Depuis 2020, le collectif La Tête dans le sable s’organise pour lutter contre l’extension de deux carrières de sable au sud de Nantes, dont bénéficient les maraîchers industriels locaux. Un des projets a été mis sur pause début 2024, mais la lutte ne faiblit pas.
« Lafarge abandonne ! » Depuis l’estrade sur laquelle elle est juchée, Marie Nicolas, l’une des porte-parole de l’association La Tête dans le sable, cherche à répandre cette bonne nouvelle. Une nuée d’applaudissements lui répond. « On est fier et on vous remercie », ajoute-elle, micro en main, un peu tremblante d’émotions, en ce samedi de mobilisation de fin septembre, à Saint-Colomban au sud de Nantes.
Il s’agit d’une victoire pour l’association après quatre ans de lutte. C’est en 2020 que La Tête dans le sable a commencé à agréger des citoyens de Saint-Colomban et de Saint-Aignan de Grand-Lieu et d’autres sympathisants, inquiets des appétits d’extension de deux carrières de sable locales. Saint-Colomban, située à une vingtaine de kilomètres de Nantes, héberge deux sablières : l’une de Lafarge sur 49 hectares, en activité depuis 2008 ; l’autre de GSM, sur 65 hectares, en activité depuis 2001.
Ensemble, elles ont déjà extrait plus de 12 millions de tonnes de sable des sous-sols, où cette matière a mis des dizaines, voire des centaines de milliers d’années, à se former à partir de sédiments. Une ressource non renouvelable. En 2019, les deux entreprises arrivant au terme de leur exploitation avaient annoncé leur souhait de s’agrandir : sur 62 hectares pour GSM pour un maximum de 400 000 tonnes de sable extraites par an ; sur 36 hectares pour Lafarge pour un maximum de 350 000 tonnes de sable extraites par an.
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Des premières actions dès 2020
Dès 2020, La Tête dans le sable a lancé des actions. Une randonnée d’abord. Puis une première manifestation, en avril 2021. Plusieurs mouvements s’étaient déjà joints à la mobilisation, dont le collectif des Soulèvements de la Terre, qui s’était donné pour mission de prêter main forte à différentes luttes locales contre l’accaparement de terres. La Tête dans le sable s’est ensuite mobilisée dans le cadre d’une consultation lancée par la municipalité, pour obtenir l’avis des habitants et habitantes sur ces projets d’extension et la modification du plan local d’urbanisme qu’ils entraîneraient. Il s’agissait de requalifier des « espaces agricoles pérennes ».
Début 2022, la consultation a approuvé, à 54,4 % des voix, le projet des carriers et les autorisations. Des résultats restés en travers de la gorge des membres de La Tête dans le sable et d’autres soutiens. L’association avait demandé en vain l’instauration d’une véritable enquête publique sur le sujet. La participation est faible : seuls 36,7 % des inscrits se sont déplacés et le « oui » à la modification du PLU l’a emporté à 54,37 %. Mais la Tête dans le sable a estimé qu’en lisant les résultats différemment, 46,6 % personnes avaient également apporté de la légitimité à ses préoccupations. L’association a continué son combat.
L’appétit de sable et de terres des maraîchers industriels
En juillet 2022, plus de 700 personnes se sont réunies pour redire « non » aux extensions de carrière de sable. Le lien a été fait plus étroitement avec l’un des secteurs bénéficiaires de ces agrandissements : les maraîchers « industriels » du pays nantais, qui cultivent mâche, carottes et poireaux sur sable. Ils achètent au moins 30 % du sable extrait sur place. Et s’accaparent par ailleurs eux aussi des terres agricoles pour des projets gigantesques, avec le déploiement de leurs « grands abris plastiques », nom officiel de leurs serres à l’énorme gabarit.
