Dans le Maine-et-Loire comme ailleurs, la sécurité sociale de l’alimentation est une utopie en construction

par | 25 Juin 2024 | 07-2024, Alimentation

Et si notre alimentation relevait d’une sécurité sociale au même titre que la santé ? En France, une dizaine de villes expérimente déjà des embryons de sécurité sociale de l’alimentation. À Cholet (Maine-et-Loire), des citoyens (essentiellement membres de l’opposition municipale de gauche) se réunissent pour faire avancer l’idée de l’accès pour tous à une alimentation de qualité et d’un revenu digne pour ceux qui la produisent.

C’est un vendredi soir studieux dans la salle de la Bruyère à Cholet (Maine-et-Loire). En ce dernier jour de mai, quatorze personnes ont répondu à l’appel de l’association Communs communes du Choletais, créée au lendemain des élections municipales de 2021 par le groupe d’opposition Avec vous ! Uni.e.s à gauche.

Après une conférence gesticulée de l’agronome Mathieu Dalmais, intitulée De la fourche à la fourchette… Non ! L’inverse !!, organisée mi-avril, les participants planchent une nouvelle fois sur la question de la sécurité sociale de l’alimentation (SSA). « C’est un sujet intéressant dans un contexte d’inflation », euphémise Hugues, 37 ans, l’un des rares à ne pas être engagé dans l’un des groupes d’opposition municipale.

Une quinzaine de personnes se sont réunies à Cholet (Maine-et-Loire) pour lancer un projet de sécurité sociale de l'alimentation. @Crédit photo : Maxime Pionneau
Une quinzaine de personnes se sont réunies à Cholet (Maine-et-Loire) pour lancer un projet de sécurité sociale de l’alimentation. @Crédit photo : Maxime Pionneau

« L’accès à l’alimentation de qualité est un droit »

« L’accès à l’alimentation de qualité est un droit et ce n’est jamais posé en ces termes », expose Élisabeth Allain, membre de cette sorte de think tank citoyen comptant une dizaine de membres. « Il y a de plus en plus de personnes qui ont recours à l’aide alimentaire. [La sécurité sociale de l’alimentation] est une idée qui traverse des tas de domaines : la production, la distribution, la consommation… »

Selon l’Insee, il y aurait, en 2021, entre 3,2 et 3,5 millions de bénéficiaires d’une aide alimentaire apportée par les associations. Un rapport de la Banque alimentaire de février 2023 rappelle que son nombre de bénéficiaires est passé de 820 000 personnes en 2011 à 2,4 millions fin 2022. « Depuis 2008, les différentes crises économiques et sanitaires se sont traduites par cette “marée lente” du recours à l’aide alimentaire qui n’a jamais refluée », lit-on.

« Transformer radicalement le système de production »

Dans la petite salle municipale, ça se met au travail. « La sécurité sociale de l’alimentation a les mêmes bases que la sécurité sociale tout court », contextualise Élisabeth Allain à la petite assemblée qui a sorti trousses et blocs-notes. À ses côtés, Kévin Certenais note un premier thème de réflexion sur lequel les participants, répartis en trois groupes, doivent plancher : « Comment nous portons cette idée de la sécurité sociale de l’alimentation ? »

Co-auteur avec Laura Petersell d’un ouvrage intitulé Régime Général. Pour une Sécurité sociale de l’alimentation, cet ex-candidat aux législatives pour La France insoumise et membre de l’association d’éducation populaire Réseau Salariat précise : « L’objectif, c’est de transformer radicalement le système de production sur toute la filière de l’alimentation. […] L’alimentation est un sujet qui permet de s’attaquer aux rapports d’exploitation et de domination. »

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Une utopie ? Pas vraiment. Fort d’une trentaine d’organisations membres[1], le Collectif pour une sécurité sociale de l’alimentation se mobilise depuis 2019 pour « essayer de penser les institutions d’une socialisation de l’agriculture et de l’alimentation ». Un peu partout en France, des expérimentations locales naissent : Toulouse, Bordeaux, Lyon, Grenoble, Saint-Étienne…

À Montpellier par exemple, où l’expérience est la plus avancée, une caisse alimentaire réunit 400 personnes. En échange d’une cotisation libre, les participants touchent 100 € pour se nourrir. Dans une interview publiée par le média Basta !, un membre du collectif qui porte l’initiative donne ses conseils : « Tentez, sans faire la même chose. Il faut que les critères soient cohérents avec la réalité locale. »

« Il faut bien démarrer quelque part »

Après avoir planché sur leur sujet, chacun des rapporteurs des trois groupes apporte sa réponse à la colle posée par Kévin Certenais qui anime les échanges sans intervenir. « Le souci, c’est que localement, il y a une entrave à ce genre d’idées », souligne Frédéric Bardeau, candidat par le passé sur une liste d’opposition choletaise. « On s’est dit que les étudiants pourraient être un public intéressant pour une expérimentation, mais ça soulève un paradoxe : on veut que ce soit universel, mais on part d’un public cible. Il faut bien démarrer quelque part. »

Une question que s’est posée le Collectif pour une SSA : « De petites initiatives locales peuvent être nocives pour les écosystèmes ou renforcer des mécanismes forts de domination sociale. »

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Les participants planchent dans la petite salle municipale. @Crédit photo : Maxime Pionneau

« Ces expérimentations répondent à un besoin légitime et urgent », estime Tanguy Martin, membre du collectif en question et co-auteur, avec Sarah Cohen, du livre De la démocratie dans nos assiettes. « Elles incarnent aussi une idée qui est très éthérée, théorique et donnent à voir qu’une autre société est possible. »

Jouant de l’analogie avec la sécurité sociale tout court, il dit : « La sécurité sociale en 1946 ne tombe pas du ciel. Elle vient d’une dynamique qui commence à la fin du XIXe siècle où tout un tas d’organisations mettent en œuvre des dynamiques de solidarité qui aboutissent à une généralisation dans un programme de sécurité sociale globale. » Mais le risque serait de s’arrêter là. De « faire sa part » ─ en toute bonne conscience ─ et de ne pas investir le terrain politique.

