Visant à protéger le revenu des agriculteurs, la loi EGalim était sur toutes les bouches lors du mouvement social de janvier : pourquoi celle-ci n’est pas respectée ? Alors que l’événement Planète en fête est organisé à Laval (Mayenne) les 29 et 30 juin 2024, Éric Guihéry, agriculteur et administrateur au Civam Bio 53 qui porte l’événement, livre son regard critique et ses espoirs sur le sujet.
Un, deux, trois et c’est tout ? Alors qu’une quatrième version de la loi EGalim était prévue pour l’été 2024, la dissolution de l’Assemblée nationale rebat aussi les cartes dans le secteur de l’alimentation. Pour rappel, la première loi EGalim remonte à 2018 et visait à « lutter contre le gaspillage alimentaire » et à « payer le juste prix aux producteurs ».
Elle avait pour ambition rien de moins que « l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous ». En 2021, la loi EGalim II mettait l’accent sur une protection de la rémunération des agriculteurs, quand EGalim III, adoptée en 2023, voulait renforcer l’équilibre entre agroalimentaire et grande distribution.
Lire aussi : Deux pays, deux regards, une même volonté de souveraineté agricole et alimentaire
Au lendemain du mouvement social agricole de janvier, une commission parlementaire avait été lancée. Critiquée de tous bords, la loi EGalim remplit-elle ses fonctions ? Des difficultés des agriculteurs à vivre de leur métier à l’inflation subie par le consommateur entraînant une baisse de la consommation du bio, laissent à penser que non.
Mais pourquoi cette loi EGalim ne parvient pas à réguler ce secteur stratégique qu’est l’alimentation ? Pour tenter de comprendre cet échec, Éric Guihéry, éleveur laitier mayennais et l’un des administrateurs du Civam (Centre d’initiatives pour valoriser l’agriculture et le milieu rural) Bio 53, apporte son éclairage sur le sujet. Installé en Gaec avec son épouse Patricia, celui qui est en bio depuis vingt ans jette un regard critique sur le sujet. À la veille de l’évènement Planète en Fête organisé à Laval (Mayenne) les 29 et 30 juin 2024, il livre aussi ses espoirs.
Pour vous, quel est l’objectif premier de la loi EGalim ?
Éric Guihéry : À la base, c’était pour répartir les marges au sein des filières agricoles entre les paysans, les collecteurs, les transformateurs et les distributeurs. Avant ça, l’administration n’avait que peu de regard dessus. On partait de rien !
D’un côté, il y a les coopératives sur lesquelles on entendait que — comme elles sont gérées par les paysans qui décident du prix — la transparence était totale. Dans la réalité, ces paysans n’avaient aucune vue sur les marchés et les prospectives. De l’autre, il y a ceux qui commercialisaient en privé. Là, il y avait une hégémonie des acheteurs qui pouvaient fixer des prix proches les uns des autres.
Lire aussi : Finistèrestes, une coopérative au service des produits déclassés bretons
La première version de la loi EGalim remonte à 2018. Six ans plus tard, où en est-on ? A-t-on vu émerger « l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous » voulu ?
On ne peut pas dire que tout est réussi, ni que rien n’a changé. Ce qui n’a pas changé, c’est qu’il n’y a toujours pas de transparence dans la répartition des marges. Chacun diffuse les données qu’il veut sans qu’il n’y ait la possibilité de voir la véracité des chiffres. Il n’y a pas de transparence chez les transformateurs comme chez les distributeurs, alors que les paysans ont toujours été très transparents sur leurs coûts de production. Ce qui a changé, c’est qu’il y a de la négociation, de la discussion et de l’écoute qu’il n’y avait pas avant.
Pour quelle raison n’y a-t-il pas de transparence ?
On est sur un marché libre et concurrentiel, c’est pour ça qu’ils ne veulent pas donner leurs chiffres. C’est la réponse systématique que l’on a.
Lors du mouvement social des agriculteurs en janvier, le non-respect de la loi a été pointé du doigt. La force publique a-t-elle les moyens de contraindre les intermédiaires ?
Elle n’a aucun moyen. Si seulement elle pouvait déjà contraindre à faire connaître les marges !
Pour contrer le rôle joué par les centrales d’achats européennes, un projet d’« EGalim européen » a été évoqué en février. Pensez-vous que l’Europe soit le bon niveau pour intervenir ?
Pour la bio, non. Plus de 90 % des produits bio de France sont consommés en France. Je me dis qu’ils ont renvoyé ça au niveau européen pour cacher leur incapacité à imposer des choses au niveau national.
Avant la dissolution de l’Assemblée nationale à l’issue des élections européennes, une commission parlementaire planchait sur une quatrième version de la loi. Qu’en attendiez-vous ?
Le plus important, c’était de préparer le grand chantier des transmissions des fermes agricoles, car la moitié des paysans ont plus de 55 ans. Il faut une loi agricole et foncière. Mettre les deux ensemble.
Lire aussi : En Maine-et-Loire, la sécurité sociale de l’alimentation est une utopie en construction
Fin juin, la 20e édition de Planète en fête, organisée par le Civam Bio 53, a lieu à Laval. En quoi ce type d’événement est important ?
Le commun des mortels peut avoir une idée de la bio faite pour les « bobos ». Il y a aussi l’idée que si tout le monde se met au bio, on ne pourra pas tous manger, car ça coûte trop cher et on ne produira de toute façon pas assez… L’idée, c’est de casser ces préjugés. On peut très bien se nourrir à pas cher en utilisant des produits de saison et de qualité. Organiser Planète en fête dans la banlieue de Laval, c’est s’approcher des citoyens dont on pourrait croire qu’ils sont éloignés de la bio. Mais ce n’est pas toujours le cas. C’est aussi montrer qu’on peut s’alimenter à pas cher avec ces produits-là. C’est de l’action plutôt que des grands discours !
Planète en fête, samedi 29 juin et dimanche 30 juin 2024, à la Plaine d’aventure Saint-Nicolas, à Laval, programmation complète à retrouver ici. Participation libre. Contact : 02 43 53 93 93.
Photo bannière : Installé en Mayenne, l’agriculteur et administrateur du Civam (Centre d’initiatives pour valoriser l’agriculture et le milieu rural) Bio 53, Éric Guihéry, jette un regard critique sur la loi EGalim. @Crédit photo : Éric Guihéry.
0 commentaires