Les petites parcelles du bocage au sud de la Loire ont progressivement été réunies pour y étendre une « mer de plastique ». En Loire-Atlantique, les surfaces dédiées à l’agro-industrie légumière ont augmenté de 24 % entre 2010 et 2021, a calculé La Tête dans le sable. « Cet accaparement foncier concentre les terres aux mains de quelques grosses sociétés qui contournent les régulations foncières, dénonce-t-elle. Par des montages juridiques complexes, quelques familles possèdent une myriades de sociétés et accumulent chaque jour un peu plus de terres, d’aides publiques et de capital. »
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2024, un tournant dans la lutte
Cette année a marqué un tournant dans la lutte. Début janvier 2024, Lafarge a annoncé l’abandon de son projet d’extension. « Compte tenu du contexte économique difficile pour la construction et de contraintes techniques, Lafarge Granulats a décidé de reconsidérer le calendrier de son projet d’extension de la carrière de Saint-Colomban », a déclaré l’entreprise. L’heure est donc à la célébration à Saint-Colomban pour cette nouvelle « manif’action » de fin septembre.
Mais si La Tête dans le sable fait applaudir ce recul, l’association reste sur ses gardes. « Lafarge reviendra certainement un jour, le gisement est trop beau », pointe Marie Nicolas. Surtout, il reste à lutter contre l’extension de carrière de GSM ! La Tête dans le sable a justement installé une « zone de contribution massive » pour participer à l’enquête publique en cours sur ce projet, prolongée à la demande des riverain et riveraines jusqu’au 25 octobre. « On ne se fait pas trop d’illusion non plus sur l’issue, prévient Marie Nicolas. Mais on dénonce les mensonges répandus par nos élus locaux. »
Reprendre le sable aux maraîchers pour le rendre à la terre
Un convoi démarre, précédé de paysans et paysannes locaux en tracteur qui ont toujours été présents dans la lutte. En tête de cortège, une banderole reprend les codes des panneaux d’entrée des communes et annonce de manière dystopique « Saint-Colomban-Plage ». Des slogans sont entonnés en chanson : « GSM dégage, résistance au sabotage », « Pas de sable pour la salade, pas de bâche pour la mâche ».
Sur le tract d’appel à manifester, il était mentionné de venir équipé de seaux et de pelles. Ceux-ci se sont avérés utiles dès le premier arrêt du cortège aux abord d’une exploitation maraîchère, où un tas de sable s’élève devant les serres en attendant d’être répandu. L’idée ? Reprendre le sable des maraîchers pour le rendre à la terre. Des chaînes humaines se constituent alors pour faire passer les seaux remplis de sable et les déverser dans les remorques des tracteurs.
« On reviendra »
Retour à l’envoyeur vers 16 h. Devant les grilles de la carrière GSM, où les forces de l’ordre sont nombreuses à s’être retranchées derrière, les manifestants et manifestantes déversent les seaux de sable. Puis les bennes se soulèvent pour ne pas en laisser un grain. « Il n’avait rien à faire sur une culture maraîchère. Le sable, on préfère l’avoir dans le sous-sol », commente un des membres des Soulèvements de la terre. Des déchets plastiques pris sur l’une des exploitations maraîchères sont également accrochés aux grilles, pour montrer la quantité utilisées par ce type de maraîchage. En fin d’après-midi, la manifestation tente encore une incursion sur les terres du maraîcher Vinet, mais rebrousse chemin face à l’emploi des gaz lacrymogènes tirés par les gendarmes.
« On reviendra, pour faire annuler le projet d’extension de GSM, pour demander un moratoire sur les carrières de sable en Loire-Atlantique, pour démanteler les géants de l’industrie légumière et redistribuer les terres accaparées aux paysans et paysannes du territoire », s’époumone encore Marie Nicolas, infatigable, dans le mégaphone qu’elle a gardé en main tout au long de l’après-midi. D’autres projets d’agrandissement, de réouverture et de création de carrières sont prévus en Loire-Atlantique et également contestés, comme celui de Soudan. Là aussi, la lutte perdure, depuis 2018 : un recours est prévu contre l’autorisation préfectorale émise le 5 septembre pour l’extension d’une sablière.
Photo bannière : La Tête dans le sable organisait une mobilisation pour lutter contre l’extension de deux carrières de sable au sud de Nantes. Crédit photo : Mathilde Doiezie
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