A l’occasion d’un enquête immersive de plusieurs années réalisée dans le cadre de sa thèse de doctorat en sociologie, Benoît Coquard, actuellement chercheur à l’INRAE de Dijon, nous fait partager la vie de jeunes adultes qui vivent dans les campagnes en déclin du Grand Est de la France où il a lui-même grandi. Assez éloigné de la vision générale de la France périphérique abandonnée par l’État ou du mépris de classe considérant les habitants des campagnes comme des « beaufs » rustres et racistes, l’auteur nous fait découvrir les sociabilités et solidarités qui se créent, ainsi qu’une certaine fierté de ceux qui restent par rapport à ceux qui ont choisi de quitter leur campagne pour la ville. « Ici c’est un peu la Corse sans la mer » dira même l’un des enquêtés. Évidemment, dans ces cantons où l’emploi se fait rare et le plus souvent peu qualifié (ouvriers et employés principalement), la concurrence est dure et concerne des personnes qui sont proches socialement et géographiquement. Par conséquent, il importe de s’affilier à des cercles de relation, des « bandes de potes » au sein desquels se cultivent l’amitié, le respect et l’entraide. Ces sociabilités s’organisent à l’abri des regards et des ragots et donc dans des lieux privés, « chez les uns les autres » plutôt que dans l’espace public, la rue ou les bars laissés aux vieux et aux « cassos ». Elle se poursuit dans les clubs sportifs et les sociétés de chasse. En effet, la nécessité de se faire une « bonne réputation » conduit à sans cesse se distinguer des précaires et autres allocataires de minimas sociaux. Benoît Coquard s’intéresse également à ceux et surtout celles qui choisissent de partir en ville, le plus souvent pour poursuivre des études et qui vivent la double difficulté d’être à la fois « oubliées dans leur village d’origine et inconnues dans leur ville », peuvent être moqués pour leur accent, mais qui se détachent peu à peu de leurs « copains d’avant ». Cette approche de l’émigration intérieure qu’est l’exode rural aide à la compréhension de la situation des étrangers dans notre pays. Par son approche micro-sociale, ce petit livre très accessible donne à voir et apprécier, souvent avec le sourire, ce qui se vit dans ces campagnes en déclin, chez tous ces gens dont on ne parle pas dans les médias et qui s’étonnent même « qu’on lise un livre qui parle de nous ». Un bon remède contre la vision « urbano-centrée » de la ruralité.
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