À Redon (Ille-et-Vilaine), au sein du tiers-lieu Le Parallèle, espace collectif ouvert à tous et animé par des jeunes de 16 à 30 ans, l’expérimentation « Le Souci de soi » autour de la santé mentale a pour but de construire une approche et d’élaborer des pratiques spécifiques du « prendre soin », de soi et des autres.
C’est un enjeu de santé publique encore mal pris en charge dans certains territoires ruraux, faute de personnel soignant disponible ou de financements. Pourtant, depuis 2020 et la pandémie de Covid-19, les chiffres sont alarmants. Selon une étude de Santé Publique France, publiée en février 2023, un jeune de 18 à 24 ans sur cinq a connu un épisode dépressif entre 2017 et 2021.
Et l’Observatoire national du suicide a noté, en 2022, une hausse du risque suicidaire chez les jeunes, en particulier chez les jeunes femmes. Ce que confirme une étude sur la santé mentale des jeunes du Conseil économique, social et environnemental de Bretagne (Ceser), publiée en juin 2023. Elle indique que la Bretagne est « la région française la plus touchée par le suicide, [qui] représente la deuxième cause de décès chez les 15-24 ans, après les accidents de transport ».
« Certains allaient vraiment mal »
Dans les faits, cette dégradation de la santé mentale, les quatre salariés du tiers-lieu Le Parallèle l’ont observée chez des jeunes qui fréquentent le tiers-lieu de Redon, en Ille-et-Vilaine. Ouvert fin 2020, juste après le confinement, cet espace collectif ouvert à tous est vite devenu un refuge pour les jeunes, qui s’y retrouvent pour échanger, porter un projet, jouer de la musique, partager un repas, travailler ou simplement se poser. Auprès des quatre salariés qui les accompagnent, ils trouvent des oreilles attentives, bienveillantes et à l’écoute.
Au travers des confidences qui lui sont faites, l’équipe du Parallèle est parfois confrontée à des pensées suicidaires ou des crises d’angoisse. « Certains allaient vraiment mal après le Covid-19, raconte Maylie Hélary, psychologue qui a rejoint le tiers-lieu quelques mois après son ouverture. L’équipe les redirigeait vers des institutions de santé, mais ce n’était pas suffisant. On côtoyait au quotidien des jeunes en attente d’une prise en charge et de la mise en place d’un accompagnement adapté. Il y avait un vrai besoin auquel il fallait répondre. »
Le lieu de vie impacte la santé
Le mal-être des jeunes bretons varie en fonction de leur lieu de vie, selon Mireille Massot, corapporteure de l’étude Il faut toute une région pour favoriser le bien-être des jeunes en Bretagne du Ceser. Celle-ci a proposé de nombreuses préconisations au Conseil régional.
« Les situations sont différentes, c’est une complexité qu’il faut décortiquer pour pouvoir actionner les bons leviers d’actions, explique-t-elle. Dans les ruralités, les problématiques tournent autour de la mobilité, de l’accès aux loisirs ou aux services, alors que dans les zones urbaines, les jeunes souffrent plus de précarité et d’insécurité. Il y aussi depuis quelques années de plus en plus d’angoisses liées à l’état de la planète et au changement climatique. Il est important de conscientiser les mal-êtres qui s’expriment et d’en identifier les causes pour pouvoir accompagner les jeunes au mieux. »
Un manque de professionnels
Mais pour accompagner les jeunes, les soignants du médico-social et les psychiatres manquent autour de Redon, comme un peu partout en Bretagne.
C’est d’ailleurs l’un des points sur lequel l’étude du Ceser préconise de travailler, en augmentant « massivement » et en sécurisant « durablement » des « moyens financiers et humains des acteurs et actrices de terrain qui, professionnellement ou bénévolement, s’investissent chaque jour pour la promotion, la prévention, le soin et le rétablissement de la santé mentale des jeunes en Bretagne ».
En attendant qu’une telle politique régionale autour de la santé mentale voit le jour, l’équipe du Parallèle s’est formée aux premiers secours en santé mentale, afin d’aider au mieux les jeunes en détresse psychologique. L’objectif : identifier et évaluer les risques.
En 2022, pour aller plus loin, les salariés du tiers-lieu répondent à un appel à projet de la Fondation de France et imaginent « le Souci de soi » – en référence au philosophe Michel Foucault – une expérimentation sur plusieurs années pour construire et partager le « prendre soin ».
Instaurer la confiance, respecter le consentement
Maylie Hélary, accompagnée par des stagiaires, met en place des ateliers autour de la santé mentale, avec l’idée d’amener les jeunes à conscientiser et questionner les causes de leurs souffrances.
