Alors que la moitié des agriculteurs français ont plus de 55 ans et que de nombreux départs à la retraite sont à prévoir, le nombre de repreneurs n’est pas suffisant. Pour contrer un phénomène de concentration des terres aux mains de quelques exploitations, l’agriculture paysanne mayennaise mise sur la formation de personnes souvent non issues du milieu agricole.
Elle n’en garde pas un super souvenir. « Il y avait d’anciennes grosses fermes qui étaient démantelées avec des cédants pas en super forme qui avaient bien galéré dans leur vie de paysans. On avait l’impression, quand on venait en visite, d’être du soutien psychologique plutôt que des visiteurs. » Après des études en commerce international en région parisienne, Louise Deruelle a bifurqué. À 31 ans, cette native du Pas-de-Calais s’est installée en avril 2021 à Sainte-Gemmes-le-Robert, commune du nord-est de la Mayenne.
Avant de créer La Ferme d’Avril, avec son associée Agnès Blais, la trentenaire a dû visiter plusieurs fermes afin de trouver chaussure à son pied. L’occasion également d’une plongée dans les quotidiens parfois rugueux du monde agricole. « On était un peu exigeantes, mais avec une carrière agricole, on s’engage pour un petit bout de temps. » Avant d’en arriver là et de proposer, en vente directe, de la viande bovine, des légumes et du jus de pomme, il se passe cinq années dans la vie de Louise Deruelle. Cinq années à apprendre, à imaginer, à préparer.
Sur le réseau social professionnel LinkedIn, ses informations n’ont pas été mises à jour et on peut toujours lire : « Je suis à la recherche d’un stage de fin d’étude dans le domaine du développement durable pour 2016. » Son parcours est celui de nombreuses personnes « non issues du milieu agricole », désignées sous l’acronyme « Nima », tant la reproduction sociale est forte dans la profession. Pourtant, l’arrivée de ces derniers est centrale pour le devenir de l’agriculture paysanne. Et ça, Agnès Bontemps, animatrice accompagnatrice à l’installation agricole à l’Adearm (Association de développement de l’emploi agricole et rural en Mayenne) l’a bien compris.
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Concentration et disparition
« L’enjeu, c’est de maintenir le maillage agricole et une grande diversité de fermes sur le territoire, rappelle-t-elle. On sait très bien que des fermes disparaissent. On ne va pas stopper la casse, mais on veut limiter celle liée à l’agrandissement des fermes. » Quand une exploitation cesse, les terres sont bien souvent réparties entre les exploitations voisines par la Safer (Société d’aménagement foncier et d’établissement rural).
Pour mieux comprendre cette situation bien connue du milieu, il faut avoir une donnée en tête : selon l’Insee, 55 % des agriculteurs français étaient, en 2019, âgés d’au moins 50 ans. Selon le ministère de l’Agriculture, le nombre d’exploitations en Mayenne est passé de près de 25 000 en 1970 à 6 070 en 2020. Dans le même temps, les terres se sont concentrées dans des exploitations toujours plus grandes : en 1970, la surface agricole utilisée (SAU) était, en moyenne, de 20 hectares. En 2024, la SAU moyenne était de 64 hectares.
Des aides à l’installation
« Parfois, ce ne sont même pas des agriculteurs de la Mayenne qui vont acheter ces terres-là, reprend Agnès Bontemps. On voit apparaître des investisseurs qui achètent les terres et les louent. La terre devient un outil de spéculation. C’est ce qu’on veut contrer. Pour nous, la terre est un bien commun et doit servir à nourrir les gens. Pour ça, il faut qu’on arrive à maintenir les paysans sur le territoire. »
Créée en 1998 par des membres de la Confédération paysanne, l’Adearm propose des aides pour l’installation et la transmission. D’un côté, l’association accueille « énormément de personnes qui sont non issues du milieu agricole et porteuses de projets sur de petites surfaces et avec des valeurs fortes d’écologie et de préservation des ressources naturelles ». En tout, une cinquantaine de « porteurs de projet » par an qui, au final, ne vont pas tous s’installer ni même enfiler les bottes. De l’autre côté, il y a des cédants, pas loin de la retraite, qui « ne veulent pas renoncer en transmettant leurs fermes et ne veulent pas que les haies qu’ils ont plantées soient détruites ».
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« Des preneurs de terres, y’en a pléthore »
Un discours que tient, peu ou prou, Xavier Marteau. À 60 ans, cet éleveur laitier installé à Arquenay, au sud-est de Laval, se projette déjà dans l’après. « Je n’envisageais absolument pas de la voir partir en agrandissement. On y a mis notre patte, quelque chose qui nous ressemblait. Je n’imaginais pas que ce soit disloqué. Des preneurs de terres, y’en a pléthore. Des jeunes qui veulent s’installer, c’est un peu plus rare. »
À 62 ans, Alain Paillard est parti à la retraite en février 2022. Installé à Saint-Denis-de-Gastines, à l’ouest de Mayenne, depuis 1983, il n’avait personne de sa famille pour prendre la suite. « Donc on a mis en vente. » « On a eu beaucoup de visites, mais c’était pour faire des hébergements. Ça ne me ressemblait pas », témoigne le retraité. Une thématique qui n’est pas étrangère à la salariée de l’Adearm : « On favorise aussi la création de fermes, car il y a des fermettes qui étaient devenues des habitations et redeviennent des fermes. »
Plus qu’un bagage technique, une transmission
Une fois un premier pied à l’étrier mis grâce à l’Adearm, les futurs repreneurs souhaitant se tourner vers l’agriculture paysanne plutôt que vers l’intensif (les Chambres d’agriculture proposent elles aussi des stages) peuvent aller voir la Ciap 53, la Coopérative d’installation en agriculture paysanne de la Mayenne.
