Double peine pour les filles des campagnes : être loin de tout et de toute activité n’est pas que l’apanage des jeunes ruraux. Les filles en payent un tribut plus fort et plus marqué que les garçons. Alors dans le Morbihan, l’association XXelles accompagne les adolescentes pour leur apprendre la confiance en soi et la prise de parole en public et leur permettre de rêver plus grand.
C’est en lisant l’ouvrage de la sociologue Yaëlle Amsellem-Mainguy, Les filles du coin, vivre et grandir en milieu rural, que l’idée a germé dans la tête de Marie-Christine Monfort : créer une association pour les adolescentes des campagnes. Le projet : les aider à s’émanciper tout en construisant leur estime d’elles-mêmes, dans un territoire rural du Morbihan.
Dans les campagnes bretonnes, comme ailleurs, les inégalités filles-garçons restent très marquées. L’accès aux activités de loisirs permet de l’observer. Les filles ont moins d’opportunités que les garçons de pouvoir pratiquer un sport, faute de cours proposés, d’entraîneurs disponibles ou de créneaux horaires variés.
Les filles sont donc obligées de parcourir plus de kilomètres afin de pratiquer leur sport et sont souvent confrontées à des problèmes de mobilité. Les espaces publics ouverts aux jeunes, comme les stades de foot ou les skateparks, sont eux aussi souvent plus fréquentés par les garçons que par les filles.
Dans les villages, elles n’occupent pas l’espace
Pour son enquête de 2021, Yaëlle Amsellem-Mainguy, également chargée d’études et de recherche à l’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire (INJEP), a rencontré près de 200 jeunes filles, partout en France, et notamment sur la presqu’île de Crozon, en Bretagne.
Elle y observe que les jeunes filles des milieux ruraux circulent dans les villages, sans jamais occuper l’espace, à l’inverse des garçons de leur âge. « Cela s’explique par les représentations sociales qui persistent. Une fille qui « traîne » ou « squatte » un espace dans un village risque d’être rapidement jugée, alors que c’est considéré comme normal pour les garçons, détaille la sociologue, avant de poursuivre. « D’ailleurs, les filles ont un temps d’activité domestique sans commune mesure avec celui des garçons. Elles s’occupent des petits, font à manger, le ménage… Et le reste du temps, elles restent à la maison : elles passent du temps sur les réseaux sociaux, elles lisent ou écrivent. »
Un constat confirmé par un rapport du Sénat de 2023, intitulé Femmes et ruralités, qui notait que « les jeunes filles qui restent sur le territoire ont un champ d’opportunités plus limité que le reste de leur classe d’âge dans tous les domaines. Elles poursuivent moins d’études, occupent davantage d’emplois précaires, travaillent essentiellement dans les secteurs du soin et de l’aide à la personne. Elles pratiquent aussi moins d’activités sportives, occupent les espaces intérieurs et sont invisibilisées dans les discours publics et sociaux. »
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Prendre la parole
Alors, pour combler cette inégalité, Marie-Christine Monfort a lancé il y a un an, avec Louise Merdi, bibliothécaire, XXelles, une association à vocation éducative et sociale pour les jeunes filles de la commune de Langonnet, dans le Centre Bretagne. Chaque semaine, pendant un an, quatre ados de 12 à 16 ans se sont retrouvées à la bibliothèque de la commune afin de parler de leurs envies, de leurs ambitions et des freins qui peuvent les retenir, lors d’ateliers, de jeux de rôles ou de rencontres avec des femmes inspirantes, aux carrières professionnelles diverses.
Apprendre à prendre la parole en public est l’un des axes importants du projet de l’association. Et cela n’a rien d’anodin pour les jeunes filles. « On devrait travailler la prise de parole avec tous les ados, abonde Yaëlle Amsellem-Mainguy. C’est difficile quand on est jeune de s’affirmer face aux autres, face à l’administration ou au corps médical. Savoir tenir tête et poser des questions, sans se sentir nul, c’est important pour faire tomber les barrières sociales mais aussi professionnelles. »
Quatre podcasts pour se raconter
Dans cette démarche de prise de parole libérée, les quatre jeunes de l’association ont enregistré quatre podcasts, intitulés Même pas peur. Elles y racontent leur vie d’adolescente en milieu rural à travers différents thèmes : la confiance en soi, le harcèlement scolaire, la vie de jeune fille en milieu rural et leurs aspirations pour l’avenir.
Une expérience qui a beaucoup plu à Lucie Jaouen, l’une des participantes. « L’association est un espace où l’on peut se confier, dire des choses qu’on ne dit pas forcément à nos parents », raconte la jeune fille de 14 ans.
C’est aussi un endroit où s’affranchir des peurs qui peuvent bloquer. « Lors d’un atelier, on a écrit nos peurs sur des petits papiers qu’on a ensuite déchirés, poursuit Lucie Jaouen. Sur l’un des miens, j’avais écrit ‘peur du jugement’. On les a fait disparaître et c’est comme si ça avait fait s’envoler nos peurs. Aujourd’hui, je crains moins le jugement des autres. »
Des initiatives à inscrire dans la durée
Depuis la parution des Filles du coin, dont elle a sorti une seconde édition enrichie en 2023, Yaëlle Amsellem-Mainguy a beaucoup échangé avec des professionnels de la jeunesse. Ils ont pu se baser sur ses travaux pour appuyer leurs demandes de subventions auprès des collectivités locales afin de financer leurs initiatives.
« Tous les projets en faveur des filles des milieux ruraux sont intéressants à partir du moment où ils sont pérennisés. C’est la seule condition pour que ça fonctionne, car ça permet aux jeunes filles de rassembler des ressources pour se construire et de se constituer un réseau hors du cadre familial. Mais cela implique d’avoir des équipes stables autour des jeunes pour bâtir la confiance, et des financements pérennes. »
À Langonnet, les quatre jeunes filles de l’association XXelles pourront compter sur Marie-Christine Monfort et Louise Merdi pour continuer de les guider encore cette année. Et si pour l’instant le projet Même pas peur mené par XXelles est l’un des seuls de ce genre en Bretagne, il pourrait bien inspirer d’autres initiatives en faveur des jeunes filles dans les campagnes.
Marie-Christine Monfort et Louise Merdi sont de plus en plus sollicitées par des éducateurs ou des MJC pour expliquer l’ambition de leur projet. Et elles espèrent pouvoir, dès la rentrée 2025, implanter leur association dans d’autres communes rurales du Morbihan, afin d’accompagner plus de jeunes filles dans la construction de leur confiance en elles et de leur ambition.
Photo bannière : Korydwen, Lucie, Maïann et Eva, quatre jeunes filles vivant en milieu rural, ont travaillé avec Marie-Christine Monfort et Louise Merdi toute l’année dernière à l’élaboration de quatre podcasts dans lesquels elles se racontent. Crédit photo : XXelles
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