Un champ, du rock indé et de l’inclusivité : 72 heures à l’Orange fest

par | 3 Sep 2024 | 09/2024, Ruralité

La troisième édition de l’Orange fest, festival dans la campagne du Grand-Auverné (Loire-Atlantique), s’est tenu les 9 et 10 août dernier. Un événement artistique créé par une jeunesse émancipée, originaire du coin : Louma, Clément et Gabin. Reportage immersif et festif.

24 heures avec les béné-loves

Jeudi 8 août

10h10. Le bonheur est dans la Petite-Haie. Un hameau du Grand-Auverné, un bled charmant un peu paumé dans le nord de la Loire-Atlantique, de moins de 800 habitants.

Au bord d’un chemin, avachie sur un canapé en skaï rouge qui s’écaille, une bande de potes se repose. Autour, Louma rode. Tasse de café dans une main, clope roulée dans l’autre. Le regard perdu, elle jette un coup d’œil çà et là.

Elle a des petits yeux et des cernes qui empiètent sur ses taches de rousseurs. Que reste-t-il encore à faire ? Beaucoup. Elle baille. « Woah, excuse-moi… Depuis lundi, on bosse dur pour finir de préparer le site du festival. » Malgré la fatigue, la jeune femme d’ordinaire pêchue ne va pas tarder à émerger.

Intimité du coin

Il y a trois ans, elle, Clément et Gabin, trois jeunes de 24 ans « enivrés par la java et le bal masqué », ont créé l’Orange fest (OF) dans leur « pampa » natale. Un festival de rock indépendant « alternatif et inclusif ». L’ouverture des portes, c’est demain vendredi, jusqu’à samedi tard dans la nuit.

À travers l’OF, les amis d’enfance mêlent ce qu’ils aiment. Leurs champs et la musique. « On voulait créer un événement à la campagne pour participer à la dynamique culturelle de nos communes, même si maintenant on évolue dans la culture urbaine », développe Louma, étudiante en production musicale, en tirant une taffe sur sa cigarette.

Clément, Louma et Gabin, trois jeunes de 24 ans sont à l’origine de l’Orange fest. @Crédit photo : Pauline Roussel

Porté par l’association nantaise Amarres production, le festival se déroule dans l’intimité d’un champ appartenant à la famille de Louma, en face de la longère en vieilles pierres de sa maman. « Le foin a été coupé lundi », constate Clément, essoufflé.

Il porte à bout de bras de grands tapis colorés aux looks variés – baroques, kitchs ou minimalistes – qu’il étale par terre pour créer un coin « détente » sous le seul arbre du champ. Un espace ombragé bienvenu vu les chaleurs annoncées ce week-end. Jusqu’à 38 degrés. « On est un petit festival. On n’accueille pas plus de 450 personnes, des locaux comme des gens de la ville, ce qui nous permet de prendre soin de chacun et chacune. »

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Que du love

L’OF est une expérience humaine. Revigorante, marquante. « Et un peu épuisante ! », lance Félix, dans un éclat de rire. Une fatigue chassée par une « ambiance folle ». Bénévole pour la première fois ici, il exulte : « Tout le monde est hyper cool et drôle. C’est petit, mais on construit tous ensemble quelque chose de grand ! »

Il a quitté le canapé au skaï qui s’écaille et file un coup de main à Gabin, Clément, Sacha et Louna. Sous le soleil qui tape et le mercure qui grimpe, ils soulèvent, tendent et accrochent une lourde bâche sur la structure métallique rouillée d’un barnum. Ici, ce sera le camp des bénévoles. « Allez, on tire la bâche, on tire ! », scande Gabin. Comédien à Paris, sa voix porte. Les troupes, en sueur, sont motivées.

Dans le champ, on finit d’installer la billetterie, le village artiste, le bar et le stand nourriture. On accroche des vinyles sur des grilles et des disques sur les branches de l’arbre aux tapis. Le site prend forme. La scène sans fond donne sur un champ de maïs. Au-dessus des planches, une immense toile tendue marron clair est supportée par des rondins de bois flotté. « Il claque tellement ce plateau ! », réagit Marine, photographe du festival.