Créée en décembre 2014, cette structure associative propose une formation d’un an au nom évocateur de « paysan créatif ». « L’objectif de cette année de formation, c’est de les [les porteurs de projet, ndlr] mettre en relation avec des paysans mayennais en activité qui vont les parrainer, rappelle en quelques mots Catherine Renou, coprésidente. Ils vont les accompagner sur le plan pratique mais aussi sur la connaissance et l’ancrage dans le territoire. C’est important quand ce sont des Nima et qu’ils ne sont pas du territoire mayennais. »
Cette formation n’est pas que la transmission d’un bagage technique. « Il faut donner les outils techniques et pratiques, mais aussi aider à s’intégrer dans le territoire pour que l’installation soit durable et viable. Le milieu agricole n’est pas toujours très avenant ! »
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« Ils nous ont présentés aux voisins »
À 34 ans, Aëlle Le Gall a quitté l’hôpital public peu de temps avant qu’une pandémie ne frappe le globe. C’était en novembre 2019. La médecin native de région parisienne décide de tenter l’aventure dans le monde agricole qu’elle ne connaît pas. « À l’hôpital, j’avais l’impression de ne rien maîtriser et de courir après le temps », explique la diplômée en médecine interne.
Avec son compagnon, Guillaume Calvo, ils vont finalement passer leur BPREA (Brevet professionnel responsable d’entreprise agricole), s’essayer au woofing en maraîchage bio. À partir de juin 2022, elle suivra la formation « paysan créatif » de la Ciap 53. « C’est assez complémentaire du BPREA », observe celle qui est aujourd’hui à la tête du Jardin Ouroboros, une ferme maraîchère en bio installée à Saint-Denis-de-Gastines. « On a eu un super contact avec les anciens propriétaires [Alain et Christine Paillard] et ça n’a pas de prix. Ils nous ont présentés aux voisins, ça change tout ! » En écho, Alain Paillard témoigne : « Après la première visite, je me suis dit que c’était eux. »
Pour quelqu’un qui débarque d’un autre horizon professionnel, une installation pérenne dans le monde agricole passe par un apprentissage technique, une connaissance des acteurs locaux, mais aussi quelques éléments plus informels. « Dans une ferme, il y a tout ce qu’il y a autour : entretenir les bâtiments, les haies, les fossés. Ça paraît anodin quand on est du milieu », explique Aëlle Le Gall. Aujourd’hui, les légumes du couple sont vendus en vente directe et dans des fermes alentours.
« J’avais besoin m’imprégner de ce réseau »
Pour Julie Bonnaud, 38 ans, son installation comme cultivatrice de saule et d’osier à Saint-Berthevin-la-Tannière n’a pas été ce qu’elle appelle « le parcours du combattant ». Installée à Rennes jusqu’en 2021, cette artiste plasticienne forme un duo avec son conjoint, Fabien Leplae. Outre l’envie de « partir de la ville et s’installer en milieu rural », le couple voulait « développer un projet agricole en plus de [son] activité artistique ». « On a eu la chance d’avoir ces terres en fermage, c’était des fonds de prés qui n’étaient pas convoités. La grande problématique, c’est l’accès à la terre. »
À 42 ans, Alexandre Medot est lui aussi passé par la formation « paysan créatif », mais a déjà un parcours agricole. Entre 2015 et 2020, ce natif de Camargue a été installé, mais en conventionnel. « Depuis tout petit, c’est l’élevage qui me bottait. Mais l’envers du décor est complètement différent », témoigne celui qui garde un souvenir amer de cette première expérience. « J’ai une vision de l’agriculture qui est paysanne et avec le respect de chacun et j’ai été vers la Ciap, raconte-t-il. J’avais besoin de me former là-dessus et surtout de m’imprégner de ce réseau. »
Aujourd’hui, il est associé avec Xavier Marteau pour gérer 70 vaches laitières sur 115 hectares. Ce dernier raconte avoir été « bluffé » par l’énergie du repreneur. « Sur les grandes orientations, on est d’accord. C’est plus au quotidien, on ne travaille pas de la même façon », témoigne-t-il. Entre celui qui souhaite encore un peu garder la main avant sa retraite en 2026 et le repreneur, un équilibre est à trouver et un autre apprentissage commence.
Photo bannière : À Arquenay, Xavier Marteau (à gauche) est associé à Alexandre Medot qui prendra sa suite une fois le temps de sa retraite venue.
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