Se rassembler et s’intégrer : les jeunes et les cafés du coin

par | 16 Sep 2024 | Culture et société, Ruralité

Sortir dans le bistrot du village ou faire soirée chez soi n’offrira jamais la même expérience. Lieux de retrouvailles ou de nouvelles rencontres, les cafés sont des espaces de vie sociale où les jeunes s’intègrent et s’engagent dans la vie locale simplement en poussant la porte. Reportage au café associatif de Pancé (Ille-et-Vilaine). 

22 heures. Le bourg est plongé dans le noir. Les rues sont vides, les maisons fermées, les volets tirés. Pourtant, Pancé, petite commune de 1 200 habitants située à 30 km au sud de Rennes (Ille-et-Vilaine), n’est pas endormie. Ce vendredi 30 août, sur la place de l’église au clocher néo-gothique, les lumières tamisées du café associatif percent les baies vitrées. À l’intérieur, l’ambiance folk règne et la salle est comble pour la rentrée du troquet, qui a fermé durant l’été.

« Chez nous »

« C’est comme chez nous ici. Ce sont les Pancéens qui entretiennent ce lieu », lance Nicolas Rio, 27 ans, en élevant sa voix grave pour couvrir le joyeux brouhaha ambiant. Avec ses amis, il fréquente le Cap, petit nom donné au café associatif de Pancé, une fois tous les deux mois. Un endroit où l’on se retrouve pour chanter à tue-tête lors de soirées disco, danser pendant un concert, rire autour d’une partie de jeu de société, trinquer, partager, causer et parfois refaire le monde.

Ce soir, ils sont venus à sept. Tous sont des jeunes adultes âgés de 25 à 27 ans, pour la plupart originaires de Pancé ou de ses environs, mais qui vivent désormais à Rennes. « On pourrait rester en ville, mais on aime notre village. Ça fait plaisir de quitter Rennes pour se retrouver dans un environnement qui nous est familier. » « C’est un lieu commun qui nous ressemble et nous rassemble, renchérit son pote Théo Jouaux, un grand nostalgique profondément attaché à Pancé. Toutes les petites communes n’ont pas cette chance. »

Jeunes adultes vivant à Rennes, Takeo, Théo, Nicolas, Hugo, Tom et Pierre fréquentent une fois tous les deux mois le bar du village dont ils sont, pour la plupart, originaires. Crédit photo : Pauline Roussel
Jeunes adultes vivant à Rennes, Takeo, Théo, Nicolas, Hugo, Tom et Pierre fréquentent une fois tous les deux mois le bar du village dont ils sont, pour la plupart, originaires. Crédit photo : Pauline Roussel

Le rôle du bistrot

Et pour cause. Où sont passés les comptoirs en formica, en zinc ou en bois ? Les tabourets en skaï, les banquettes en moleskine ? Depuis plusieurs années, le souvenir des tasses fumantes, des verres Pyrex® remplis à ras bord de vin blanc et des pressions trop mousseuses, s’échappe. Les cafés traditionnels – où l’on découvre l’autre, peu importe d’où il vient, simplement en franchissant un bas de porte – disparaissent.

Bien que les chiffres datent un peu, ils sont révélateurs : entre 2009 et 2015, la Bretagne a perdu 8 % de ses cafés. Au niveau national, selon les données de l’Insee et de France Boisson, les bistrots étaient 200 000 dans les années 1960. En 2016, il n’en reste que 40 000.

Pourtant, plus que de simples lieux de consommation, ce sont des espaces de mixité et de « régulation sociale », dixit Benoît Coquard, ethnographe et auteur du livre-enquête Ceux qui restent : faire sa vie dans les campagnes en déclin. Là, dans les bistrots, se déroulent un paquet d’interactions aussi banales que cruciales dans la construction de soi, de ses aspirations et de ses rejets. En particulier pour les jeunes ruraux, les cafés jouent un rôle essentiel dans la vie sociale et l’intégration au local.

