Avec le printemps, c’est la période des semis qui commence. Dans les champs, les agriculteurs attaqueront dès que les sols seront ressuyés (accessibles car moins humides). Pour les maraîchers et les jardiniers amateurs, aussi c’est le temps de semer.
On pense alors au geste ample du semeur immortalisé par Vincent van Gogh. Car depuis que l’agriculture existe, c’est à dire plus de 10 000 ans, le fait de stocker d’une année sur l’autre une partie des graines issues de la récolte pour les semer l’année suivante est un gage essentiel de pérennité de la production agricole.
Et par une longue sélection naturelle, les variétés végétales se sont adaptées à leur milieu : climat, qualité du sol, etc. Il en a résulté, au cours des siècles, une immense biodiversité des produits agricoles, repérable à la fois par l’aspect, le goût et les qualités nutritives mais aussi par la résistance aux aléas climatiques et aux parasites divers.
Des travaux de recherche récents (comme la thèse de Maiwenn L’Hoir citée par Philippe Desbrosses) ont même mis en évidence une symbiose entre les graines et les systèmes microbiens présents sur leur surface (dits endophytes) qui a un effet bénéfique sur la plante en devenir. Cette interaction graine-systèmes microbiens est directement liée au lieu dans lequel la semence a été produite. Ce droit du paysan à produire ses semences a été à la fois un gage de son autonomie économique et de sa pérennité et de la résistance de ses cultures aux aléas.
Or, aujourd’hui et depuis 1961 en particulier, les fonctions d’agriculteur, de producteur de semences et d’obtenteur de variétés végétales, sont clairement séparées. En effet, cette année-là s’est tenue la première Convention internationale pour la protection des obtentions végétales qui a donné naissance à l’Upov (Union pour la protection des obtentions végétales) et qui marque le début d’une grande vague d’ « amélioration » végétale, laquelle accompagne la « modernisation » de l’agriculture.
Dès lors, les créations variétales font l’objet d’un titre de propriété intellectuelle distinct du brevet, le certificat d’obtention variétal (COV), défini par la loi du 11 juin 1970. Il « interdit à quiconque la production et la commercialisation des semences de la variété sans l’accord express de son propriétaire », comme le rappelle l’interprofession des semences (Semae) sur son site.
Poussée par la recherche de l’amélioration des rendements de production, de qualité et d’aspect des produits ou de leur aptitude à la transformation industrielle (blé panifiable, tomate à sauce, etc.), et soutenue par la recherche scientifique publique, la profession des semences s’est lancée dans une course à l’innovation coûteuse, mais très lucrative, rendant les paysans du monde entier toujours plus dépendants d’elle.
Variétés hybrides, OGM et à présent NGT (New genomic techniques), les végétaux dont sont issus la plus grande part de nos aliments sont de plus en plus éloignés de leurs conditions naturelles de reproduction. Il en résulte une réduction drastique de leur diversité – moins de 200 plantes sont à l’origine de la production alimentaire mondiale (comme le rappelle un rapport de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture) – un appauvrissement de leurs qualités nutritionnelles et une baisse de leur résistance.
Heureusement, face à cet accaparement des variétés végétales par l’industrie de la semence, de plus en plus liée à celle des pesticides (voir le rachat de Monsanto par Bayer), à l’homogénéisation des productions à l’échelle mondiale et au risque que cela représente en terme de sécurité alimentaire dans le contexte du dérèglement climatique, un vaste mouvement se développe pour sauvegarder et développer les variétés locales et rustiques exclues du domaine des certificats d’obtention et des marchés. Que ce soit en Bretagne, en Anjou ou en Centre-Val de Loire, nous avons rencontré les responsables de conservatoires de semences paysannes, des artisans semenciers comme Philippe Desbrosses et Stéphanie Saliot qui œuvrent pour redonner aux semences végétales leur statut de bien commun.
Car, comme l’a dit Albert Einstein, « nous ne pouvons pas résoudre nos problèmes avec la même pensée que nous avons utilisée lorsque nous les avons créés. » Celui qui a des oreilles, qu’il entende !
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