Un été à la ferme : aider ses parents pendant les vacances, une évidence pour les enfants d’agriculteurs

par | 13 Sep 2024 | Culture et société, Ruralité

Quand on est fils ou fille d’agriculteurs, l’été n’est pas toujours synonyme de vacances au bord de la mer ou perché dans les montagnes. On grandit dans une exploitation agricole où le rapport au temps n’est pas le même. Où le vivant, lui, ne connaît pas de pause estivale. On consacre une partie, voire l’ensemble, de l’été à aider : à la traite, aux champs, sous les serres, dans les élevages de porcs ou dans les poulaillers.

Il y a l’été les pieds dans l’eau. Et l’été les pieds dans le champ. À arpenter les allées de blé avant la moisson, à effleurer de la paume des mains les épis, toujours du bas vers le haut pour ne pas les abîmer. C’est fragile, un épi de blé. Surtout en ce moment.

L’été où la journée débute par un bon bol de lait tout juste sorti du pis. Où l’on ramène (ou « on bourde », en patois) les vaches et l’on aide à la traite. Où l’on nourrit les veaux au seau-biberon tout en caressant leur front. Où l’on se jette dans le foin ou dans les cuves d’eau.

L’été où l’on dévale avec ses petites bottes en caoutchouc la grande cour jusqu’à la basse-cour. Là se trouvent le potager, les clapiers et le poulailler. La chasse aux trésors commence. Le butin est blotti dans la paille : des œufs frais, pourtant encore tout chauds.

« C’est trop cool »

La ferme, ce n’est pas le Club Med, mais c’est le lieu de vacances et d’insouciance pour beaucoup de jeunes des campagnes, d’hier et d’aujourd’hui. Dans les exploitations où vie professionnelle et vie personnelle sont imbriquées, on n’arrête pas les activités comme ça, même l’été. Alors bon nombre d’enfants donnent un coup de main à leurs parents, dans les familles de petits paysans comme dans celles de grands exploitants.

Plus qu’une solidarité familiale, c’est dans certains foyers un héritage. Un moment de partage et d’apprentissage qui égaye un quotidien loin d’être (toujours) facile pour les adultes. « C’est sûr que je ne ressens pas la même fatigue que papa. C’est trop cool de l’aider, ça me fait plaisir ! Quand il pleut comme ça, je suis mieux ici à aider avec les petits cochons qu’à passer la journée enfermé à la maison ! »

: Les jeunes de la famille Cheval assistent leurs pères lors des soins aux bêtes, du sevrage des petits cochons, du tri et de l’engraissement des charcutiers (les cochons destinés à l’abattoir)... @Crédit photo : Pauline Roussel
: Les jeunes de la famille Cheval assistent leurs pères lors des soins aux bêtes, du sevrage des petits cochons, du tri et de l’engraissement des charcutiers (les cochons destinés à l’abattoir)… @Crédit photo : Pauline Roussel

Le jeune Gurvan Cheval n’a pas tort. Ce 20 août, les pluies s’abattent dans les champs et les gouttes rebondissent sur les toits de l’exploitation de son père et de son oncle, à Guipry-Messac (Ille-et-Vilaine). Les deux hommes, frères qu’on surnomme « Freddy » et « Thony », ont repris l’affaire de leurs parents et élèvent des cochons de la naissance à l’abattoir. Gurvan, 10 ans, sa sœur Bérénice, 13 ans, et sa cousine Faustine, 16 ans, passent un bout de leur été avec eux. Il est difficile pour les enfants d’imaginer des vacances sans jouer les petites mains à la ferme qui compte 380 truies reproductrices.

Les petites mains remplaçantes

À l’abri des torrents, les jeunes de la famille Cheval se baladent bottes aux pieds dans la porcherie, un grand complexe avec plusieurs bâtiments et salles cloisonnées où résonnent les grognements des cochons. Un véritable labyrinthe porcin dont ils connaissent les moindres recoins.

« On passe beaucoup de temps ici, on est habitués, même à l’odeur ! Avec Bérénice, on est venus aider Freddy, mon papa, une semaine entière fin juillet parce que tonton Thony et Faustine étaient partis en vacances. Sinon, on vient entre deux et trois jours par semaine. Puis, c’est Faustine qui est venue aider tonton quand nous, on était en vacances », lâche Gurvan. Casquette à l’envers et un tantinet téméraire, le garçon s’élance dans les couloirs de l’exploitation dont il présente fièrement le fonctionnement.

Quentin et Romain Corfmat ne sont pas partis en vacances cet été. Ils sont restés aider leurs parents au poulailler familial. @Crédit photo : Pauline Roussel
Quentin et Romain Corfmat ne sont pas partis en vacances cet été. Ils sont restés aider leurs parents au poulailler familial. @Crédit photo : Pauline Roussel

« On aide aux moments où ils ont besoin de bras. Ce n’est jamais une obligation ; si on a des activités prévues avec les copains et copines, on ne vient pas », résume Faustine d’un ton plus posé. L’enfant et les deux ados assistent leurs pères lors des soins aux bêtes, du sevrage des petits cochons, du tri et de l’engraissement des charcutiers (les cochons qui partiront à l’abattoir)…

« Des fois, on fait seulement des petites bricoles, mais ça les avance bien », souffle Bérénice, un sourire figé sur les lèvres et un porcelet dans les bras. Et d’ajouter joyeusement : « Quand on est tous les trois, on s’amuse bien, on bosse dans la bonne humeur et en musique ! »

