Mobilisés depuis le mois de novembre contre la concurrence déloyale des miels étrangers, les apiculteurs n’ont pas rendu les armes. Il faut dire que les dernières annonces gouvernementales n’ont rien changé à leur quotidien. Voire l’ont aggravé, à l’instar de la suspension du plan Ecophyto.
Si Jacky Bernaudet, tranquillement assis dans l’arrière-boutique de sa miellerie en ce vendredi d’ouverture au public, est plutôt du genre calme, il a pourtant fait partie de la soixantaine d’apiculteurs ligériens qui ont envahi un hypermarché de Rezé (Loire-Atlantique) au début du mois de février afin de faire grossir les rangs des apiculteurs engagés à fair entendre leur voix dans cette crise agricole.
Contrôler le libre échange
« Notre but était de montrer que les rayons des grandes et moyennes surfaces sont remplis de miels d’importation – voire même parfois de sirops de glucose, vendus abusivement sous le nom de miel – alors que les apiculteurs
français ont de plus en plus de mal à vivre de leur travail et que certains collègues vont bientôt mettre la clé sous la porte ».
Le constat n’est hélas pas nouveau puisque le 30 novembre dernier – alors que la colère des paysans n’avait pas encore pris la dimension qu’elle a connue – une intersyndicale des apiculteurs professionnels avait en effet déjà organisé une première manifestation place de la République à Paris. « Les revendications étaient déjà les mêmes : dénoncer la concurrence de miels étrangers produits à bas coûts en raison d’une main d’œuvre meilleure marché et de normes moins strictes ; contrôler le libre échange en taxant, voire en interdisant, les importations de miel pour permettre aux apiculteurs français qui font du miel en vrac et n’en assurent pas directement la commercialisation, d’écouler leur production ». Sous prétexte que « le miel doit rester accessible à tous », grandes et moyennes surfaces jouent en effet sur le prix de revente au public pour pousser les conditionneurs à acheter du miel étranger moins cher (moins de 2€ le kilo pour celui d’Ukraine !).
Eliminer les insecticides tueurs d’abeilles
Bien qu’il ne soit pas concerné directement par cette problématique en raison du modèle économique artisanal choisi lors de son installation comme apiculteur professionnel en 2017 – il met lui-même en pots le miel qu’il récolte et le vends en circuit court -, l’ancien électricien du bâtiment tient plus que jamais à rester mobilisé. Et ce d’autant plus que « les récentes annonces gouvernementales ne devraient pas améliorer les choses. Au contraire ». Principale source d’inquiétude : la suspension du plan Ecophyto, considérée par la profession (et de nombreuses ONG de défense de la santé et de l’environnement) comme un véritable retour en arrière. Plus que cela même, Jacky Bernaudet se qualifie de « fusible de
la nature, nous sommes les premiers à nous rendre compte lorsque quelque chose ne va pas ».
Les apiculteurs avaient en effet constaté, dès la fin des années 1990, une surmortalité inhabituelle des abeilles, jusqu’à 30% en moyenne par an contre 5% habituellement, incapables de retrouver le chemin de la ruche. En particulier lorsqu’elles étaient situées à proximité de champs de maïs ou de tournesol traités au Gaucho, un puissant insecticide. Leur mobilisation et les études scientifiques qui ont suivi, ont été alors à l’origine en 2018 de l’interdiction par l’Union européenne de cet insecticide contenant de l’imidaclopride, classée parmi les néonicotinoïdes le plus nocifs pour les milieux aquatiques et les animaux. D’où l’incompréhension de Jacky Bernaudet pour qui « la suspension du plan Ecophyto, dont l’objectif est de réduire de 50% l’usage de pesticides dans l’agriculture, est inquiétante pour les apiculteurs confrontés au quotidien à suffisamment d’autres problèmes ».
Lutter contre les effets du changement climatique
« Les mains dans les abeilles de mars à septembre » et quasiment 24 heures sur 24 au moment des transhumances qui doivent s’effectuer la nuit quand les butineuses sont rentrées à la ruche, l’apiculteur énumère la longue liste des fléaux auquel il fait fasse chaque jour principalement liés au changement climatique désormais. Si le frelon asiatique, qui a attaqué les ruches de Jacky en 2017, est désormais présent quasiment partout en France en est un exemple, la répétition des sécheresses et la hausse des températures sont en effet au moins aussi préoccupantes. « Plus il fait chaud, moins il y a de fleurs. Dans le sud, les fortes chaleurs provoquent des trous dans les miellées et obligent les apiculteurs à nourrir les abeilles en plein été. Moi, j’ai
constaté l’hiver dernier que les reines se sont remises à pondre en raison des températures trop douces pour la saison alors que la ruche est sensée être au ralenti. C’est un problème dans le sens où les abeilles qui naissent ont besoin de miel pour se nourrir et que les stocks sont limités dans les ruches à cette période-là ».
Photos de Marie-Noëlle Gonet et Clément Guillot
Protéger la biodiversité
Pour Jacky, le pire pourrait cependant être encore ailleurs. Dans la dégradation de la biodiversité. « On entend souvent qu’on peut détruire une haie si on replante la même un peu plus loin. Mais moi, je vois bien avec les abeilles qu’une haie, ça ne vient pas comme ça. Il faut une dizaine d’années pour en retrouver une aussi fournie, avec un même potentiel mellifère » s’insurge ainsi l’apiculteur pour qui « les OGM, moins nectarifères que les plantes classiques » entrainent également la diminution de la production. « Depuis que je me suis installé, j’ai constaté une baisse des rendements à l’hectare de miel de tournesol. Avant, il ne fallait pas oublier l’escabeau pour poser toutes les hausses sur les ruches. Aujourd’hui quand j’en mets trois, je suis très content ».
Et c’est bien pour ça que la suspension du plan Ecophyto est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. « Cette décision est d’autant plus incompréhensible que de nombreux agriculteurs, comme celui chez qui j’installe mes ruches au moment de la transhumance pour faire du miel de sarrasin, se sont rendus compte que leurs rendements étaient meilleurs quand il y a des pollinisateurs. La preuve que si on arrive à maintenir une agriculture de qualité, on sera tous gagnants ».
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