Pour comprendre les enjeux liés à la formation et à la transmission en agriculture, il est nécessaire de cerner les pressions qui pèsent sur la population agricole. Dans une France où la moitié des agriculteurs et des agricultrices partiront à la retraite d’ici 2030, le renouvellement des actifs et des actives s’impose comme une urgence.
Les fermes disparaissent, leurs cours se vident. Entre 2010 et 2020, la France a perdu chaque semaine entre 100 et 200 installations agricoles. Chaque jour, cela représente une ferme sur cinq qui quitte le cheptel des exploitations et, surtout, cesse de produire et nourrir. Parallèlement, triste corrélation, le nombre d’agriculteurs et d’agricultrices diminue. La Cour des comptes rappelle que « le déclin de la population active agricole est un phénomène ancien, longtemps encouragé par les pouvoirs publics pour accompagner la modernisation du secteur ».
Les fermiers étaient plus de 2,5 millions en 1955. En 2000, ils n’étaient plus que 764 000. Et, en 2020, il ne reste que 496 000 chefs d’exploitation, coexploitants et associés actifs (dont un quart sont des femmes), selon le dernier recensement agricole des services statistiques de l’agriculture (Agreste) du ministère de l’Agriculture et de la souveraineté alimentaire.
Une population agricole vieillissante
Et si les agriculteurs sont moins nombreux, ils sont aussi plus vieux. En 2020, une exploitation française sur deux est dirigée par au moins un exploitant sénior de 55 ans ou plus. Autrement dit, un agriculteur qui est, ou sera, en âge de partir à la retraite dans la décennie à venir.
Dans le détail, le nombre d’exploitants baisse dans toutes les tranches d’âge, sauf chez les 60-75 ans, où il augmente : 25 % des agriculteurs ont plus de 60 ans en 2020, contre 20 % en 2010. Autant d’exploitants qui quitteront le métier demain, et de terres qui changeront de mains : les plus de 60 ans cultivent pas moins de 5,1 millions d’hectares en France.
Quelles fermes vont fermer ?
Les agriculteurs âgés sont davantage présents dans les exploitations fruitières et les grandes cultures. De plus, 60 % des exploitations dirigées par des agriculteurs de 55 ans ou plus sont des micro et des petites fermes [1]. « Soit, six points de plus que celles dirigées uniquement par des exploitants de moins de 40 ans, souligne le ministère. Comparées à ces exploitations, elles sont moins souvent conduites en agriculture biologique et moins fréquemment impliquées dans la vente en circuits courts. »
Une carte de France se dessine clairement. Les exploitants séniors se concentrent dans le Sud-Ouest, l’ouest francilien, la Normandie et sur le pourtour méditerranéen. À l’inverse, dans les Pays de la Loire, cette population d’agriculteurs est très faible. Rien de surprenant, quand on sait que les grandes exploitations y sont légion. En 2016, la surface agricole utile (SAU) moyenne y était de 85 hectares, contre 64 hectares au niveau national cette même année.
En Bretagne, les tensions autour de la transmission pointent à l’horizon. Bien que les séniors soient moins présents dans les élevages de porcs, qui dominent dans cette région, tous les secteurs sont touchés par le vieillissement de la population agricole : 41 % des porcheries sont gérées par un éleveur de 55 ans ou plus.
Par ailleurs, le passage en Bretagne vaut le détour : entre 2010 et 2020, la région a perdu un quart de ses exploitations. Pourtant, elle conserve la même SAU, signe évident de l’agrandissement des fermes, au détriment des nouvelles installations.
Les petites fermes en voie de disparition ?
Dans ce contexte, l’avenir des fermes est plus qu’incertain, surtout pour le quart d’entre elles dont l’exploitant a dépassé les 60 ans. La moitié sont des micro-exploitations et plus d’un tiers sont spécialisées dans les grandes cultures. C’est le visage de l’agriculture le plus menacé par les départs. Qui reprendra ces terres ?
Lors du recensement agricole de 2020, le ministère de l’Agriculture a interrogé ces paysans qui ont commencé à travailler il y a bien longtemps (avant ou dans les années 1960). 25 % d’entre eux envisagent une reprise de leur ferme, le plus souvent par un membre de la famille. La proportion de chefs d’exploitation qui prévoient cette issue est plus élevée dans les grandes installations (40 %).
Néanmoins, un agriculteur sur trois ne sait pas ce que va devenir son exploitation dans les trois prochaines années, ce qui signifie qu’il n’a pas défini ses modalités de départ et de succession. Selon la Cour des comptes, « cette incertitude concerne 57 % de la SAU susceptible de changer d’exploitant dans les sept prochaines années ».
