Avant de s’installer en 2018 dans le nord de la Mayenne, Aline Madrid-Gbaguidi et Christophe Gouabault ont mis plusieurs années à trouver des terres où faire paître leurs brebis. D’un problème de succession à une opération de spéculation, le couple illustre, par son parcours, les difficultés de l’accès au foncier pour les personnes non issues du milieu agricole.
Certes : depuis la naissance de leur fille Roza il y a quelques mois et avec les brebis qui mettent bas chaque nuit, cet automne n’est pas de tout repos. Mais Aline Madrid-Gbaguidi et Christophe Gouabault, deux bergers de respectivement 38 et 39 ans, mesurent paradoxalement la chance qui est la leur.
Installé à Saint-Denis-de-Gastines, au nord de la Mayenne, le couple élève 210 brebis (280 bêtes en tout), des manechs tête rousse, essentiellement pour leurs 25 000 litres de lait produits chaque année en bio. En vente directe à la ferme, dans des marchés du nord du département ou en Amap (Association pour le maintien d’une agriculture paysanne), le public peut acheter de la tomme, un fromage à pâte molle dans le type camembert appelé gâtinais ou encore des yaourts nature. Leur nom ? Bergers dans l’âme.
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Dans la cuisine de sa maison où l’on aperçoit une reproduction de peinture à l’huile représentant un moulin, des bêtes et un berger, le couple revient sur son parcours d’installation. Un parcours sinueux et singulier et pourtant parfaitement représentatif des difficultés d’accès à la terre pour les personnes non issues du milieu agricole.
Aujourd’hui, ils cultivent des céréales, trèfles et de la luzerne et élèvent leurs bêtes sur un ensemble de 40 hectares. Pour ce natif de Changé, près de Laval, et cette native de Bordeaux, leur histoire commence en 2014, sur un alpage de Haute-Savoie. Une histoire commune de changement de vie professionnelle et d’envie de grand air. Lui était chauffeur d’engins agricoles ; elle comptable. « On s’occupait de 430 brebis », précise-t-il.
« On a vite déchanté »
Leur quête de la ferme idéale commence en septembre 2014, avec la visite de deux exploitations dans le nord-Mayenne où ils ont décidé de s’installer. « C’était juste de la prospection », dit Aline Madrid-Gbaguidi qui glisse : « À la montagne, j’appelais l’herbe « l’or vert ». » « Je pensais avoir un réseau agricole pour nous faciliter la vie et trouver du foncier, on a déchanté assez vite, reconnaît Christophe Gouabault. Il y avait du potentiel, mais à des prix pas abordables pour des jeunes qui veulent s’installer sans apport. On s’est rendu compte que ça allait être compliqué au niveau des banques. On a commencé à chercher des fermes avec des terres en location. On en a trouvées ! » Avant de s’installer, le couple a visité, entre 2014 et 2017, « une vingtaine de fermes »
La première touche sérieuse a lieu en 2015 dans une commune proche de Laval. Le couple dégote 40 hectares et un corps de ferme. « Le propriétaire était réticent à la vente directe », indique la bergère. Son mari complète : « Il y avait un châtelain qui ne voulait pas que trop de monde vienne le week-end pour acheter son fromage. »
Elle ajoute : « Et le bruit aussi : la salle de traite, tout ça… » Alors que le dossier d’installation est monté et que les banques suivent, le propriétaire annule tout un mois avant que tout ne commence pour le couple. « Ça a duré un an et demi », s’agace-t-elle. En août 2016, le couple se met de nouveau à la recherche de terres. « On a rebondi très rapidement ! »
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Spéculation pour le fiston
Ils trouvent alors une autre opportunité : une ferme entourée d’une trentaine d’hectares. Encore une fois, ils montent un dossier, multiplient les devis… Tout roule. La vente est sur le point d’être actée, mais le vendeur change son fusil d’épaule et réclame 70 000 € de plus. La raison ? Les terres sont entourées de celle d’un gros agriculteur voisin qui envisage d’installer son fiston et augmente la mise pour s’assurer la possession des terres. « Le cédant a profité de nous, de jeunes non expérimentés, pour augmenter le prix de vente », s’agace Christophe Gouabault.
Pour autant, le couple ne lâche pas l’affaire. Mais ni la tentative d’augmenter le prêt à la banque, ni une campagne de financement participatif ne permettront de lever la somme supplémentaire, fruit d’une pure spéculation. Une action auprès de la Safer (Société d’aménagement foncier et d’établissement rural), chargée de réguler les transactions du foncier agricole, n’y changera rien non plus.
Autour de la table de la cuisine, le couple déroule son histoire, seulement entrecoupée des babillements de Roza. Dehors, Gypsy et Réna, les deux chiens, montent la garde. Soudain, un souvenir revient au berger : « Entre les deux [tentatives d’achats], on a quand même eu une ferme où on s’est fait expulser. » Sa conjointe s’estomaque : « Olala oui… Je l’avais occulté ça ! »
Un agriculteur leur dit : « Reprenez ma ferme, il ne faut pas qu’elle parte à l’agrandissement. » Une nouvelle fois, tout se met en place, un permis d’exploiter est accordé, mais une histoire de famille vient faire capoter l’installation. « C’est encore une histoire de voisins qui veulent les terres et qui réussissent à les avoir et s’agrandir en mettant la pression », résume Aline Madrid-Gbaguidi. Le couple subit même du harcèlement téléphonique. Ce n’est qu’en juillet 2017 qu’ils trouveront cette ferme de Saint-Denis-de-Gastines où ils sont aujourd’hui installés.
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Après un micmac administratif digne, selon la bergère, de la bande-dessinée Les Douze Travaux d’Astérix, la vente se fait. Des hectares dans leur grande majorité très humides qui comptent quelques tourbières. « Sous le bâtiment de stockage, il y a onze sources ! On n’est jamais embêtés par la sécheresse », indique Christophe Gouabault.
Ce dernier explique ce pourquoi ils ont pu accéder à ces terres, alors que le prix de l’hectare est particulièrement élevé dans le nord-Mayenne : « C’est des terres où tu ne peux pas faire de maïs ou de céréales… » Alors que la nuit de septembre est tombée sur l’exploitation, le berger souffle : « Cette ferme-là était faite pour nous. » Sa conjointe trouve que, finalement, ce parcours n’a pas été si compliqué. Rappelons qu’entre 2010 et 2020, la France a perdu, chaque semaine, entre 100 et 200 installations agricoles.
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Photo bannière : Installés à Saint-Denis-de-Gastines, au nord de la Mayenne, Aline Madrid-Gbaguidi et Christophe Gouabault ont 280 bêtes qu’ils élèvent sur une terre en partie tourbée et donc impropre à, notamment, la culture du maïs. Crédit photo : Maxime Pionneau
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