Après le choc des dernières élections, il fallait bien questionner le cœur des campagnes. Et si le vent mauvais soufflait bien du côté de l’extrême droite, il était nécessaire d’en creuser les causes sociologiques auprès des Millenials. Avec Clément Reversé, sociologue et maître de conférences à l’université de Toulouse-Jean-Jaurès, chercheur au Centre d’étude et de recherche travail organisation pouvoir (Certop) et au centre Émile-Durkheim, nous avons pris ce temps. Il travaille autour des jeunes et de la ruralité depuis 2017, et notamment sur le décrochage, l’insertion des jeunes sans diplôme entre la ville et les campagnes. Pile ce pour quoi nous sommes allés le chercher.
Quels sont les facteurs qui ont déterminé le vote massif des jeunes des campagnes pour le Rassemblement national (RN) ?
Si on prend vraiment de manière très froide les statistiques, on se rend compte que plus on est éloigné des centres urbains, moins on a un niveau de qualification fort. Et plus on est précaire, plus on va voter à l’extrême droite.
Ça ne veut pas dire du tout que c’est un vote, comme on peut l’entendre très souvent, qui est stupide ou qui est raciste. Il peut y avoir des motivations racistes pour plein de votes différents.
Ce qui est mis en avant, c’est tout d’abord le positionnement comme parti des travailleurs. C’est-à-dire que l’extrême droite représente pour eux le parti de ceux qui veulent travailler, en opposition avec la gauche, vu comme ceux qui veulent juste vivre des aides, ne rien faire, et donc qui s’opposent un petit peu à cette valeur du travail.
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Ce sont des thèmes exploités pourtant depuis de nombreuses années par les partis traditionnels. Qu’est-ce qui change ici ?
Ce mouvement-là, cette résurgence, est en fait un mouvement ascendant depuis les années 1980. Avec des études qui montrent qu’on a des transitions assez importantes chez les classes populaires, de l’extrême-gauche vers l’extrême-droite. Celles-ci qui attendaient le grand soir, une révolution, un changement, ne l’ont pas eu et donc se sont tournés vers un autre parti.
Alors, bien sûr, il y a des jeunes qui ont un fond aussi un petit peu identitaire, de lutte, et il faut bien avouer qu’il n’y a pas beaucoup de partis qui parlent de ruralité. Il y a Jean Lassalle et le Rassemblement national, qui occupent ce terrain.
Les grands partis classiques ont donc amené les jeunes plus vers les villes, rejetant l’idée même d’un avenir en campagne ?
Pendant des années, la solution, de la droite républicaine ou des socialistes, était d’aller en ville, de faire des études. « Vous verrez, votre vie sera meilleure », disait-on.
Et donc, finalement, pour ceux qui restent dans les campagnes – du nom très juste de l’ouvrage de mon confrère Benoît Coquard [Ceux qui restent : Faire sa vie dans les campagnes en déclin] – il y a cette impression d’être invisibilisé.
On a un État qui est quand même assez centralisé et les questions de ruralité n’ont pas intéressé pendant très longtemps. Je pense qu’il y a malgré tout eu un changement en 2018, avec les Gilets jaunes, qui est quand même un mouvement parti des campagnes. On s’est rendu compte que si les campagnes – donc un tiers de la population et les deux tiers du territoire – se mettent à tout bloquer, et bien la France est complètement bloquée.
Et on le voit très bien sur les financements de recherches et sur les politiques mises en place dans les territoires ruraux. 2018, ça a été un tournant.
Et plus encore pour les jeunes…
On ne peut pas dire que ces tremblements de terre fassent changer pour autant les politiques publiques, puisqu’en fait, on parle effectivement de la politique au sens de l’engagement, mais la gestion de proximité en politique, elle est quand même celle de la désaffection en ruralité.
Les transports, ça ne fonctionne pas, les écoles, ça dépend des territoires. Dans tous les cas, on ne met pas la priorité là-dessus parce que ce n’est pas rentable.
La jeunesse n’est donc pas rentable pour l’État ?
Bien sûr, on a toujours cette impression que les campagnes coûtent cher, parce qu’il faut mettre des services. On oublie que sur le long terme, dès qu’on a des services de santé, dès qu’on a des services d’éducation, cela favorise un développement ou des dépenses qui peuvent être limitées.
Mais on se dit, tout simplement, que les campagnes sont un grand territoire qui coûte très cher. Et finalement, si les jeunes n’y votent pas trop, il n’y a pas nécessairement un intérêt fou à mettre trop de choses en place.
Il y a les associations, bien sûr, il y a des expérimentations, mais elles n’arrivent pas à pallier ce phénomène de délaissement.
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Et socialement qui sont-ils et elles, ces jeunes ?
Ce qui unit les jeunes en campagne, c’est que, de manière générale, ils viennent d’origines sociales un petit peu plus populaires que la moyenne, qui correspondent à la demande en matière d’emplois sur place.