Takeo et Gwendoline ne sont pas originaires de Pancé, mais ils ont des liens particuliers avec la bourgade, notamment grâce à leurs amis qui y ont grandi et sont profondément ancrés dans la vie locale. Crédit photo : Pauline Roussel
Takeo et Gwendoline ne sont pas originaires de Pancé, mais ils ont des liens particuliers avec la bourgade, notamment grâce à leurs amis qui y ont grandi et sont profondément ancrés dans la vie locale. Crédit photo : Pauline Roussel

Sauf que voilà, les campagnes sont les principales victimes de leur disparition. En 2018, Pancé a failli être touchée lorsque le dernier bar-tabac de la commune a fermé ses portes. Heureusement, dès 2019, la dynamique des cafés associatifs, qui insuffle un nouveau souffle aux zones rurales, a inspiré la commune. La mairie a soutenu le projet du Cap, conçu par et pour les habitants. Depuis, l’établissement – aux aspects de halle de marché avec sa déco moderne et texturée mêlant boiserie brute et peinture gris anthracite – se dresse aux côtés de la boulangerie.

Les quadragénaires, principalement, s’investissent et fréquentent le troquet ouvert les vendredis soir et les dimanches matin lors du marché de producteurs locaux. Quant aux moins de 30 ans, bien que leur présence soit moins régulière, ils flirtent également avec ce lieu. Ce soir, ils – quasi exclusivement des garçons – représentent un tiers de la population du Cap.

Retrouvailles entre potes

Le bar s’anime avec des départs et des arrivées tardives. Quatre jeunes d’une quinzaine d’années s’époumonent au baby-foot, tandis que huit autres d’une vingtaine d’années débarquent pour « boire un coup » après le match du club de foot local. Chacun trouve son activité, sa table, son groupe.

« On vient toujours en groupe ; il ne me viendrait jamais à l’idée de venir seule », affirme Gwendoline Boursault, l’une des sept jeunes adultes venus de Rennes. C’est la seule à ne pas être du canton, ce qui explique en partie son point de vue. Cela dit, cette habitude est aussi partagée par les locaux de son cercle. Comme Tom Girard, qui fume une clope dehors, sous les spots du perron de l’arrière-cour : « J’ai grandi à Pancé et pour moi, le Cap est un endroit pour faire des soirées entre potes, comme on le ferait chez nous. Le cadre est juste différent. »

Le Cap est un lieu de retrouvailles entre potes où “on se sent comme chez soi”. Crédit photo : Pauline Roussel
Le Cap est un lieu de retrouvailles entre potes où « on se sent comme chez soi ». Crédit photo : Pauline Roussel

Toujours est-il qu’ils sont là, et non chez eux. La soirée aurait pu leur coûter moins cher s’ils avaient rempli leur propre frigo de bières. Pour Gwendoline Boursault, cela prouve leur attachement et, surtout, le sentiment d’appartenance des amis qu’ils accompagnent, envers le café du coin.

Et plus si affinités

« On est partis faire nos études en ville. Quand on rentre le week-end chez nos parents à la campagne, on se donne rendez-vous entre potes ici pour se donner des nouvelles, plutôt que d’aller chez quelqu’un du groupe », sourit Basile [1], venu de Bourg-des-Comptes, un patelin à 10 km.

Lui est attablé au fond de la salle avec deux amis du même âge, 20 ans, bières à la main et plateau de charcuterie au centre de leurs discussions. « On est dans un petit bourg où tout le monde se connaît. Quand on vient, même si on est entre nous, on sait qu’on va forcément croiser des connaissances », lâche Ewan. « J’ai retrouvé des gens du collège que j’avais perdu de vue ! », s’enthousiasme Maël Jouaux, Pancéen presque aussi « chauvin » que son cousin Théo rencontré plus tôt. Puis, il y a aussi les « gens qu’on ne connaît pas ».

