Depuis décembre 2022, un centre LGBTQIA + accueille, à Pontvallain, dans le sud de la Sarthe, des jeunes issus des campagnes à la recherche d’un lieu où échanger sur les questions d’identité et de genre. Alors que les lieux d’accueil ou militants sont concentrés dans les grandes villes, l’association Homogène a fait le pari inverse. Et ça marche : depuis son ouverture, plus de 800 passages sont dénombrés.
C’est un petit bourg anonyme comme il en existe tant. Avec sa pharmacie, sa boulangerie et ses maisons aux volets fermés. Un détail pourrait cependant attirer l’œil du curieux et lui faire prendre conscience que Pontvallain — une commune de 1 600 et quelques habitants située au sud de la Sarthe — a quelque chose de singulier. À droite du pilier du portail de la mairie, on remarque une discrète pancarte où on lit — écrit aux couleurs de l’arc-en-ciel — « centre LGBTQIA + »[1]. De l’autre côté du portail, une affiche rose fait de la retape pour la 42e édition du Festival de la rillette de Chantenay-Villedieu. Il est maintenant 18h et, comme chaque vendredi soir depuis décembre 2022, l’antenne locale d’Homogène, un centre LGBTI + installé au Mans, ouvre ses portes.
Ce vendredi 19 juillet 2024, Émilie Dournovo, bénévole et co-responsable de l’endroit, se glisse à l’étage de cette salle prêtée par la municipalité et installe à la fenêtre un drapeau aux couleurs LGBTQIA +. « Il est totalement inclusif », souffle la quadragénaire marquant par ce geste l’ouverture, jusqu’à 21h de ce lieu accueillant un public allant de « 11 à 72 ans ».
« Ça offre la possibilité à des personnes LGBT de sortir de la solitude et de trouver des amis, il y a une vraie solitude en milieu rural si tu ne composes pas un foyer », observe-t-elle. Situé à 35 minutes en voiture du Mans, l’endroit est rare. « On est la seule association dans la campagne sarthoise », n’oublie pas de préciser Sauvane Deciron, 48 ans, habitante de la commune et co-responsable de l’endroit.
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« Un raz de marée »
En 2023, l’antenne de Pontvallain a connu près de 500 visites. 800 depuis son ouverture. « Il y a autant de personnes LGBT à la campagne qu’en ville, rappelle, en guise d’évidence, Sauvane Deciron. Mais elles se cachent ou c’est plus difficile pour elles de trouver leur place. On voit bien à Pontvallain : ça a été un raz-de-marée. »
Si certaines personnes ne se présentent qu’une fois, d’autres font office d’habitués. C’est le cas de Xavier, 52 ans, barbe et cheveux hirsutes. Lui a grandi ici, à Pontvallain, et s’est découvert une attirance pour les hommes assez tôt. « Quand je voyais les mecs torse-nu à la télé », se marre-t-il, posé près d’un ventilateur salvateur par ces jours chauds de juillet. « Ma mère était compréhensive, mais mon père était homophobe », confie-t-il. À 20 ans, il fout le camp. Trop seul. « J’explosais… » Direction Paris.
Là-bas, c’est la rue qu’il connaît. Puis, le Sud et retour à la case départ. Aujourd’hui encore, l’homme aux multiples tatouages doit faire face à des voisins qui, alors qu’il jardine tranquillement, lâchent des « y’a l’autre PD dans son jardin ».
Il y aussi ce type qui, à son retour ici, lui a dit : « Je dis pas bonjour aux PD. » Aujourd’hui, Xavier ne se démonte plus. Ça n’a d’ailleurs jamais été son genre. Mais combien n’y survivent pas ? Outre les 2 377 cas LGBTIphobes relevés en 2023 par SOS homophobie, une récente enquête de l’Agence régionale de santé (ARS) de la région Auvergne-Rhône-Alpes [2] pointe une surreprésentation des risques de suicide en zone rurale et porte une vigilance particulière aux personnes LGBTI +. « L’isolement social et/ou territorial des personnes LGBTI + est une préoccupation », note l’ARS.
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Un taxi pour la pride
Nulle enquête similaire n’a été produite dans les Pays de la Loire, mais les symptômes et remèdes sont les mêmes. « À Pontvallain, c’est cool, y’a une antenne, ils peuvent venir. Mais la plupart des villages ne sont pas équipés d’associations bienveillantes, souligne Sauvane Deciron. Dans toutes les grandes villes, il y a une association LGBT à qui parler. Mais on en aurait besoin dans chaque village ! »
N’ayant elle-même pu bénéficier d’un tel lieu, elle a choisi de s’engager comme bénévole. « Le gros problème de la campagne, c’est le déplacement, se relier les uns aux autres. Plein de jeunes ne sont pas véhiculés. Pour la pride du Mans, on a amené des jeunes des campagnes pour qu’ils puissent vivre ça. »
Alors que le dernier Plan national d’actions pour l’égalité, contre la haine et les discriminations anti-LGBT + entend promouvoir la visibilité des personnes LGBT + en milieu rural, une « pride des campagnes » est organisée à Chenevelles, village de 482 habitants de la Vienne, chaque mi-juillet, depuis 2022.
« À l’origine, on est un groupe de potes et l’on vient tous de la campagne, témoigne Antoine Framery, 31 ans, responsable de la communication de cet événement baptisé Fiertés Rurales. Comme on ne se sentait pas représentés par les autres prides, on a voulu organiser quelque chose qui nous ressemble. Ça s’est lancé comme ça. »
Lui a grandi dans un petit village du Finistère et il estime que « la ruralité est beaucoup plus accueillante qu’on ne peut l’imaginer ». Cette pride est un succès et compte aujourd’hui 60 bénévoles. « On comble un vide, un besoin, on sent qu’il y a une vraie attente », analyse-t-il, à rebrousse-poil de l’image d’une ruralité forcément réactionnaire et repliée sur elle-même.
