Remembrement : à travers champs

de Benjamin Rullier

Que reste-t-il d’avant le remembrement ? Ces dix images nous emmènent en promenade entre les parcelles agricoles du sud-est du Maine-et-Loire à la recherche de frêles poches de végétation qui contrastent avec les grandes étendues cultivées. Rangées de broussailles délimitant les parcelles, arbres esseulés parmi les champs de maïs, bosquets sauvages le long des chemins de terre, certains sont des rescapés d’une époque pas si lointaine où les surfaces agricoles étaient plus petites, morcelées, entrecoupées de mares, de bois et de haies. Comme un écho, ces photographies s’accompagnent des mots de Christine Chartrain, ancienne agricultrice de Charcé-Saint-Ellier-sur-Aubance, dont le mari Henri a été missionné pour organiser le remembrement autour de son hameau. Témoin de la profonde transformation que le remembrement a marquée sur son territoire, elle offre un regard nuancé, tendre et humain de ce moment charnière pour l’agriculture.

"Papa, il est parti en renbremen !"

Je me rappelle que mon fils Didier était petit et quand quelqu’un venait à la ferme demander son père, il disait : « papa, il est parti en renbremen ! » Henri faisait partie du conseil municipal, le remembrement a été voté et il a été missionné pour aller voir tous ceux qui avaient des terres autour du village. Ça a été une grande aventure parce que les années 70 étaient encore des années où les anciens avaient hérité de petits lopins et ils avaient peur de ce que ça allait donner. Est-ce qu’on va avoir la même grandeur ? Comment ça va se passer ? Où est-ce que vous allez nous mettre ? Chez nous ça va être quoi ? Ça va partir d’où jusqu’à où ?

Henri, il en a passé des nuits sans dormir. Il discutait, il proposait mais il n’était pas seul à définir. Ça passait en commission, mais lui avait été missionné pour faire avancer les agriculteurs dans l’idée que ça allait se faire. Il en a été malade, parce qu’il voulait contenter tout le monde. Il en a beaucoup souffert.

Il y avait des agriculteurs qui n’étaient pas très bien ensemble, alors chacun demandait à Henri ce que l’autre avait dit, avait fait comme demande. C’était des guéguerres d’histoires anciennes qui remontaient. Des fois, ça le saoulait, et des fois, intérieurement, il avait envie de rire.

"Henri se faisait enguirlander"

Avant, le chemin passait derrière la grange. Et à partir du remembrement, on a fait de grands fossés. Pour les faire, il a fallu construire des routes. Henri se faisait enguirlander. On lui disait : « Ça va nous amener des frais, la commune va devoir payer tout ça. On était bien mieux avant. » Une fois que ça a été lancé, ça s’est fait assez vite. Peut-être en deux ans.

"Henri a failli démissionner"

Là où ça a fait polémique, c’est de l’autre côté, parce qu’on a récupéré un terrain dont personne ne voulait. Et après quelques années, on l’a mis en construction parce que le maire voulait qu’on construise dans les villages. Et là, on s’en est pris plein. On a reçu des lettres anonymes, comme quoi on se serait servi. Tu parles, personne ne voulait de ce truc-là. Henri a failli démissionner à ce moment-là.

"On a fait plus de blé"

Nous, on a mis toutes les terres derrière chez nous. On avait des bêtes, on avait encore des prés et comme Henri n’avait jamais aimé les bêtes, ça l’a bien arrangé. Il a arraché toutes les clôtures, on a labouré et on a tout mis en culture. On aimait bien traîner et il n’y avait jamais moyen avec les vaches. On a fait plus de blé, des cultures.

"On a tout arraché"

Moi ça me chagrinait un petit peu. On a tout arraché, il n’y avait plus rien. Avant, il y avait des vignes dans le milieu des terrains, avec des fruitiers, des haies. Je disais à Henri : « Tu parles que ça fait plat, désert. » Mais bon, avec le matériel, c’était guère possible de faire autrement, il fallait bien faire des parcelles plus grandes.

Il a fallu changer le matériel, acheter des engins plus costauds, donc ça n’a pas forcément enrichi l’agriculteur. Et puis, ça fait des frais communaux. Mais enfin bon, c’était l’époque du remembrement, il fallait des grandes parcelles, des grands fossés.

Après le remembrement, on se voyait bien moins. C’était à coup de tracteurs, à coups de machins. Moi je trouve que ça a coupé l’amitié. Les gens avaient grand, ils étaient préoccupés par leurs champs. Avant, on allait à pied dans les champs, on se croisait. Après, on ne se voyait plus. Autour de chez nous, il y avait cinq agriculteurs. Maintenant, il n’y en a plus un seul dans le village.