16h40. Les bénévoles de la régie-technique branchent, règlent et testent le son. So I Got to Groove, du groupe funk californien Tower of Power, résonne sur le site. «  Oui, la musique ! », jubile Clément. « Plus la journée avance, plus tu as la tête de l’âne dans Shrek avec ton sourire béat », le taquine Gabin. « C’est parce que, quand je vous vois, mon sourire s’agrandit. » Avec Louma, ils s’enlacent. L’OF, c’est « que du love ».

48 heures d’osmose inclusive

Vendredi 9 août

16h. Ouverture des portes dans deux heures. Sur le site, les bénévoles se sourient et se demandent si « ça va » (sincèrement) à tout bout de champ. Sous un barnum blanc à l’abri des regards et loin du tumulte des derniers préparatifs, Freak adelfe, Heliom, Brutus agapeo et Cerb’eros se transforment. Membres du collectif L’Office Ladorée, venus de Rennes et Nantes, ils performeront sur scène vers 23h lors d’un drag show alternatif [1]

Car l’OF, ce n’est pas que des concerts de rock indé aux ondes de radios pirates. C’est aussi une programmation paritaire et éclectique. L’événement à la direction artistique rebelle, inspirée de l’art alternatif du fanzine, est empreint de l’identité des trois cofondateurs. La jeunesse de gauche et plus si affinités y a mis toutes ses valeurs. Notamment, l’inclusivité et la bienveillance.

« C’est un acte de conviction naturel, lié à nos remises en question personnelles et à celles de la société depuis le mouvement Me too. Pour autant, l’événement ne se veut pas revendicatif ou militant. On ne part pas du postulat que ces valeurs n’existent pas ici », lance Gabin, entre deux check up, talkie-walkie à la main.

Passerelle

Programmer un drag show, c’est pour lui et ses complices une façon d’amener, dans un événement populaire, une ouverture aux identités et à la culture queer [2] moins accessibles en ruralité. « On veut confronter des milieux par l’art, ouvrir le dialogue et susciter la curiosité. »

Une volonté partagée par les drags. « On n’a jamais performé en campagne. On sort de notre entre-soi urbain où on connaît notre public. C’est intéressant de performer ailleurs pour se confronter à d’autres regards », murmure Heliom, concentré sur la pose de lentilles qui plongent son regard dans le noir.

Freak adelfe étale son fond de teint au beauty blender. Perdu dans ses pensées, il songe à l’actualité. « La montée de l’extrême droite galvanise notre envie de montrer la diversité des corps et des genres partout, notamment en campagne. Notre art et nos personnes ont été mises en danger, et le sont toujours, mais ce n’est pas le moment de se replier sur soi », revendique celui qui est né « dans la paille » et a grandi à la ferme.

Des strass violets plein les mains, Brutus enfonce: « Il faut aller au-delà de la haine, qui est une manière de se protéger de ce dont on ne connaît pas. Si on ne va pas vers les gens, on ne peut pas se plaindre qu’ils ne viennent pas vers nous. »

La volonté d’avoir un drag show pendant l’Orange fest répond à la nécessité de la représentativité queer. @Crédit photo : Pauline Roussel.

Show politique

18h. Les premiers festivaliers déboulent et s’amassent devant Alvida. Une bande de quatre musiciennes qui se baladent dans des influences rock garage des années60 et punk. Dans la petite foule, les Dr. Martens tapent du pied, les paillettes décorent les pommettes et les tatouages dessinent les traits des corps. Tous ces cool kids désinvoltes se mêlent aux gens du coin.

Mais rien n’aura autant électrisé et rapproché la foule que le drag show. La nuit tombée, après trois concerts, L’Office Ladorée foule les planches pour un moment délicieusement artistique et politique. D’abord, il y a Heliom et son interprétation envoûtante d’une créature elfique torturée. Puis, Brutus agapeo et Cerb’eros, aussi nommé les Chiens haine, et leur danse contemporaine sur Bâtard de Stromae. Ils ouvrent la voie au touchant et esthétique Freak adelfe, au costard chic immaculé. 

