Depuis 2019, le Ravitaillement alimentaire autonome et réseau d’entraide (Raare) cultive un lopin de terre dans la campagne d’Angers (Maine-et-Loire). Les légumes sont distribués à des familles dans le besoin ou cuisinés pour soutenir des luttes sociales. Ces chantiers se déroulent dans une ambiance qui veille à ne pas reproduire les travers d’une société que ces militants dénoncent. Reportage.
Un retraité, un éducateur, une professeure des écoles et une maraîchère sont dans un jardin. Qui commande ? Personne. Depuis 2019, le Ravitaillement alimentaire autonome et réseau d’entraide (Raare) cultive un lopin de 6 000 m² à Saint-Georges-sur-Loire, au sud d’Angers. Ici, on trouve des concombres, courgettes, radis, carottes, fraises, courges, oignons, haricots noirs, plantes aromatiques, vignes…
Chaque mercredi et samedi, des véhicules covoiturent de la préfecture du Maine-et-Loire vers la campagne angevine. Direction un trou de verdure où ronronne en fond l’autoroute reliant Angers à Nantes. En ce mercredi de juin, ils sont une quinzaine réunis en arc de cercle sous une bruine matinale. Devant eux, un tableau résume les tâches du jour. « Qui est intéressé pour faire de la plantation ? », demande l’animatrice du jour. Il faut planter des courges, enlever les mauvaises herbes qui poussent près des 400 plants de tomates, tailler les vignes…
À l’entrée du jardin, un panneau annonce la couleur. « Ici comme ailleurs, aucun acte ou propos sexiste, antisémite, homophobe, transphobe, raciste, validiste, patriote/identitaire, anti-SDF ou demandeur d’emploi, etc. ne sera toléré », lit-on en dessous d’un texte qui désigne la nourriture comme « un pivot nécessaire à toute résistance à la violence capitaliste et à un état injuste et policier ».
Assise en train de noter le nom des plantations sur une ardoise (qui vont de « antifa », à « sale licorne », en passant par « saccage » ou « sabotage »), Capra [1] témoigne : « À partir du moment où l’on vit des oppressions au quotidien, on n’a pas envie de les revivre. » L’absence de pouvoir ne signifie pas l’absence d’ordre : « Mine de rien, on est vachement organisés. Mais on se méfie vachement du leadership et des possibles prises de pouvoir », ajoute cette trentenaire en formation dans le maraîchage.
La rencontre de deux mondes
« En moyenne, on est une dizaine sur les chantiers, mais c’est variable. Ça dépend de plein de choses : la météo, la mobilisation sociale », témoigne Camille (1), maraîcher de 34 ans, engagé au Raare depuis 2020. Lui comme la plupart des personnes présentes ce jour-là refusent que leur nom apparaisse et préfèrent ne pas voir leur visage photographié. « On est nés de la rencontre de deux mondes : des militants squat de la Grande Ourse [évacué en janvier 2021] et des militants de la campagne. Beaucoup de précaires se nourrissaient avec de la récupération de produits alimentaires industriels. L’idée est venue de faire pousser nos propres légumes. »
Une parcelle est trouvée, mise à disposition par Florian Juillard, agriculteur et intermittent du spectacle. « J’ai du bol, j’ai du patrimoine, je ne vois pas pourquoi je ne le partagerais pas », témoigne-t-il. « Ce n’est pas normal que des mecs avec 800 hectares ne produisent que de la merde et que des gens qui ont envie d’essayer des choses n’aient pas accès à la terre. »
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« L’aspect cantine prend une part très importante, alors qu’au début, c’était très axé sur le jardin », reprend Camille. Sur le tableau, les prochaines dates de la cantine végétalienne[2] et à prix libre sont affichées : à la ZAD de Notre-Dame-des-Landes ou lors d’un rassemblement d’opposants aux méga-bassines. « Pour qu’une lutte puisse perdurer, il faut manger », note Nina, 27 ans, engagée au Raare depuis 2022, qui rappelle qu’une partie des légumes sont récupérés « auprès d’un gros réseau de paysannes et de paysans ».
Le Raare distribue aussi ses légumes. Des paniers sont en préparation pour être livrés à des familles de la Roseraie, un quartier d’Angers et au centre social de Saint-Georges-sur-Loire. En tout, ils seraient près de 80 à filer, chaque année, un coup de main ou de bêche.
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« Il y a la parole et la pratique »
Avec le temps, la sociologie des bénévoles a évolué. « On avait pas mal de personnes précaires, à la rue ou réfugiées. Depuis qu’il n’y a plus la Grande Ourse, on a pas mal de gens avec des formations ou qui ont fait des études. Il y a quand même une certaine diversité », observe Camille. « Je trouve ça hyper important d’avoir conscience du temps de production et de la charge de travail », rembobine-t-il pour expliquer son engagement.
Alors que le soleil apparaît dans le ciel de la campagne angevine, Antoine (1) assène des coups de pioche pour enlever ce qui lui semble être des mauvaises herbes. Cet éducateur de 50 ans, habitant dans l’hypercentre d’Angers, vient ici depuis moins d’un an. « La première fois que j’ai vu le jardin, je me suis dit : ouah ! »
Lui a milité au sein de l’Étincelle, une association qui a longtemps porté la parole libertaire à Angers avant de s’autodissoudre au printemps 2021. Militer non seulement en discourant ou en portant la bonne parole, mais par des actes : c’est ce qui lui parle. Il jette un coup d’œil dans le rétro de ses expériences militantes : « Il y a parfois des prises de paroles hégémoniques, car ces personnes ont les dispositions pour. Pour faire autorité, la parole s’impose. Là, c’est multiple : il y a la parole, mais aussi la pratique. »
Occupée à redresser des plants de tomates, une institutrice, un bandeau dans les cheveux, se décrivant comme « anticapitaliste, féministe, anar’ » résume l’intérêt paradoxal de cette endogamie : « Ça permet de côtoyer des gens avec les mêmes idées. » L’endroit a tout du petit îlot façon Utopia.
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Passé par les Restos du Cœur, Pierre (1), un instituteur à la retraite de 63 ans, ne regrette pas d’avoir rejoint le Raare. « Les Restos ne se positionnent jamais sur le terrain des luttes politiques, c’est pourtant le nœud du problème », regrette-t-il, s’agaçant du « fonctionnement pyramidal » de l’association créée par Coluche. Au contact de la jeune génération, il s’est sensibilisé aux « histoires de patriarcat et la question transgenre ».
Au fond de la parcelle, on cause politique en bêchant le sol et en arrachant les mauvaises herbes : « Il faut quand même des gens qui dirigent un peu le truc », estime l’un. « Mais ça peut être une équipe », lui objecte l’institutrice. Un autre relance : « Plus on est autonome, moins y’a de possibilités que quelqu’un devienne chef ». Un dernier ajoute : « Si un chef apparaît à un moment, c’est aussi que les gens ont laissé la place. »
[1] Nom d’emprunt
[2] Sans produit d’origine animal
Photo bannière : Chaque mercredi et samedi, on vient jardiner dans la campagne angevine dans le jardin du Ravitaillement alimentaire autonome et réseau d’entraide (Raare). @Crédit photo : Maxime Pionneau
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