Henri, il en a passé des nuits sans dormir. Il discutait, il proposait mais il n’était pas seul à définir. Ça passait en commission, mais lui avait été missionné pour faire avancer les agriculteurs dans l’idée que ça allait se faire. Il en a été malade, parce qu’il voulait contenter tout le monde. Il en a beaucoup souffert.
Il y avait des agriculteurs qui n’étaient pas très bien ensemble, alors chacun demandait à Henri ce que l’autre avait dit, avait fait comme demande. C’était des guéguerres d’histoires anciennes qui remontaient. Des fois, ça le saoulait, et des fois, intérieurement, il avait envie de rire.
Il a fallu changer le matériel, acheter des engins plus costauds, donc ça n’a pas forcément enrichi l’agriculteur. Et puis, ça fait des frais communaux. Mais enfin bon, c’était l’époque du remembrement, il fallait des grandes parcelles, des grands fossés.
Après le remembrement, on se voyait bien moins. C’était à coup de tracteurs, à coups de machins. Moi je trouve que ça a coupé l’amitié. Les gens avaient grand, ils étaient préoccupés par leurs champs. Avant, on allait à pied dans les champs, on se croisait. Après, on ne se voyait plus. Autour de chez nous, il y avait cinq agriculteurs. Maintenant, il n’y en a plus un seul dans le village.
"le tracteur tournait jour et nuit"
On faisait partie de la Cuma, ça permettait d’avoir un gros tracteur et que tout le monde n’investisse pas. Quand il y avait les labours d’hiver, Henri faisait un jour et demi sans s’arrêter, pour être sûr que tout le monde puisse labourer, que personne ne soit pénalisé si le temps tournait mal. Le tracteur tournait jour et nuit. Il partait le matin et il fallait que le déjeuner soit prêt. Une fois, j’avais pas mis de sel dans la soupe le midi. Je m’en suis rendu compte après et quand je lui ai dit le soir, il m’a dit : « Oh bah j’en sais rien. Tu crois que j’avais le temps de voir si c’était salé ? » Ça m’a fait rire.