La foret, lieu bucolique de nos rêveries et promenades d’enfant, de cueillette de champignons, de découverte de la faune et de la flore sauvage, est aussi et de plus en plus, la ressource d’une industrie lourde et très mécanisée, enjeu de profits privés et d’un commerce mondialisé. En effet, avec 16,7 millions d’hectares (31 % de la surface du pays) la filière bois française produisait une valeur ajoutée de 26 milliards d’euros en 2018, soit 1,1 % du PIB, comme l’indique l’interprofession FIBOIS France sur son site. Elle exploite 38,8 millions de m3 de bois par an et emploie 454700 personnes au total, ce qui représente 12,4% des emplois industriels français. Et cette production est toujours en croissance, encouragée par l’État qui envisage d’augmenter de 70% les prélèvements de bois d’ici à 2050. Car, la forêt a des vertus, en particulier à notre époque où le réchauffement climatique est une préoccupation majeure : elle fixe le gaz carbonique de l’air (estimé à 70 millions de tonnes par an, toujours selon FIBOIS France), occupe des terres abandonnées par l’agriculture (la surface boisée était de 14,1 millions d’hectares en 1980) et produit une source d’énergie renouvelable.
Or, cette exploitation de la forêt, conduite suivant les méthodes de l’industrie n’est pas sans poser de problèmes, en particulier sur les équilibres écologiques. Tout d’abord, comme pour la monoculture agricole, la plantation sur de grandes surfaces dune même espèce d’arbres, le plus souvent des résineux comme le douglas, l’épicéa ou le pin maritime appauvrit le sous-bois et nuit à la biodiversité animale et végétales. Ensuite, la pratique des coupes rases (abattage de tous les arbres remplacés par des jeune de même espèce) utilisant des méga-machines dignes des travaux publiques, abîme les paysages, malmène les sols, appauvrit la biodiversité et favorise l’érosion. Enfin, ces bois sont transformés en poutres, planches ou pellets dans des usines, elles aussi de plus en plus grosses, comme nous le
raconte le fondateur de l’association Adret Morvan.
Alors qu’elle est déjà mise à rude épreuve par l’exploitation industrielle, la forêt est aussi victime du réchauffement climatique. Dans de nombreux massifs montagneux, des espèces adaptées aux climats froids comme le sapin ou l’épicéa perdent en vigueur, voire dépérissent sous l’effet conjugué de la chaleur et de la sécheresse et d’attaques parasitaires (scolytes), comme le constate l’Office national des forêts. C’est enfin sous les flammes que peut s’achever la vie des arbres et de tout ce qu’ils abritent comme c’est malheureusement devenu récurent pour les forêts méditerranéenne et se développe plus au nord comme ce fut le cas en 2022 dans le Maine et Loire et dans les monts d’Arrée en Bretagne. C’est ce que nous explique Jean-Luc Dupuy, directeur de recherche à l’INRAE. Pourtant, le risque d’incendie de forêt est connu depuis longtemps, comme nous le rappelle l’historien José Cubero à propos des Landes.
Alors, que faire pour sauver nos forêts et les protéger, tant vis à vis de l’exploitation capitaliste que de ses conséquences climatiques ? C’est à cette question que tentent de répondre, par des actions concrètes des associations de citoyens. Dans la forêt de Rohanne sur la ZAD de Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique) l’association Abracadabois cogère avec le département et l’ONF 50 hectares et pratique une « sylviculture douce ». Dans le massif du Morvan, c’est le groupement forestier citoyen du Chat Sauvage qui acquiert et gère des parcelles d’une façon respectueuse du cycle de la forêt et des écosystèmes. Mais au-delà du bois, la forêt peut retrouver une vertu nourricière. Miel, fruits, sève et fleurs, des paysans-forestiers bretons ont choisi de cueillir et valoriser
ce que la FAO (organisation mondiale pour l’alimentation) appelle des produits forestiers non ligneux (PFNL). Quant aux élus, ils s’emparent des enjeux, pour leurs territoires, d’encadrer la gestion forestière dans un sens plus écologique . C’est en tous cas ce que laisse percevoir la proposition de loi déposée le 15 janvier dernier par la députée de la majorité Sophie Panonacle (Renaissance).
Car si on veut préserver la forêt dans ses fonctions multiples de puits de carbone, de réserve de biodiversité sauvage et d’adoucisseur climatique, il va falloir défendre et pratiquer une autre sylviculture, multi-espèces, jardinée et plus ouverte au public. Entre la nature sauvage des forêts primaires de l’Amazonie ou de Bornéo et la culture intensive de bois sur pied il y a des modes harmonieux à trouver, à préserver et développer. On en trouve un, riche et original, dans la haie bocagère, cette « forêt linéaire », qui possède toutes ces qualités. Mais c’est un sujet en soi et nous y reviendrons.
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