Plus la ferme est petite, plus les incertitudes sont grandes. Le manque d’anticipation est un réel frein à la transmission, un moment pourtant crucial dans la vie d’une exploitation. Aujourd’hui, les questions liées à la transmission relèvent de la compétence de l’État, des chambres d’agriculture et de la MSA (Mutualité sociale agricole).
Quand il n’y a pas de successeur désigné, il est légitime de se demander si les fermes ont plus de risques d’être englouties. Même si, en 2020, très peu d’agriculteurs de plus de 60 ans projettent une disparition de leur affaire au profit de l’agrandissement d’une autre, force est de constater que cela se produit : les fermes sont moins nombreuses, mais plus grosses, en Bretagne comme au niveau national. L’agrandissement empiète sur les terres. Et cela ne date pas d’hier.
S’installer versus s’étaler
Entre 2010 et 2020, le nombre de micro-exploitations a chuté de 31 %, et celui des petites et moyennes exploitations de 21 %. Pendant ce temps, la SAU ne bouge pas dans l’Hexagone (près de 27 millions d’hectares, soit près de la moitié du territoire national). La taille moyenne des fermes a augmenté d’environ 25 % en dix ans et atteint aujourd’hui 69 hectares. Quant aux grandes exploitations (en moyenne 136 hectares), leurs rangs gonflent. En 2020, elles sont 2 000 de plus qu’en 2010.
Le phénomène sociétaire contribue à l’agrandissement des fermes, tout comme la volonté de certains – encouragée par la FNSEA, le plus grand syndicat agricole, et dénoncée par un autre syndicat, la Confédération paysanne – de s’accaparer les terres au nom du sacro-saint système intensif et productiviste dans lequel l’agriculture est engagée depuis des années. Tout cela entraîne une perte du maillage des petits paysans et alimente chez ceux qui restent un sentiment d’isolement, chacun dans son champ.
S’il en fallait encore une, une récente actualité, mise en lumière par le média indépendant et angevin La Topette, en est la preuve. À Denée, dans le Maine-et-Loire, la Safer – l’organisme qui régule l’installation et l’agrandissement des exploitations – a préféré confier des terres à des exploitations existantes pour qu’elles s’étendent, plutôt qu’à de jeunes paysans, dont le projet était plébiscité par les citoyens. Alors, question rhétorique : quelle France agricole transmettons-nous aux générations futures ?
L’urgence du renouvellement
Chaque année depuis 2015, en moyenne, 20 000 chefs d’exploitation cessent leur activité, tandis que 14 000 s’installent. La formation pourrait bien stopper l’hémorragie, ou du moins la ralentir, si tant est qu’elle prenne réellement en compte les enjeux humains, économiques et écologiques.
À la rentrée 2024, un peu plus de 215 000 élèves sont inscrits dans l’enseignement agricole, de la 4e aux diplômes d’ingénieur et de vétérinaire. C’est 12 000 de plus qu’en 2019 et « un niveau jamais atteint depuis dix ans », note le ministère de l’Agriculture.
Parmi ces effectifs, seuls 10 % sont des enfants d’agriculteurs. Et pour cause, seulement 42 % des paysans encourageraient leurs enfants à reprendre leur ferme, conscients des difficultés du métier. Toutefois, le modèle familial persiste : après 2010, 61 % des installations se font dans le cadre familial.
Une formation adaptée aux enjeux ?
Toujours après 2010, les nouveaux installés sont plus nombreux à défendre l’agriculture en circuit court et la bio. Comme le souligne la Cour des comptes, « le renouvellement des générations en agriculture ne se réduit pas à des considérations démographiques mais engage l’évolution vers des modèles et des pratiques d’agriculture durable et résiliente sur un territoire bien aménagé ».
Pourtant, leur proportion reste faible face à l’ampleur des enjeux. Le trou dans la raquette vient peut-être de l’enseignement agricole ? Ce dernier doit s’adapter. Sauf que, aujourd’hui, les pratiques agroécologiques restent insuffisamment enseignées en lycée agricole.
[1] Selon Agreste : « La production brute standard (PBS), par un jeu de coefficients attribués aux cultures et aux cheptels, donne une valeur au potentiel de production des exploitations. Elle permet de classer les exploitations en différentes tailles économiques. Le recensement agricole est l’occasion de revoir ce classement. Ainsi, à partir de 2020, sont considérées “micro”, les exploitations dont la PBS est inférieure à 25 000 euros par an, “petite” celles dont la PBS est comprise entre 25 000 et 100 000 euros, “moyenne” celles avec une PBS comprise entre 100 000 et 250 000 euros et “grande” celles de plus de 250 000 euros de PBS. »
Photo bannière : Le renouvellement des actifs et des actives s’impose comme une urgence. Crédit photo : MemoryCatcher
Merci pour ce résumé factuel. On note que la SAU n a pas bougé jusqu en 2020, ce qui explique la consolidation et non pas la reprise de friches par les exploitations comme on peut l’entendre également.