Les petits ruisseaux et la grande rivière

Celui qui travaille par ailleurs pour le mouvement citoyen Terre de Liens prend l’exemple des Amap[2] dans lequel des acteurs privés ont investi. « Il ne suffit pas de faire de belles initiatives pour que ça se diffuse. Il faut mettre en place un rapport de force politique pour faire changer les choses. »

À Saumur, un groupe d’une vingtaine de personnes réfléchit aussi à la question au sein de l’Université populaire du Saumurois. Monique Tilhou, une retraitée de 75 ans qui en est membre ne dit pas autre chose : « C’est nécessaire de travailler les alternatives, mais il faut trouver des réponses systémiques. Les petits ruisseaux vertueux ne font pas de grandes rivières. »

À Saumur, on préfère diffuser l’idée plutôt que de se lancer dans une expérimentation. « On n’en a pas la force, mais on fait des jeux autour », reconnaît-elle. Du lobbying citoyen.

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« On est face à un problème systémique et la SSA est une réponse systémique », souligne de son côté Félix Lallemand, cofondateur de l’association Les Greniers d’Abondance qui « s’intéresse aux vulnérabilités de notre système alimentaire face aux changements globaux ».

Alors que la crise écologique rappelle l’urgence d’un changement de modèle agricole, lui souligne que « l’un des principaux freins [au changement de modèle] est le manque de débouchés ». « La sécurité sociale de l’alimentation garantit des débouchés à des prix rémunérateurs et protégés de la concurrence internationale », poursuit-il. L’idée est que l’État alloue une somme à chacun qu’on ne pourra dépenser que pour acheter des produits agréés et ainsi choisir de privilégier un modèle vertueux.

Et après ?

À Cholet, la soirée se poursuit. « Il faut aussi prendre en compte la situation catastrophique des paysans », ajoute Hugues pour son groupe. « Il faut que ce soit le plus local possible. » Vient le tour de Mélina, représentante du dernier groupe : « L’idée de fond, c’est d’accéder à une alimentation saine. Mais c’est quoi ? C’est bio, local ? Et si c’est bio et que ça vient du Super U ? On voudrait qu’il y ait un réseau salarial, passer par des régies publiques. Qu’il y a des cotisations en fonction des salaires. Pour l’expérimentation municipale, on ne voudrait pas une cible, mais un tirage au sort sur la base du volontariat. » Elle souligne l’importance de faire connaître cette idée. Et qu’elle infuse au-delà du petit cercle de l’opposition choletaise.

Petit à petit, ce projet de sécurité sociale est questionné dans tous les sens. Comment éviter de tomber dans la charité ? Comment passer du local au national ? Comment même créer quelque chose localement ? Faut-il créer une association ? Ce projet est-il seulement envisageable dans une ville tenue depuis 1995 par le maire de droite, Gilles Bourdouleix ?

Dans les colonnes du Courrier de l’Ouest, l’ex-candidat insoumis aux législatives et membre de Communs communes du Choletais, Christophe Airaud, déclarait : « Soit cela se fera avec une majorité politique favorable, soit à côté. » Après près de deux heures d’échanges naviguant entre du très concret et du trop abstrait, Joëlle, une participante, souffle : « Ça m’intéresse beaucoup, mais je ne comprends rien… »

À Cholet, le projet d’expérimentation de la SSA risque d’être confronté à la municipalité locale de droite. @Crédit photo : Maxime Pionneau

Nationalement aussi, la tendance est davantage à l’austérité qu’aux grandes mesures sociales. Mais le week-end qui a suivi cet atelier organisé à Cholet, l’Assemblée nationale a été dissoute et, dans la foulée, la gauche s’est unie. De quoi espérer une avancée ou, au moins, un coup de projecteur pour la sécurité sociale de l’alimentation ? « Il n’y a que le Nouveau Front populaire qui serait susceptible de porter ce type de choses. Mais avoir un gouvernement favorable à la SSA ne sera pas suffisant à sa mise en œuvre », estime Tanguy Martin.

Si le sujet est absent du programme de gauche, Monique Tilhou, la retraitée saumuroise, y croit. Lors des dernières législatives, elle avait fait le tour des popotes pour en faire la promotion. Même si la campagne électorale sera courte, elle compte recommencer. La possibilité d’une grande rivière la séduit assez.

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[1] Ingénieurs sans frontières Agrista, Réseau Civam, Réseau Salariat, la Confédération paysanne, le collectif Démocratie alimentaire… La liste complète des membres est à retrouver ici.

[2] Association pour le maintien d’une agriculture paysanne

Photo bannière : À Cholet, l’association Communs communes du Choletais organisait, vendredi 31 mai 2024, un atelier-débat sur la sécurité sociale de l’alimentation. @Crédit photo : Maxime Pionneau

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