En lutte contre les « projets à la con » qui accaparent les terres

par | 1 Nov 2024 | 11/2024, Agriculture

L’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, l’autoroute A69 ou encore les mégabassines de Sainte-Soline sont devenus des symboles des mégaprojets qui accaparent des terres et détruisent des écosystèmes. Partout en France, l’artificialisation des sols progresse au détriment des terres agricoles et des espaces naturels. Mais à l’instar du collectif Luttes locales Centre, dans le Centre-Val de Loire, des citoyens, loin d’avoir dit leur dernier mot, s’organisent et luttent ensemble.

La France perdrait chaque année 20 000 à 30 000 hectares d’espaces naturels, agricoles et forestiers sous la pression des activités humaines, selon des données publiques. Soit, d’ici 2030, 280 000 hectares de terres artificialisées, plus que la superficie du Luxembourg.

Des chiffres sous-estimés selon des associations, à l’instar de Terre de liens qui évoque plutôt 57 600 hectares artificialisés : « C’est une surface équivalente à plus de cinq villes comme Paris qui, chaque année et depuis quarante ans, perd ses fonctions agricoles et environnementales. » L’association, qui s’évertue à préserver les terres agricoles, indique que ces dernières sont d’ailleurs les premières victimes de ces infrastructures destinées aux activités économiques et aux transports.

Des entrepôts remplacent les champs

Si des projets médiatiques comme celui de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique) ou le méga-complexe d’Europacity (Val-d’Oise) ont été abandonnés, beaucoup d’autres, parfois plus petits, moins médiatisés, naissent chaque jour sur le territoire. Des routes, des centres commerciaux, des infrastructures en tout genre qui emportent avec eux toujours plus d’hectares de terres agricoles, d’espaces forestiers ou naturels et détruisent des écosystèmes.

Dans le Centre-Val de Loire, à Bourges, à Vierzon, à Romorantin et ailleurs, les plateformes logistiques poussent comme des champignons. « C’est un problème récurrent dans la région », confirme Noé Petit. Candidat écologiste pour la Nupes, puis le Nouveau Front populaire lors des élections législatives de 2022 et 2024, le militant de 20 ans a fondé l’association À bas le béton.

Les plateformes logistiques poussent comme des champignons dans la région. Crédit photo : Luttes locales Centre

Avec une centaine d’adhérents à son actif, celle-ci lutte contre plusieurs projets de plateformes logistiques à Mer. La commune de 6 200 habitants, dans le Loir-et-Cher, en compte déjà une dizaine et elles pourraient être encore plus nombreuses à l’avenir. « Ces projets viennent détériorer le territoire pour stocker des produits de l’autre bout du monde », commente l’activiste, qui dénonce, en plus des impacts écologiques, les apports « ridicules » en termes d’emplois : « On y embauche trois fois moins que ce qu’on promet. »

En octobre 2024, l’association a revendiqué sa première victoire juridique, après le dépôt de plusieurs recours. Le tribunal administratif d’Orléans a notamment ordonné à la société Panhard de modifier son projet d’installation de trois entrepôts logistiques, comme l’explique France 3.

Un collectif contre l’accaparement des terres

Autour de cette lutte contre les plateformes logistiques qui gangrènent la région est né en 2022 un collectif, Luttes locales Centre, qui s’attaque à un panel de projets plus large : déboisement, construction de lotissements, de routes, de méga-exploitations, etc. Une petite vingtaine d’associations locales l’ont rejoint.

« Notre axe principal, c’est la lutte contre l’accaparement des terres pour des projets nuisibles. Il y a une course à l’accaparement des terres en fonction de ce que la loi permet et pas par rapport à des besoins », explique Katherine Fauvin, membre du collectif et de La Loire Vivra, qui s’oppose au contournement ouest d’Orléans, dans le Loiret.

Selon l’antenne Centre-Val de Loire de Terre de liens, le changement de fonction des terres, entre 2010 et 2015, a entraîné la perte de 23 000 hectares de sols agricoles et l’artificialisation de 17 000 hectares dans la région. Environ 7 % des terres agricoles ont disparu depuis quarante ans, soit cinq fois la superficie de la métropole de Tours. « Des projets « à la con », il y en a partout », constate Noé Petit.

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Quelques batailles victorieuses

La lutte semble infinie face à ces infrastructures qui fleurissent chaque année, mais les membres de Luttes locales Centre ne baissent pas les bras. Ensemble, ils s’efforcent d’effectuer une veille médiatique pour identifier les projets, entrent en contact avec les riverains démunis, se saisissent d’outils comme les enquêtes publiques et les recours via certaines de leurs associations, organisent la mobilisation sur les réseaux sociaux et médiatisent ces histoires.