Hugo est originaire de Crevin, une commune voisine de Pancé. Il vient au Cap dès que ses amis y sont. « Hyper à l’aise » ici, il adapte toutefois son comportement au lieu public. Crédit photo : Pauline Roussel
Hugo est originaire de Crevin, une commune voisine de Pancé. Il vient au Cap dès que ses amis y sont. « Hyper à l’aise » ici, il adapte toutefois son comportement au lieu public. Crédit photo : Pauline Roussel

Takeo Fauconnier, 26 ans, est là pour la première fois. Entouré de son groupe d’amis, il ne cherche pas forcément à rencontrer les autres, mais constate tout de même que – de fait – les générations se croisent et que les personnes se mélangent. « Actuellement, on se sociabilise beaucoup virtuellement ou via des amis d’amis. Il est nécessaire d’avoir des lieux physiques où l’on peut nouer des relations avec des gens qu’on n’aurait pas rencontrés autrement. »

Dans les cafés, au minimum, on se voit. Au mieux, on échange, on confronte ses idées – on acquiesce ou on s’engueule – avec son voisin de tabouret et on pose sur le comptoir un contrat social. Hugo Renault, 25 ans, analyse : « On a beau se sentir hyper à l’aise au Cap, on est dans un espace public et pas dans le canapé du salon d’un pote. On adapte notre comportement. »

Engagement collectif

À l’inverse, avec la disparition des bistrots, les jeunes se retrouvent chez eux, entre membres du même « clan »[2]. Un tri des gens du coin s’opère et une hiérarchie sociale se met en place. Pour contrer cette extinction, les établissements associatifs promettent de (re)créer des espaces où il est possible de se projeter, ainsi que de développer des initiatives et un projet de société.

Cependant, tout cela repose sur l’engagement citoyen qu’il faut également préserver dans un système libéral où l’individualisme est valorisé. L’histoire de Pancé – une commune à la culture associative ancrée – illustre cette nécessité de sauvegarder des espaces de création de conscience collective, notamment pour la jeunesse, et de transmettre l’engagement par héritage.

Pour attirer les moins de 30 ans dans le café, les membres de l’association du Cap ont accepté que le troquet soit tenu un samedi par mois par les jeunes. Ils réfléchissent également à créer des événements attractifs pour la jeunesse, comme des soirées Fifa. Crédit photo : Pauline Roussel
Pour attirer les moins de 30 ans dans le café, les membres de l’association du Cap ont accepté que le troquet soit tenu un samedi par mois par les jeunes. Ils réfléchissent également à créer des événements attractifs pour la jeunesse, comme des soirées Fifa. Crédit photo : Pauline Roussel

« Mon père est bénévole assidu. Je trouve que le format associatif donne une autre saveur aux soirées que je passe au café et permet réellement de maintenir le tissu communal, entame Pierre Bardon, 27 ans. C’est plus convivial que dans un bar tenu par un privé qui doit – et c’est normal – faire son chiffre. »

Depuis le printemps dernier, quelques jeunes, dont Ewan, ont demandé et obtenu la possibilité d’ouvrir et de gérer le bar un samedi soir par mois. « On connaît la boutique, son ambiance chaleureuse et sa bonne bière artisanale à petit prix, depuis sa création. Alors, si on peut la faire tourner et y attirer d’autres moins de 30 ans… », glisse le garçon de café. Dans les environs, d’autres cœurs de village battent au rythme des troquets associatifs, comme à Poligné ou à Chanteloup. Certains envient cette expérience.


[1]  Les personnes dont seul le prénom est mentionné n’ont pas souhaité communiquer leur nom de famille.

[2] Benoît Coquard (2019), Ceux qui restent. Faire sa vie dans les campagnes en déclin, Paris, La Découverte, 216 p.

Photo bannière : Basile, Ewan et Maël sont des habitués du Café associatif de Pancé. Tout particulièrement Ewan, bénévole dans le troquet. @Crédit photo : Pauline Roussel

0 commentaires

Soumettre un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Derrière les lycées agricoles, des intérêts très privés ?

La Bretagne et les Pays de la Loire détiennent...

La transmission des exploitations sous tension

Pour comprendre les enjeux liés à la formation...