En Sologne, des citoyens luttent contre l’engrillagement de la forêt

par | 6 Fév 2024 | 02/2024, Forêt

Au croisement du Loiret, du Loir-et-Cher et du Cher, la Sologne compte plus de 4000 km de grillages. Ce qui empêche la faune de circuler librement. Des citoyens en ont fait leur combat.

Crédit Toinon Debenne

Le grillage qui descend de la clôture est recourbé, posé contre le sol. En poussant un peu, l’animal peut traverser. Mais une fois entré, le piège se referme. Impossible de soulever de nouveau le métal pour sortir. Plus loin, une grille, dont la partie inférieure est renforcée sur une trentaine de centimètres, empêche toute la petite faune de passer. Ailleurs, c’est un « mur » de fer infranchissable de deux mètres de haut, surplombé de barbelés qui attend les cervidés. A un autre endroit, ce ne sont pas une mais deux clôtures qui sont érigées parallèlement à quelques mètres d’intervalle. Au croisement du Loir-et-Cher, du Loiret et du Cher, la forêt de Sologne (500 000 hectares), en partie classée Natura 2000, compte environ de 4000 km de grillages. Au volant de son pickup, Raymond Louis arpente 

les chemins forestiers et dresse un constat amer. Le président des Amis des chemins de Sologne lutte depuis 26 ans contre l’engrillagement de ce territoire où il est né et pour la préservation des chemins ruraux, aux côtés de son épouse Marie, secrétaire de l’association. « C’est notre combat ! »

Des pratiques cynégétiques contestées

Sur son portable, Marie Louis fait défiler une vidéo. Celle d’un sanglier en bord de route, qui tente en vain de rejoindre la forêt, bloqué par la clôture contre laquelle il se cogne encore et encore. Puis, c’est un défilé de photos de cervidés, restés prisonniers des grillages en essayant de les franchir. « On arrive quasiment toujours trop tard » pour les sauver, lâche-t-elle, dépitée.
« Ce n’est pas normal de voir des animaux cloisonnés derrière des grillages », réenchérit son mari. Par endroits, au bord de ces barrières, le sous-bois piétiné, abîmé, atteste de la présence importante de sangliers, coincés au sein d’une propriété. Car si les clôtures délimitent des propriétés privées, parfois hermétiques et surveillées – notamment celles de propriétaires influents et fortunés –, elles servent avant tout à y retenir le gibier, des animaux sauvages qui n’appartiennent pourtant à personne.
De l’autre côté des grillages, on aperçoit parfois des rangés de miradors. La problématique de l’engrillagement de la Sologne est intimement liée à la chasse. « Ce n’est pas de la chasse », tient à rectifier avec véhémence le président des Amis des chemins de Sologne. Lui-même chasseur, il dénonce des pratiques cynégétiques « anormales », « bling-bling », « qui manquent d’éthique », dont l’objectif est « d’en mettre plein la vue au copain ». « On met les postés sur la la face où il n’y a pas de grillage et là, c’est le massacre.  

Crédit Les Amis des chemins de Sologne

On se retrouve avec des territoires où 150 à 200 sangliers sont prélevés par jour de chasse. »

Une loi pour faciliter le déplacement des animaux

Le combat mené par le couple Louis fédère. L’association revendique aujourd’hui plus de 1000 adhérents (propriétaires, élus, communes), des soutiens de personnalités comme le réalisateur Nicolas Vannier et l’acteur François Cluzet ou de politiques comme le député Renaissance du Cher François Cormier-Bouligeon, l’ancien sénateur du Loiret républicain Jean-Noël Cardoux ou le président socialiste de la région Centre-Val de Loire François Bonneau.

Crédit Les Amis des chemins de Sologne

Ce qui a abouti à une loi, visant à limiter l’engrillagement des espaces naturels et à protéger la propriété privée, promulguée le 2 février 2023. Les clôtures doivent désormais être posées 30 centimètres au-dessus de la surface du sol afin de laisser passer la petite faune et les sangliers et leur hauteur est limitée à 1,20 mètre pour permettre aux cervidés de les franchir. Les clôtures existantes, érigées entre 1993 et 2023, devront être mises en conformité avant le 1er janvier 2027 et les plus anciennes ont l’interdiction d’être rénovées. D’autres régions comme la Brenne, la Picardie, le Sancerrois ou les Landes sont concernées, dans une moindre mesure.
Cette avancée marque une victoire d’étape pour les époux Louis. Car un an après le vote de la loi, dont les décrets d’application sont attendus prochainement, la lutte contre l’engrillagement est loin d’être terminée. De nouveaux grillages qui ne respectent pas la loi continuent d’apparaître en Sologne. L’Office français de la biodiversité, l’OFB, recense une trentaine de signalements, explique Jean-Noël Rieffel, directeur régional dans le Centre-Val de Loire. « Depuis la loi, nous expertisons tous les signalements [faits par les associations ou sur auto-saisi de l’OFB]. Nous nous focalisons sur les nouvelles clôtures », dans l’attente des décrets.
La procédure commence par échange contradictoire avec le propriétaire, avant une éventuelle verbalisation. 

« Parfois les propriétaires sont au courant [de l’existence de la législation] et se jouent de la loi. » Cinq affaires sont en cours ou ont abouti à des condamnations comme l’obligation de mise en conformité ou de suivre un stage de citoyenneté environnementale.

Des conséquences sur les écosystèmes

L’engrillagement solognot est aussi lourd de conséquences pour l’ensemble de l’écosystème forestier. « Il y a un enjeu de continuité écologique, explique Jean-Noël Rieffel. [Outre le gibier], on pense peu à la petite faune comme les hérissons ou les amphibiens – les salamandres, les crapauds – mais eux aussi peinent à franchir » ces barrières.
Les risques sanitaires sont élevés, avec une consanguinité rendue plus probable par la densité importante de gibier. « A certains endroits, les animaux se regroupent davantage et les brassages génétiques sont moindres, avec des cerfs par exemple qui ne sont plus en mesure de se reproduire. » La présence d’espèces exogènes importées sur le territoire pose aussi question, avec « des enclos où on ne connaît pas la provenance des animaux ».
Le changement climatique et l’augmentation du risque incendie en Sologne inquiète également. « Des animaux sont pris au piège dans des grands parcs, des territoires où ils n’ont même pas à boire, souligne Raymond Louis. [Avec le changement climatique], ça va être catastrophique. S’il y a un incendie comme dans les Landes, les animaux ne pourront pas fuir. » Quant à Marie Louis, elle aussi se questionne sur l’avenir : « Vivra-t-on assez longtemps pour voir une Sologne sans grillages ? »

Vidéo Toinon Debenne

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