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« C’est incroyable, j’ai l’impression d’avoir revécu la soirée d’ouverture des JO de Paris 2024 », balance le maire de la commune, qui n’est autre que le père de Gabin. Sauf qu’ici, aucune haine ou menace ne dégouline après la performance. Ce sont les bravos, les applaudissements et les remerciements qui déferlent. « J’ai ressenti tellement d’émotions ! », s’émeut Pierre-Aimé, un jeune au « sang paysan » qui n’avait jamais vu de drag show auparavant.

« Ça vient bousculer les questions de genre qui sont un peu tabous chez nous. Peut-être même que des jeunes ont pu se reconnaître ce soir et se dire que c’était possible d’être qui on veut », pense son ami d’enfance, Landry.

Samedi 10 août

21h. Devant le groupe pop Hada, les corps et les esprits d’une jeunesse en rage de vivre et affranchie se libèrent. À l’OF, on ne connaît pas le jugement, pour une vie plus belle, virevoltante et audacieuse. C’est d’ailleurs une valeur affichée à quelques endroits du site, comme sur les grilles près de la scène. Deux hommes, mains sur les hanches, lorgnent sur un poster. Ils arrivent à lire ce qui y est inscrit grâce aux guirlandes tamisées et aux néons orangés de la scène. Dessus, en gros titre : « Stand prévention safeplace ».

« Pour nous, il n’y a pas d’inclusivité possible si l’endroit n’est pas safe (sûr, en français). Tous les bénévoles sont formés à la prévention, afin de prendre en charge les personnes qui pourraient se sentir en insécurité physique ou psychologique vis-à-vis de comportements agressifs ou d’une situation de mal-être. Ça devrait être dans tous les événements », estime Clément, musicien intermittent, posté au bar. C’est le dernier soir. Avec Louma et Gabin, il relâche la pression.

Expression de corps

Dans une grange transformée en loge artiste, à l’atmosphère feutrée, les musiciennes du groupe Île de garde « redescendent » avant de retourner dans le champ. Elles ont hâte. « Dans les festivals ruraux, le rapport au public est plus émotionnel et affectif car on n’est pas noyées dans la masse. Ici, on se sent entourées alors qu’on ne connaît personne. L’environnement est bienveillant et ça fait du bien », soufflent Morgane et Cécile.

Kiki béguin. CP OF
L’artiste burlesque Kiki Béguin, connue à l’international, foule les planches de l’Orange fest pour la deuxième édition. @Crédit photo : Marine Bouteiller / Amarres production.

Non loin d’ici, Kiki Béguin se maquille. L’année dernière, elle avait déjà fait sensation auprès des festivaliers. À l’évocation de ce souvenir, l’artiste, pourtant habituée des scènes internationales, rougit. Ce soir, elle propose de l’effeuillage burlesque. « Quand tu penses effeuillage, tu penses streaptease. Mais la nudité n’est pas forcément la finalité. La finalité, c’est de faire rire ou d’émerveiller les gens avec les codes du burlesque. L’effeuillage, c’est aussi une manière d’avoir un vrai espace d’expression où tu peux tout dire à travers le corps », développe d’une voix douce la danseuse.

Entre ses deux performances, c’est le groupe britannique post-punk Hallan qui joue. Les musiciens, le chanteur et la foule sont en trans. « Je les aime trop », crie Louma, déchaînée et accrochée aux barrières juste devant la scène. Le regard pétillant, Gabin observe: « Tu vois, si on n’avait pas été ici, au milieu des champs, je ne sais pas si on aurait pu créer tout ça. Cette osmose, cette énergie, cette cohésion. Le faire ici, c’est précieux, cela dit quelque chose de là où on vient. »


[1]  Un spectacle utilisant vêtement, maquillage, coiffure et expression scénique pour transcender un genre ou une identité de façon volontairement exagérée.

[2] Le terme queer est un terme inclusif qui désigne les identités de genre et les orientations sexuelles qui ne se conforment pas aux normes hétérosexuelles et cisgenres traditionnelles.

Photo bannière : L’Orange fest, festival de rock indé, alternatif et inclusif dans un hameau du Grand-Auverné (Loire-Atlantique) a accueilli 400 personnes pour son édition 2024. Crédit photo : Marine Bouteiller / Amarres production.

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