Il n’oublie pas de rappeler quelques difficultés inhérentes à la ruralité : « On a aucun lieu pour sortir et être en communauté : dans la construction personnelle, on a besoin de pairs à qui poser des questions. En ruralité, on est un peu seul. Pour rencontrer du monde, il faut faire 10 ou 15 km et quand on est jeune, on n’a pas forcément le permis. » Il pointe aussi du doigt l’absence de représentation culturelle
« Je voudrais que tu m’appelles mon chéri »
À l’antenne de Pontvallain, Tibo [3], 17 ans, raconte avoir été assigné femme à la naissance, mais se reconnaître homme. « Avec mes parents, c’était compliqué et puis ça a été accepté », témoigne-t-il, baskets Nike aux pieds.
À ses côtés, c’est l’inverse pour Maëlys [3]. De quelques années sa cadette, celle qui est née dans un corps d’homme se reconnaît femme. « J’ai la chance d’avoir des parents qui ont compris », glisse-t-elle avec un air malicieux. « Mais je n’en parlais pas au lycée, ils confondaient tout. Ça m’aurait pris trop d’énergie. »
Pour casser les préjugés, l’antenne d’Homogène intervient d’ailleurs en milieu scolaire dans tout le sud de la Sarthe. Ce vendredi soir, il y a aussi cet adolescent timide qui a changé de genre et a officiellement changé son prénom féminin pour un masculin. Sa mère se souvient, encore émue, du jour où elle a trouvé un mot de son enfant : « Je voudrais que tu m’appelles mon chéri plutôt que ma chérie. »
Pour Sauvane Deciron, « il y a beaucoup de croyances sur la campagne : on a l’impression que les gens sont bourrus, fermés ». « À titre personnel, c’est plus facile de faire ma transition ici, en campagne, avec des voisins que je connais. »
Présent ce vendredi soir à l’antenne, Sacha [3], 25 ans, a entamé sa transition il y a deux ans. « À Pontvallain, tout le monde connaît tout le monde », raconte ce natif du Mans. « J’ai plus de jugement en ville où on ne sait jamais sur qui on va tomber. »
Sauvane Deciron estime que les temps ont changé. « À mon époque, la transidentité était encore considérée comme une maladie psychiatrique », indique celle qui est née à la fin des années 1970. Un classement revu en… 2010. « C’est pour ça que je fais une transition tardive : car je n’ai pas pu la faire avant. À l’inverse de certaines consœurs, moi j’ai survécu, j’ai échappée au suicide. »
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Les sciences sociales sous influence
Docteure en sociologie et spécialiste de l’homosexualité masculine en milieu rural, Virginie Le Corre explique avoir voulu « aller à l’encontre d’un savoir homosexuel qui était très orienté par le prisme citadin ».
Dans son Manuel indocile de sciences sociales, le sociologue Colin Giraud écrit ainsi que « la grande ville occupe une place singulière et mythique dans les cultures gays et lesbiennes […] : anonymat et l’affaiblissement du contrôle social, la densité de population et la possibilité de rencontres, la diversité et le brassage des populations, le sentiment de liberté accru ».
Parallèlement, la sociologie rurale a aussi contribué à l’invisibilisation des relations non-hétéronormées en campagne. « La place de ces minorités dans la sociologie des mondes ruraux et périurbains est quasi inexistante en France : le tropisme hétérosexué y semble particulièrement hégémonique.[4] »
Et puis Internet arrive. « Avant ça, on avait aucune référence, aucune représentation », rembobine Sauvane Deciron. Virginie Le Corre abonde : « Les autres générations trouvaient des livres où il est écrit « maladie ». Internet, c’est une porte ouverte vers la possibilité d’être. De s’échapper des conditions par défaut. »
Aujourd’hui, le rôle des associations est aussi d’aider à « trier » ce contenu en ligne. « C’est un puits d’informations et d’échanges intéressants, on s’entraide, on est une minorité, donc on se serre les coudes », indique Sauvane Deciron.
Effet boomerang : dans son dernier rapport, SOS Homophobie alerte sur la « haine en ligne » qui représente 23 % des cas de LGBTIphobie. « Internet est aujourd’hui utilisé comme un relais de messages LGBTIphobes et une prolongation du harcèlement et des discriminations vécues dans le monde réel ».
Quelque part dans le monde réel, à l’antenne de Pontvallain, on laisse tranquillement courir la soirée. À la fenêtre du bâtiment communal, le drapeau aux multiples couleurs rappelle, qu’à la campagne aussi, on peut être jeune, LGBTQIA + et fier(e).
[1] LGBTQIA + signifie Lesbiennes, Gays, Bisexuel(le)s, Transgenres, Queers, Intersexué(e)s, Asexuel(l)es et le + inclut les autres genres ou sexualités.
[2] Observatoire régional du suicide Auvergne-Rhône-Alpes. Suicide et tentative de suicide en Auvergne-Rhône-Alpes : synthèse. Bulletin. Janvier 2024 ; 102p. [http://www.ors-auvergnerhone-alpes.org/pdf/ORSuicide_Synthese_2024.pdf]
[3] Nom d’emprunt
[4] Minorités de genre et de sexualité, Chapitre 6 – Au-delà de la visibilité urbaine. Une approche qualitative des homosexualités rurales et périurbaines, Colin Giraud
Photo bannière : Alors que les lieux d’accueil ou militants sont concentrés dans les grandes villes, l’association Homogène a fait le pari inverse en s’installant dans le sud de la Sarthe. @Crédit photo : Maxime Pionneau
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