Installée dans le nord de la Mayenne depuis près de trente ans, Marieke de Kam raconte son parcours d’agricultrice née aux Pays-Bas et venue vivre en France. À la veille des élections européennes, elle revient sur ce qui l’a amenée à opter pour l’agriculture biologique et à croire en une Europe qui défende une autre vision de l’agriculture.
Une soupe mijote sur le feu de Marieke de Kam. Toujours le sourire aux lèvres et prête à répondre aux questions qu’on lui pose, l’agricultrice de 60 ans a quelque chose de la force tranquille. À la vérité, cette hollandaise installée en Mayenne est un peu soucieuse. Son mari Willem est occupé à ramasser du foin pour le mettre au sec. Cette satanée pluie n’arrête plus.
« Il reste encore cinq hectares de maïs à semer. Normalement, on en fait deux hectares, mais on n’a pas réussi avec le blé. Il a labouré hier, habituellement, c’est en avril. C’est pas facile », confie-t-elle avec ce léger accent qu’elle conserve comme un souvenir après ses 29 années à Bazougers, commune du sud-ouest de Laval. Mais son inquiétude est aussi électorale. « Ça me travaille beaucoup. »
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C’est le dernier lundi de mai et dans un peu moins de deux semaines, 358,9 millions d’Européens sont appelés à se rendre aux urnes. En France, les sondages annoncent une extrême droite à plus de 30 %.
Aux Pays-Bas, même configuration : le Parti pour la liberté (PVV) — parti populiste d’extrême droite actuellement au pouvoir dans le cadre d’une coalition — caracole à 22 % des intentions de vote. Passée d’une nation à l’autre, l’électrice d’Europe Écologie Les Verts regarde avec sidération la montée des nationalismes. « Je n’aurais pas imaginé ça, j’ai une impression de recul. » Le parcours de Marieke de Kam illustre un mouvement inverse. Du Pays d’Erasme à celui de Robert Schuman. Parcours qu’elle retrace volontiers.
« J’étais très militante »
Elle a grandi à Epe, 33 000 habitants, « dans les forêts, au centre de la Hollande ». Venus du nord du pays, ses parents s’y sont installés pour ouvrir leur épicerie. Elle se marre : « J’étais déjà un petit peu immigrée ! Mes parents parlaient un autre dialecte. »
Sans lien familial avec le monde agricole, son initiation passe par les employées de la boutique de ses parents. « J’allais chez elles pour jouer et j’ai adoré ça. » L’émerveillement se mêle à l’effroi de découvrir une agriculture qui n’est pas celle de Martine à la ferme. « À l’époque, il y a eu un développement des gros élevages industriels et de la culture du maïs. Les petites fermes disparaissaient. Aussi, mon père achetait des œufs dans les poulaillers industriels et les parents de copines avaient de grands élevages porcins, ça m’a choquée. » Aujourd’hui, le modèle agricole néerlandais est décrit par le ministère de l’Agriculture français comme « concentré sur de petites surfaces ». En un mot : intensif.
À 12 ans, elle devient végétarienne. « À 19 ans, j’ai arrêté, car j’ai vu qu’il y avait une manière plus respectueuse de traiter les animaux. » Cette volonté de faire autrement, elle l’a conservée toute sa vie. En 1983, elle entre au centre de formation Warmonderhof, spécialisé dans l’agriculture biodynamique, une méthode agricole imaginée en 1924 par l’occultiste autrichien Rudolf Steiner.
« Je voulais travailler dans l’agriculture, mais pas de manière conventionnelle, raconte-t-elle. J’étais très militante, j’étais chez Greenpeace, WWF… Je voulais changer le monde. » Elle rencontre celui qui deviendra le père de ses enfants. Elle a 19 ans, lui 18. S’ensuivent des emplois dans une ferme en Allemagne, puis aux Pays-Bas. « Mais la terre coûtait trop chère. »
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« Des endroits où tout est mort »
Alors, le couple cherche à s’installer en Normandie ou en Bretagne. En 1995, ils tombent sur l’annonce d’une agence immobilière hollandaise. Il y est question d’une ferme mayennaise avec 53 hectares cultivés en conventionnel (contre 104 en bio aujourd’hui) dont les exploitants partent à la retraite. « C’était très… propre. Tout était traité. C’était une ferme modèle pour cette époque […]. L’agence immobilière nous avait conseillé de ne pas dire qu’on voulait faire du bio, car on risquait de ne pas avoir de prêt bancaire. »
Grâce à l’aide de paysans bio du coin et du Civam bio 53 – le Centre d’informations et de vulgarisation pour l’agriculture et le milieu rural – le couple fait sa conversion entre 1998 et 2000. « Quand je suis arrivée en France, certains utilisaient encore des produits phytosanitaires interdits en Hollande », observe-t-elle.
Plus on écoute Marieke, plus son parcours illustre une autre manière de voir l’Europe et l’agriculture. Elle jette un regard critique sur le mouvement social agricole de janvier. S’agace du recul des normes écologiques. « Je comprends les frustrations avec l’administratif. Mais c’est pire en Hollande ! », glisse-t-elle. Elle évoque le Mouvement agriculteur-citoyen [1] ayant participé aux manifestations.
Mi-mars, ce dernier a rejoint la coalition constituée autour du leader nationaliste Geert Wilders. Illustration du mariage entre le modèle agricole dominant et l’extrême droite. « Pour le nitrate, ils veulent demander une nouvelle dérogation, mais c’est le cas depuis des années. Quand on voyage en Hollande, ça pue le lisier. Il y a des endroits où tout est mort et eux veulent encore une dérogation… L’eau est polluée, l’air est pollué, tout est pollué. Ici, je suis contente, on trouve encore des fleurs dans les fossés. » La soupe est bientôt prête.
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Photo bannière : À 60 ans, Marieke de Kam gère pour une année encore la fromagerie du Gaec Arc en ciel à Bazougers en Mayenne. @Crédit photo : Maxime Pionneau
- [1] BoerBurgerBeweging (BBB) en néerlandais
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