Après les avancées et les déboires du Pacte vert, une nouvelle bataille s’ouvre pour la société civile, à l’aube de la prochaine mandature : celle de la transformation de l’Europe en un continent plus durable et cohérent. Notamment en matière de commerce et de libre-échange, intimement lié aux questions climatiques et agricoles.
Un grand paradoxe. Voilà comment Mathilde Dupré, co-directrice de l’Institut Veblen, un think-tank qui « œuvre pour la transition vers un mode de développement soutenable et une économie socialement juste », décrirait la précédente mandature européenne.
« D’un côté, il y a eu un vrai début de changement de paradigme », analyse-t-elle. Pour la première fois, des mesures de protection environnementales d’ampleur défendues par la société civile ont été portées à l’échelle européenne dans le cadre du Pacte vert, dont l’objectif est d’atteindre la neutralité carbone en 2050 et d’enrayer la chute de la biodiversité. En matière agricole, on peut citer la nouvelle législation européenne sur la déforestation importée ou encore l’abaissement des limites autorisées de traces de néonicotinoïdes sur les aliments, y compris importés.
Bien que beaucoup reste à faire, « force est de constater que les mesures prises par l’Union européenne en matière de transition écologique et juste ont contribué à apporter des solutions et à améliorer la situation des ménages européens », malgré les chocs, comme la pandémie de Covid-19, la guerre en Ukraine, les événements climatiques, relève de son côté le Réseau action climat, consortium d’ONG, dans un manifeste.
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Incohérence
« D’un autre côté, les accords de libre-échange [comme le Ceta ou le Mercosur], qui ne prennent pas en compte ces enjeux, se sont multipliés », poursuit Mathilde Dupré. Depuis 1994 et l’accord du cycle d’Uruguay, l’agriculture est devenue un secteur du commerce international comme les autres. Et durant la précédente mandature, « la direction générale du commerce n’a pas revu son logiciel ».
L’accroissement de ces accords, qui diminuent les taxes et contrôles douaniers et suppriment les réglementations nationales susceptibles de gêner l’importation, a renforcé le sentiment d’incohérence avec les objectifs environnementaux, vantés dans le Pacte vert. « Le sujet des normes [différentes entre l’UE et les pays d’où l’on importe] était d’ailleurs présent dans les récentes mobilisations d’agriculteurs », rappelle la co-présidente de l’Institut Veblen.
L’exemple du Ceta
Quel meilleur exemple que celui de l’AECG, l’accord économique et commercial global entre l’UE et le Canada, plus connu sous le nom de Ceta, dont l’application provisoire date de 2017, pour illustrer ce manque de cohérence : « Au Canada, il y a des différences importantes dans les normes liées à l’élevage : antibiotiques comme activateurs de croissance, farines animales pour les ruminants, présence de pesticides interdits dans l’UE », liste Mathilde Dupré.
On trouve aussi outre-Atlantique des pratiques interdites dans l’UE comme la décontamination de carcasses de viande à l’acide péroxyacétique ou la possibilité de traiter au Sencoral, un pesticide interdit depuis 2014, les lentilles canadiennes, qui représentent environ un tiers de la consommation européenne.
Le projet d’accord avec le Mercosur, le plus grand en termes de population et volume d’échange, soulève lui-aussi de nombreuses interrogations en matière de déforestation et de pesticides.
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Des avancées en demi-teinte
Si l’Europe s’est targuée dans le cadre du Pacte vert de vouloir produire de manière plus vertueuse avec ses stratégies « De la ferme à la fourchette » et « biodiversité », « le bilan est décevant », juge de son côté Thomas Uthayakumar, directeur des programmes à la FNH.
Les ONG sont-elles impuissantes ? Elles n’auront pas réussi en tout cas à toujours infléchir la tendance. Des législations ont été affaiblies comme le règlement sur la restauration de la nature, voire rejetées par le Parlement, comme le règlement sur les pesticides en novembre 2023, rappelle de son côté le Réseau action climat.
« On détricote les mesures liées à l’environnement alors même que le discours est martelé de tous bords, poursuit le directeur de la FNH. Ce qui nous [les ONG] amène à nous poser les questions de comment remettre à l’agenda ces sujets majeurs pour la prochaine mandature. » Alors même que le résultat des élections pourrait venir fragiliser les avancées écologiques.
La bataille pour des mesures miroirs
Mettre en place des clauses ou des mesures miroirs, qui imposerait aux pays tiers les mêmes normes environnementales que celles européennes, c’est l’une des mesures portées pour cette prochaine mandature par la société civile. Le but : lutter contre la concurrence déloyale et favoriser un verdissement de l’agriculture. « Sur le volet européen, il s’agit d’un travail collectif, en lien avec les autres ONG », note Thomas Uthayakumar, directeur des programmes à la FNH qui en a fait son cheval de bataille.
Les organisations se mobilisent aussi pour interdire l’exportation de produits interdits sur le sol européens, à l’instar des pesticides. Car, paradoxe encore, l’Europe est l’un des gros producteurs de pesticides interdits sur son territoire.
En mai, le Sénat a d’ailleurs mis en demeure le lobby Phytéis pour « avoir manqué à son devoir de probité ». Cela fait suite à un signalement de l’Institut Veblen, Transparency international France, Foodwatch et Les Amis de la Terre, pour « chantage à l’emploi », après que ce lobby ait exagéré le nombre d’emploi menacés en France par l’interdiction de la vente à l’étranger de certains pesticides interdits dans l’Union européenne.
Vers des partenariats plus durables ?
D’un côté, une volonté européenne affichée d’adopter des mesures environnementales. De l’autre, celle de continuer à négocier et ratifier des accords de libre-échange non durables, comme avec l’Inde ou l’Australie.
« L’UE montre un volontarisme, là où les États-Unis par exemple ont arrêté de signer des accords, estime Mathilde Dupré. Si un accord échoue, cela obligerait peut-être l’Union européenne à réfléchir à d’autres types de partenariat », écologiquement et socialement durables. Du libre-échange au juste-échange en somme.
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