« Dans 90 % du collectif, on est entre nous, les gauchos, reconnaît Noé Petit. Mais il y a aussi des riverains aux profils très variés : du notable inquiet pour son patrimoine, à des personnes du milieu ouvrier avec un discours syndical. Notre noyau dur se positionne en opposition aux élus corrompus et aux promoteurs avides d’argent. »

Le collectif peut se targuer de quelques victoires à son actif : l’abandon d’une plateforme logistique et d’un complexe touristique avec golf dans le Loir-et-Cher ou encore celui d’un parc photovoltaïque en Indre-et-Loire.

Au nord-ouest de Tours, à Semblançay, c’est en effet un projet agrivoltaïque d’un groupe privé qui a mis le feu aux poudres. La société Sunti prévoyait d’installer près de 80 000 panneaux solaires et d’y faire pâturer des ovins. « Je ne suis pas contre les panneaux photovoltaïques, précise Noé Petit. Mais il faut être vigilant sur les sites où on les implante. »

En l’occurrence, c’est un bois de pins et de chênes de 44 hectares au bord de la départementale 959 qui menaçait d’être rasé pour accueillir ce projet.

Le projet de Semblançay prévoyait de raser un bois pour y installer un projet agrivoltaïque. Crédit photo : Toinon Debenne

Une alerte lancée par une élue

Peggy Plou, élue de la communauté de communes Gâtine-Racan, au nord-ouest de Tours, a lancé l’alerte lorsqu’elle a eu vent de ce projet de défrichement, lors d’une réunion communautaire. « On ne peut pas couper des arbres. Aujourd’hui, ce n’est pas possible », répète celle qui habite depuis longtemps la commune et connaît parfaitement les lieux.

Dès lors, elle se met à en parler autour d’elle, aux élus d’abord, aux citoyens qui n’en savent rien ensuite, sans pour autant percevoir chez eux de préoccupation. « J’ai contacté Noé Petit et on a établi un plan de com’ », explique-t-elle.

La lutte se construit. Les opposants au parc photovoltaïque mettent en avant le fait que ce « projet serait refusé en 2024 avec la nouvelle loi sur les énergies renouvelables qui interdira le déboisement pour implanter des panneaux photovoltaïques ». Une pétition est lancée et reçoit 695 signatures. La mobilisation gagne les réseaux sociaux. « Ça a pris une belle ampleur et la lutte a été médiatisée, poursuit l’élue. C’est aussi une histoire de rencontres. On est arrivés à plusieurs et on a pu se mobiliser à plusieurs endroits différents. »

La mission régionale d’autorité environnementale du Centre-Val de Loire alerte sur le choix de localisation du projet, la productivité des espèces de chênes et de pins de la parcelle, l’absence de solutions de substitution ou encore le manque de garantie sur l’organisation de l’exploitation agricole. L’enquête publique demandant l’autorisation de défricher aboutit, quant à elle, à un avis défavorable du commissaire-enquêteur.

David contre Goliath

Après avoir remporté cette première bataille, Peggy Plou reste prudente. « Je vais continuer à être alerte, à observer le bois. […] Je ne pense pas que ce soit totalement arrêté. Le conseil municipal a émis un avis favorable et la préfecture a émis un avis défavorable. Mais pour moi, le projet est juste endormi. Je suis sûre que le dossier ressortira d’une manière ou d’une autre après les élections municipales, peut-être sur un autre espace. »

Peggy Plou a lancé l’alerte lorsqu’elle a eu vent du projet. Crédit photo : Toinon Debenne

Car dans les communes des alentours, comme celle limitrophe de Sonzay, les projets de ce type continuent de se multiplier. Certains élus « se dédouanent en se disant, il y aura bien des écolos qui feront le boulot, estime Peggy Plou. S’il faut qu’on fasse du lobby pour arrêter ces projets, on le fera ».

Se restructurer

La prochaine bataille contre l’accaparement des terres concernera l’extension du golf de Bordes dans le Loir-et-Cher. Un pôle de tourisme de grande ampleur, avec un hôtel cinq étoiles pourrait y sortir de terre.

Pour avancer, le collectif cherche à se restructurer : « On lance une enquête régionale, autour des enjeux économiques, politiques, écologiques, pour voir comment tous ces projets pourraient être bloqués », explique Katherine Fauvin. Noé Petit, lui, rêve de transformer le collectif en « une association loi 1901, avec un avocat, où on cale une équipe en fonction des besoins. La grosse difficulté, c’est de trouver des fonds pour se structurer ».

Mais leur souhait serait que chacun s’empare des enjeux d’artificialisation des terres. « Les petites luttes sont importantes car elles relèvent d’un mécanisme plus global », note Katherine Fauvin. « Il y a du monde pour se mobiliser sur les grosses manifestations, pour les grandes causes, alors qu’on est souvent trois sur des « projets à la con » sur le territoire. Soyez vigilants et menez la lutte dans les territoires, exhorte de son côté Noé Petit. Chaque ville à son « projet à la con ». »

Photo bannière : Le collectif Luttes locales Centre bataille contre les projets nuisibles qui accaparent les terres. Crédit photo : Luttes locales Centre

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