Ce sont surtout des jeunes enfants d’employés. Aujourd’hui, à la campagne, le tertiaire domine. Quant aux métiers agricoles, c’est un héritage en balance, en transition entre les générations. Mais ça attire peu parce qu’on sait qu’il y a des horaires qui sont pénibles, que c’est assez fatigant, et pas vraiment rémunérateur.
La fuite vers les métropoles continue aisément. C’est mathématique dans la mesure où il y a une problématique large de la population et des crises comme la crise agricole notamment, qu’on vient de traverser ces six derniers mois, qui n’est qu’une accumulation de plusieurs crises.
Beaucoup préfèrent avoir un métier dans le tertiaire et être un peu plus tranquille. Ce qui n’empêche pas de s’engager.
Tout n’est donc pas perdu pour autant…
Il ne faut pas considérer que la jeunesse rurale est désengagée. Les jeunes, certes, suivent moins les engagements traditionnels de la politique, mais par contre, vont militer, vont tracter sur Internet, être très actifs en tant que citoyens. On pense aux marches pour le climat, par exemple. Là, oui, le vote des élections européennes a un peu bousculé toute cette situation.
La citoyenneté jeune rurale s’exprime associativement très puissamment. Et les jeunes s’engagent pas mal au niveau associatif, au niveau culturel. Ce qui leur est souvent reproché, c’est qu’ils ne le font pas sur le long terme. Mais on peut très facilement l’expliquer, parce que les vies des jeunes aujourd’hui sont beaucoup plus instables.
Cette instabilité ne permet pas un engagement associatif très pérenne. C’était autrefois très encadré. Soit par la religion, comme avec les JAC (jeunesse agricole catholique), soit par les courants laïcs (les foyers ruraux). Ceci dit, c’était quand même des remparts qui mettaient les jeunes sur des rails.
Alors qu’aujourd’hui, il n’y a quasiment plus ça parce qu’on a une marée montante de la précarité chez les jeunes. Les jeunes sont, et à travers toutes les classes sociales, extrêmement précaires, et de plus en plus précaires, donc ce fait là est assez inquiétant.
Vous étudiez la jeunesse justement rurale mais aussi urbaine. Quels points saillants de différence et de rassemblement y a-t-il aujourd’hui entre ceux qui sont en métropole et ceux qui sont en ruralité ?
Ce que j’ai beaucoup observé, c’est le rapport à l’emploi et le rapport aux aides sociales par exemple. Ou les jeunes de classe populaire dans les territoires ruraux versus les jeunes de classe populaire en ville.
Dans les territoires ruraux, ils ont un rapport au travail beaucoup plus de l’ordre de la valeur. Il y a une valeur du travail. Il faut travailler, il faut montrer qu’on travaille, etc. Ce qui fait que très souvent, ils tombent dans la précarité et se font exploiter parce qu’ils travaillent avec des chefs d’entreprise qui ne sont pas toujours très en accord avec la loi.
Dans le même temps, il y a un gros rejet des aides, la peur de devenir un « cassos », un assisté. Là où cette réflexion est beaucoup plus dépassée par les jeunes des villes que j’ai pu rencontrer, qui comprennent qu’il y a une précarité ambiante, qu’il y a une exploitation.
Ce qui explique notamment que les jeunes des territoires ruraux ont à la fois une meilleure ascension professionnelle, un meilleur rapport à l’emploi et, en même temps, des taux de pauvreté qui sont plus intenses.
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Quel destin se réservent donc ces jeunes ruraux ?
Sans être devin, on peut imaginer que les mouvements sociaux vont s’accélérer et finir, peut-être, par aboutir à des changements politiques.
Il ne faut pas les craindre en s’imaginant des guerres civiles. Je veux dire, tout simplement, qu’au bout d’un moment le changement social peut arriver. On comprendra que le rapport à l’emploi aussi peu valorisé n’est pas viable dans ces territoires, que les inégalités territoriales entre les territoires ruraux et les villes sont extrêmement importantes et qu’il va falloir faire quelque chose à ce propos.
Vous êtes optimiste pour eux ?
Je me souviens d’une conférence où l’on me demandait si la jeunesse aujourd’hui était en colère. J’avais répondu que oui, heureusement. Oui, c’est ça, c’est plutôt au bon moteur. Il vaut mieux de la colère que de l’apathie.
C’est plutôt sain. Ça veut dire que c’est une génération qui va vouloir animer son âge pour sa citoyenneté.
- Du désamour à la rupture : le décrochage discret des jeunes ruraux de Nouvelle-Aquitaine aux éditions Cereq
- Le rural est l’archétype du territoire mondialisé : Entretien avec Benoît Coquard, sociologue à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement et auteur de Ceux qui restent
- Les ruralités face aux discriminations pour Les Cahiers de la LCD aux Éditions l’Harmattan
- Le coin et le cocon : Le sentiment de « chez-soi » chez des jeunes vulnérables de
classes populaires rurales aux éditions Cereq
Photo bannière : Clément Reversé, sociologue, travaille sur la jeunesse en ruralité. @Crédit photo : Centre Émile-Durkheim
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