L’été autrefois

À 46 ans, « Freddy » se souvient que « c’était différent » à son époque. « Contrairement à mes enfants, on vivait à la ferme, donc on y passait plus souvent. Quand c’était la saison des moissons, on n’avait pas le choix : il fallait se réveiller tôt et aller au champ. C’était dur parfois. Mais les moissons étaient le symbole des vacances où la famille se retrouvait, débite l’agriculteur. On restait à la ferme, il n’y avait pas de congés d’été, ou seulement une semaine grand max dans l’année. Maintenant, on est de plus en plus d’agriculteurs à en prendre. »

Il rappelle que les chefs d’exploitation d’antan faisaient moins appel à des ouvriers agricoles pour prendre la clé des champs : « C’étaient les enfants ou les voisins qu’on appelait pour prêter main forte. » Karine Cheval, sa femme, acquiesce. Elle aussi a grandi à la ferme de ses parents, des éleveurs de poules pondeuses. Si le monde agricole cultive le silence, la parole s’ouvre lorsqu’il s’agit de se remémorer des souvenirs d’enfance. Ceux de Karine s’entremêlent, voire s’entrechoquent.

Romain, tout comme son frère, aimerait devenir agriculteur plus tard et avoir le même type d’exploitation que leurs parents. @Crédit photo : Pauline Roussel
Romain, tout comme son frère, aimerait devenir agriculteur plus tard et avoir le même type d’exploitation que leurs parents. @Crédit photo : Pauline Roussel

Des moments de labeur, comme les heures à préparer les poulaillers, à planter les betteraves, à ramasser des cailloux… « J’enrageais de devoir faire ça alors que les copains et copines étaient partis à la piscine, lance Karine avec gouaille. Avec le recul, j’en garde de beaux souvenirs. Puis, aider mes parents, c’était une évidence. »

Et des moments de bonheur, comme les sauts dans les bottes de paille, les parties de cache-cache dans les champs de maïs… « L’été à la ferme, c’était le travail et les rires. Avec mon frangin, s’occuper des poussins, c’était comme un jeu. On n’était pas tracassés comme nos parents. »

Du monde dans les fermes

Dans le poulailler où Karine a grandi, dans la campagne morbihannaise près de Réguiny, les choses ont bien changé. Là, au milieu des champs, s’étendent cinq hangars gris remplis de poules pondeuses. Son frère Laurent Corfmat a repris l’exploitation familiale et sa belle-sœur Katell Corfmat a monté la sienne juste à côté.

Une arrivée de poussins est prévue ce 21 août, dans un long bâtiment où la terre battue a laissé place au béton, ouvert aux quatre vents le temps de faire entrer les cagettes d’oisillons. Deux têtes rousses, les fils Corfmat – Romain, 12 ans, et Quentin, 15 ans – comptent les poussins, les pèsent puis les déposent dans une volière hors-sol. Les parents et quelques amis de la famille sont aussi au travail.

« Dans le temps, ça n’avait rien à voir ! Il y avait plus de monde dans les fermes pour aider, notamment des jeunes de la commune qui venaient spontanément nous voir pour bosser en échange d’un peu d’argent de poche. Ça n’existe plus maintenant, il y a moins d’entraide. Aujourd’hui, la production est plus grosse, plus robotisée. Mais il y a autant de boulot, faut pas croire », racontent le papy et la mamie des garçons.

L’enfance passée, la transmission

Cet été, Romain et Quentin ne sont partis ni à la plage ni ailleurs. Ils ont été réquisitionnés quasiment tous les jours, essentiellement les après-midis. « On fait pas mal de travaux manuels d’entretien, pas trop physiques, dans les poulaillers et à l’extérieur », présente Quentin timidement. Ce que les deux ados préfèrent par-dessus tout, c’est conduire les tracteurs dans les champs où sont cultivées des céréales pour la revente. Un classique.

À la rentrée, Quentin intègre un lycée agricole pour concrétiser son projet professionnel. @Crédit photo : Pauline Roussel
À la rentrée, Quentin intègre un lycée agricole pour concrétiser son projet professionnel. @Crédit photo : Pauline Roussel

Plus que des vacances, leur été a des airs d’alternance. « L’idée est de leur transmettre notre savoir-faire », sourit Katell. Autrement dit, la « valeur travail ». « On aimerait devenir agriculteurs. Là, on apprend à conduire les engins et à être un peu autonomes », confie Romain en redressant du bout des doigts les binocles rondes qui entourent ses yeux noisette et ses tâches de rousseur. Est-ce qu’ils reprendront l’exploitation parentale ? [1] Il est trop tôt pour poser la question, mais ils veulent « faire tout pareil, volaille et céréales ».


[1] Une histoire de famille : selon l’Insee, l’agriculture reste le domaine professionnel où la transmission intrafamiliale est la plus forte. Cela dit, cette culture de la reprise est en baisse. L’institut note que 77 % des chefs d’exploitation installés avant 2010 ont repris la ferme familiale, contre 61 % pour ceux installés après 2010.

Par ailleurs, seulement 42 % des agriculteurs encourageraient leurs enfants à reprendre l’exploitation familiale (et ce chiffre chute à 35,7 % chez les éleveurs). Conscients que ce milieu éreinte des vies, dans un monde où le nombre d’actifs se réduit comme peau de chagrin depuis 1970 et où la moitié d’entre eux quittera le métier d’ici 2030.

Photo bannière : (De gauche à droite) Faustine, Bérénice et Gurvan Cheval aident leurs parents, qui possèdent un élevage de porcs en Ille-et-Vilaine, pendant une partie de leur été. @Crédit photo : Pauline Roussel

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