Malforestation, coupe-rases, pressions des lobbies forestiers, contre-feux citoyens, la gestion de la forêt française est mise à mal à la lueur des tensions économiques et climatiques. Le point avec Canopée, ONG de protection des massifs forestiers.
Dans les Pyrénées-Atlantiques aujourd’hui, c’est le grand remue-ménage autour de l’implantation de BioTJet, une usine de biocarburants qui vise à approvisionner le secteur aéronautique à partir de bois avec le soutien financier de l’ADEME ( l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie). Piloté par Elyse Energy et soutenu par la plus grosse coopérative forestière française Alliance forêt bois, le projet est censé produire du biokérosène, hybridé à l’hydrogène. Tout un programme.
Entre 300 000 et 600 000 tonnes de bois par an devraient donc être nécessaires pour alimenter l’équivalent de 30 % de la consommation annuelle d’un aéroport comme Bordeaux-Mérignac, soit moins d’1% des vols français. Prévue à l’horizon 2028, l’usine devrait attirer 700 emplois qui aiguisent les appétits sur cette proposition totalement ébouriffante. Bruno Doucet, chargé de campagne pour l’ONG de protection des forêts Canopée milite ardemment contre cette perspective: “Si l’on additionne les 400 000 tonnes de bois qui seraient nécessaires à l’approvisionnement de BioTJet aux 200 000 tonnes de bois qui sont déjà prélevées chaque année dans le département, cela représente 4,2% du volume total du bois des forêts du département, alors même que les forêts ne croissent que de 2,8% par an. Si ce projet venait à voir le jour, et que la récolte devenait supérieure à l’accroissement des forêts, les forêts des Pyrénées-Atlantiques pourraient donc être amenées à disparaître peu à peu pour alimenter l’usine de biocarburant BioTJet.”
Ce projet, exemplaire des « fausses bonnes idées » liées à la tension énergétique et la ressource renouvelable, tout du moins sur le papier, amène à examiner un massif en «malforestation » aujourd’hui.
Une pression toujours plus forte sur la demande
Monoculture répliquée de la forêt des Landes, l’ensemble des forêts françaises souffre ainsi du manque de biodiversité qu’on lui inflige par des projets mangeurs de bois, pour alimenter ces mannes que sont les parquets, le bois-énergie, les pellets ou le papier principaux responsables des coupe rases du massif forestier.
A cela, on y ajoute, les maladies, la sécheresse, les incendies qui fragilisent plus encore le massif. Et la forêt française semble bien mal en point.
L’Etat sans politique forestière établie
Alors à sa rescousse, l’Etat enjoint à planter des arbres, un milliard en 10 ans, seul imaginaire possible pour rééquilibrer nos appétits prédateurs en matière de bois, et remplir ses objectifs environnementaux à l’égard de l’Union européenne.
La politique forestière française se résume alors à aider et subventionner les groupes forestiers et les industriels du bois pour partie et communiquer sur le fait de planter des arbres.
L’ONF perd son pouvoir de régulation
« Une coopérative forestière n’a aucun intérêt à ce que cela reste un puits de biodiversité et de carbone alors que l’ONF si. Mais aujourd’hui, sous forte pression du gouvernement actuel, la logique le presse de devenir rentable et il entre dans une dynamique de privatisation sans plus aucun moyen humain. »
Son rôle arbitral s’en trouve tronqué dans cette perspective,
et la problématique des coupes rases devient d’ailleurs un sujet chaud à la hauteur de ces tensions. La montée en puissance des groupements forestiers citoyens en attestent chaque jour plus. En lieu et place de l’état, les citoyens s’organisent.
Légiférer, la 3ème voie?
Les élus, eux aussi, ont décidé d’outiller leurs territoires de possibilités salvatrices pour les forêts. En atteste la proposition de loi déposée début janvier de Sophie Panonacle, députée Renaissance de Gironde qui propose une incitation fiscale bonifiée pour la sylviculture à couvert continu (taux d’aide passé de 25% à 40%). L’objectif ici est de produire du bois d’œuvre de bonne qualité, avec des arbres de bonne vitalité sans faire de coupe rase ni de renouvellement brutal.
La loi propose aussi l’interdiction du dessouchage en forêt qui saccage les parcelles et leurs sols, l’interdiction de la récolte de bois de diamètre inférieur à 7 centimètres, et le renforcement du droit de préemption lors d’une mise en vente de forêt pour les communes et l’Etat.
Les coupes rases seraient enfin définies et encadrées dans la loi. Mais les modalités restent à définir à ce jour. Une ouverture ici concertée entre élus de tous bords depuis le mois d’octobre qui prennent à bras le corps la problématique en lieu et place du pouvoir de l’Elysée.
Pour mieux comprendre les enjeux de l’industrie sylvicole, regardez cette enquête éclairante du très pédagogue Vincent Verzat de « Partager c’est sympa »:
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