Alexandre, un « semeur » face au pilleur de terres du Puy du Fou

par | 1 Nov 2024 | 11/2024, Agriculture

Paysan voisin du parc d’attractions vendéen, Alexandre, 30 ans, s’est donné pour mission de faire de sa ferme un îlot d’agriculture alternatif et festif, face au géant du tourisme au fort appétit de terres agricoles.

« Quand j’étais petit, j’étais réveillé par les chants des coqs. Maintenant, c’est au bruit des souffleurs de feuilles sur les parkings. » Cette évolution des matinées d’Alexandre Bridonneau en dit long sur ce qu’il s’est passé autour de sa ferme, collée puis de plus en plus enserrée au fil des ans par le parc d’attractions du Puy du Fou.

En cette soirée de fin septembre, ce sont les musiques épiques du spectacle de la Cinéscénie et les pétarades des feux d’artifice qui se propagent dans les pâturages d’Alexandre et autour de son corps de ferme. On a l’impression d’être dans les gradins, alors qu’on a plutôt les pieds ancrés dans la terre humide.

Même s’il aimerait se départir du qualificatif, Alexandre fait figure d’irréductible résistant face au géant du tourisme qu’est le Puy du Fou. Crédit photo : Mathilde Doiezie

« Je ne pourrais jamais me résoudre à ce qu’on mette un parking dessus »

Alexandre fait figure d’irréductible résistant face au géant du tourisme, même s’il aimerait bien se départir un peu du qualificatif aujourd’hui. Lui estime simplement remplir son devoir d’amoureux des paysages et de la biodiversité. « J’observe la nature avec tellement d’émotion que je ne pourrais jamais me résoudre à ce qu’on mette un jour un parking dessus », affirme-t-il sans animosité.

Il n’a que 30 ans, mais fait figure de vieux sage qui puise dans une philosophie du quotidien pour continuer de cultiver l’espoir. « Nous ne sommes que de passage sur terre. La nature n’a pas besoin de nous, mais nous, nous avons besoin d’elle », répète-t-il comme un mantra.

Et il en faut, de l’espoir, pour avoir la force de faire face à l’appétit de son voisin. Depuis qu’il est gamin, le Puy du Fou a progressivement grignoté les terres agricoles situées autour du parc. Indéniablement, Alexandre est assis sur un magot que le parc d’attractions serait prêt à racheter à prix d’or. Mais il n’a que faire de cette richesse-là. La richesse qui l’intéresse, c’est celle de la biodiversité autour de l’étang de sa ferme par exemple. « Le préserver, c’est mon obsession », décrit-il.

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Encerclé, mais la tête haute

Coupe brune très rase, gros pull noir au col camionneur, Alexandre a un regard d’aigle qui observe tout au peigne fin. On le sent souvent sur ses gardes quand on lui parle. Il faut dire qu’il a avalé plusieurs couleuvres de la part du Puy du Fou tout au long de son existence. Cet été, il a encore appris que le parc cherchait à acheter 400 hectares de terres agricoles, soit la taille du domaine qu’il possède déjà. « Je vais vraisemblablement avoir 400 hectares du parc devant la ferme et 400 hectares derrière », résume-t-il.

Il se sait encerclé, mais garde la tête haute. Pas vraiment par goût pour la provoc’. Juste en raison de convictions chevillées au corps. En 2019, il a pris la suite de son père – mais aussi de son grand-père et du père de celui-ci encore avant – à la tête de l’exploitation familiale. Il savait dans quoi il s’engageait. Il était conscient qu’il serait un peu une épine dans le pied du Puy du Fou. Un détail qui l’amuse, rappelant que le nom des Épesses, la commune qui accueille le parc, vient justement de ce terme en ancien français.