« Il peut s’agir de discussions sur des thématiques comme les violences sexistes ou sexuelles ou prendre soin de soi et des autres, de tables rondes, de cafés pédagogiques autour de ressources : des livres, de la musique, des films…, détaille Géraud Vilaséca, coordinateur en charge de la programmation culturelle du tiers-lieu. Les jeunes abordent aussi parfois indirectement leur santé mentale à travers les textes qu’ils écrivent pour participer aux scènes ouvertes. »
Au « Para », les jeunes sont considérés, écoutés, accompagnés. Au point que pour beaucoup, le tiers-lieu est devenu une deuxième maison, une « safe place ». Alors, quand certains sont réticents à aller consulter un professionnel de santé, il arrive parfois que des rendez-vous soient organisés au sein même du tiers-lieu, entre le jeune et le soignant, grâce à des partenariats développés avec des acteurs de santé locaux. « Ils s’y sentent en confiance, c’est plus facile pour eux d’y consulter que dans une pièce aseptisée, une fois par semaine », poursuit Géraud Vilaséca.
De la considération…
L’attention que porte l’équipe du Para aux jeunes qui le fréquentent est quotidienne. Pourtant, savoir repérer un mal-être n’est pas forcément toujours facile. « On crée un lien de confiance avec les gens qui viennent ici. On vit et on mange ensemble, on discute… Il n’y a pas de rendez-vous formel pour parler de sa santé mentale. On ne les harcèle pas de questions. On instaure la confiance, sans être intrusif », explique Maylie Hélary.
Le vivre-ensemble, dans le respect des autres, est d’ailleurs aux yeux de l’équipe du tiers-lieu, une première porte d’entrée vers le prendre soin de soi. En partageant l’espace, en participant à des discussions avec les autres, en sachant imposer des limites, certains se sentent déjà mieux au quotidien, selon la psychologue.
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… et du temps
Mais pour réussir à établir des liens aussi forts, il faut du temps. C’est pour cette raison que l’expérimentation a été lancée en janvier 2023 pour deux ans. Elle prendra fin en 2025, sauf si l’équipe du tiers-lieu réussit, comme elle l’espère, à trouver de nouveaux financements pour pérenniser l’initiative.
« C’est compliqué, car on ne peut pas quantifier les impacts de cette expérimentation, insiste Maylie Hélary. Aujourd’hui, les subventions financent plutôt des actions concrètes de santé publique que des dispositifs de prévention sur le long terme. L’enjeu pour nous, c’est de faire comprendre que la santé mentale demande du temps long et de la confiance au quotidien. »
Les deux collègues en sont persuadés, cette expérimentation est positive pour les jeunes. « Le prendre soin, ce n’est pas qu’une question de santé mentale, ça va au-delà. C’est une question de considération », ajoute Géraud Vilaséca. « Malheureusement, généralement, ce genre d’expérimentation ne perdure pas, regrette Mireille Massot. Des associations et des tiers-lieux comme Le Parallèle se montent grâce à des subventions obtenues pour une durée limitée dans le cadre d’appel à projets gouvernementaux, puis au fil du temps, ces financements s’amenuisent et le fonctionnement des associations est menacé. »
La corapporteure de l’étude du Ceser poursuit : « Les collectivités locales ne peuvent pas se substituer à l’État. Même si le Conseil régional veut faire de la santé mentale des jeunes une priorité, il ne peut financer cela tout seul, il faut que cela soit partagé à toutes les échelles : locales, régionales et gouvernementales. »
Prendre soin aussi de l’équipe
De la considération, de la confiance et du temps, voilà les ingrédients de cette initiative pour la santé mentale des jeunes… Et celle de l’équipe qui les entoure. « On prend régulièrement le temps de se réunir pour réfléchir, ce qui n’est pas toujours possible pour les soignants dans les institutions de santé, ajoute Maylie Hélary. On se retrouve pour travailler en équipe ou questionner les bonnes pratiques de l’écoute. Ce temps est important car il nous permet de se sentir bien dans notre travail. ».
Au Para, les sourires sur les visages des jeunes comme sur ceux de l’équipe qui les suit en disent long sur les bénéfices du prendre soin.
Photo bannière : Maylie Hélary (au centre) et Géraud Vilaséca (deuxième à gauche) accueillent et vivent avec des dizaines de jeunes de 16 à 30 ans au sein des lieux de vie du Parallèle, à Redon. @Crédit photo : Manuella Binet
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