient par 100 ou 150 leurs pactoles en vendant ces terrains devenus constructibles.
Vos préconisations mettent le doigt sur les inégalités de territoire donc ?
Il y a ces taxes qui existent, dont certaines sont facultatives, et qui sont dérisoires en fait par rapport aux gains faits par les propriétaires. Et puis, il y a le fait que ce soit une injustice sociale flagrante : c’est-à-dire que, selon que vous êtes né riche ou misérable, en couronne de Paris ou de Bordeaux ou bien au fin fond de la Corrèze ou de la Creuse, on sait bien vous n’aurez aucune chance que votre terrain devienne constructible un jour ou l’autre. Donc, il y a une sorte de déséquilibre à rétablir. Et dans ce cas, diminuer fortement l’intérêt que des terrains passent constructibles pour faire un bénéfice important dessus.
Et quel pouvoir avez-vous donné avec cet avis ?
Le Cese est, par définition dans la Constitution, une assemblée consultative. Celle-ci émet des avis dont peuvent s’emparer les gouvernements et les parlementaires. Nous avons donc le pouvoir d’aller leur présenter nos travaux, d’aller leur expliquer ce que l’on souhaite, en tout cas ce qu’on a écrit. Ensuite, le pouvoir est entre les mains de l’exécutif et des parlementaires.
Nous n’avons pas le pouvoir de leur dire : « c’est ça qu’il faut prendre ». On fait le boulot pour leur dire : « voilà ce que pense la société civile sur tel et tel sujet, voilà ce dont vous pourriez vous emparer. » Soit ils le font – comme c’est le cas des députés LFI, écologistes et socialistes avec cette préconisation particulière – soit ils ne le font pas.
Et de cet avis et ces préconisations, le gouvernement entend votre point de vue ?
On a plus ou moins d’écoute. Quand cet avis a été adopté par l’assemblée plénière, je suis allée le présenter au ministère, mais j’ai été reçue par Mme Faure qui était à l’époque secrétaire d’État chargée des Collectivités territoriales et de la Ruralité, et pas du tout par le ministre de l’Agriculture, qui n’en avait rien à faire. Sur le foncier, les portes ne se sont pas ouvertes.
Parce que cela dépend des sujets, mais aussi des gouvernements. Et celui-ci n’avait pas la volonté d’écouter ce qu’on avait à dire sur ce sujet-là, qui de toute façon était un non-sujet puisqu’il ne voulait pas faire de loi sur le foncier.
Avec la loi d’orientation agricole, on va quand même y revenir d’une manière ou d’une autre… Ils ne veulent pas rouvrir le dossier foncier, mais alors, comment fait-on pour installer des agriculteurs sans règlementation foncière ?
Le destin des sols est donc entre les mains des élus malgré tout ?
Certains députés portent le fait d’abroger le ZAN ou, en tout cas, d’en enlever tout le contenu sous prétexte que les maires disent que ce n’est pas possible de l’appliquer, ce qui n’est pas vrai. Des maires, des municipalités, des intercommunalités se sont saisis du sujet et appliquent déjà le ZAN, donc ce n’est pas impossible. Il faut une volonté politique.
En fait, ceux qui disent que ce n’est pas possible, c’est qu’ils ne veulent pas, c’est qu’ils veulent continuer à construire, à bétonner, à faire des routes et des constructions sans se casser la tête. Et sans réfléchir à comment on aménage ce qui existe aujourd’hui et comment on préserve ce dont on a besoin pour demain.
En fait, on dit toujours, quand on veut se séparer de son chien, qu’il a la rage. C’est exactement ça. On dit que ce n’est pas possible d’appliquer la loi et on dit qu’il faut l’abroger. Or, ce n’est pas la réalité.
Le foncier est donc une histoire éminemment politique ?
Alors, parfois, même quand il y a une volonté d’avancer, c’est vrai qu’il y a des zones grises. Bien sûr que c’est complexe. Et c’est vraiment de faire se parler les gens et de leur faire dire ce qu’ils veulent, vraiment en les écoutant, que l’on y parviendra. Ce qui rend optimiste, c’est de voir qu’il y a des communes, des intercommunalités qui font des choses positives. Je pense qu’il faut se baser sur l’intelligence humaine, l’intelligence du cœur, et je crois qu’il y aura toujours des gens pour avoir envie de faire des choses ensemble, des choses constructives.
Alors, si on n’est pas aidé par la loi, c’est dommage. Parce que la loi, elle doit être là pour être à la fois un peu incitative et un peu coercitive, pour arrêter de détruire. Mais on peut se réjouir, et aussi inciter les gens à faire des exemples, à faire des expérimentations, à se dire : « tout n’est pas perdu, on peut y aller ».
Photo bannière : Cécile Claveirole a travaillé sur la question de l’artificialisation des sols au Cese. Crédit photo : Giovanni Del Brenna
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