Mais Alexandre n’a pas cillé et a souhaité emprunter le chemin de l’histoire familiale. « Je suis le dernier à porter le nom Bridonneau. Savoir que je suis le seul à porter cet héritage sur une ferme où la famille a travaillé pendant plusieurs siècles, l’entretenant pour les suivants, ça m’oblige en quelque sorte. » Les fondations de la ferme remontent à avant 1800. Bien avant que Philippe de Villiers ne découvre les ruines du château de Guy II du Puy du Fou en 1977.

Le paysan est encerclé par le parc d’attractions. Crédit photo : Mathilde Doiezie

Seule une ombre au tableau

Son père n’avait pas spécialement encouragé Alexandre à « reprendre la ferme ». Il lui avait même donné interdiction de monter sur un tracteur avant 14 ans, « pour des raisons de sécurité ». Mordu de sport, Alexandre aurait pu emprunter une voie professionnelle pour côtoyer cette passion. « Mais j’étais né dans une ferme. J’avais un goût pour le concret et la préservation de l’environnement », retrace-t-il sous l’une de ses granges, à l’abri de la pluie. Attiré par le rôle du garde-forestier, il s’est finalement formé aux métiers agricoles puis est devenu contrôleur d’exploitations biologiques, avant de s’installer à son tour.

Aujourd’hui, s’il n’y avait ce voisin comme ombre au tableau, il camperait l’un des paysans les plus heureux du monde. Alexandre est satisfait d’avoir mis en place une exploitation qui correspond à sa pratique d’une agriculture respectueuse de l’environnement. Sur 60 hectares, il élève des vaches laitières qui se nourrissent exclusivement d’herbes bio et pâturent dehors toute l’année. Il a mis en place un système pour regrouper les vêlages et lui permettre de faire « le même litrage de lait, en travaillant moins ».
Un système qu’il est ravi de faire découvrir aux curieux et curieuses qui mettent les pieds pour la première fois dans sa ferme, en cette fin septembre. Ce samedi soir, il organise la deuxième édition du festival Les Semeurs de Vendée, lancé en 2022 avec sa sœur Léonie et deux autres camarades. Au programme : le spectacle de l’humoriste et apprenti paysan Nicolas Meyrieux, ainsi qu’un bal folk.

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« Incarner un autre symbole face au gigantisme »

Avec ce festival, Alexandre cherche à démontrer que « c’est possible de s’amuser sans avoir à remplacer la nature par du béton ou par des salles ». Il dénonce « le grand remplacement des terres par l’industrie du loisir ». Il veut proposer « une autre vision du monde », en faisant vibrer les gens avec « les émotions de la vraie vie », par la danse et par le chant, ou en suscitant la réflexion, comme avec le one-man-show convié à la ferme. Des émotions capables de susciter un élan pour mieux protéger l’environnement.

Alexandre veut montrer que d’autres voies sont possibles. Crédit photo : Mathilde Doiezie

Pour lui, c’est « une chance d’incarner un autre symbole, face au gigantisme ». Mais il cherche à tout prix à éviter la confrontation. « Les mots résistance, militant, écolo… ça bloque trop les gens », se rend-il compte aujourd’hui. Il décrit l’évènement comme « apolitique ». « Beaucoup de gens nous ont reproché d’emblée un événement qui serait trop politique, centré contre le Puy du Fou. Mais ce n’est pas du tout notre idée. On ne veut pas incarner le « contre », mais le « pour ». Nous souhaitons juste montrer d’autres voies possibles. »

« C’est la première fois que la ferme est aussi vivante, ça me rend heureux », sourit-il, en regardant d’un œil brillant les danseurs qui prennent place sur la piste. « Si on arrive à faire un symbole ici, peut-être que des initiatives comme ça pourront essaimer ailleurs sur le territoire », se prend-il à rêver, voulant faire pousser les David face aux Goliath.

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Photo bannière : Alexandre Bridonneau s’est donné pour mission de faire de sa ferme un îlot d’agriculture alternatif et festif. Crédit photo : Mathilde Doiezie

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