Avec son Plan pour la sobriété énergétique, lancé officiellement le 6 octobre dernier, le gouvernement engage l’agriculture dans un accroissement sensible de son rôle dans la production d’énergie dite verte. Cette décision, prise en 2022 sur fond de guerre en Ukraine et de risque de pénurie sur le gaz russe n’est pas sans rappeler celle prise suite au premier choc pétrolier de 1973. A cette époque, la priorité était donnée à la réduction de la consommation d’énergie et de la réduction de la dépendance au pétrole. L’agence pour les économies d’énergie (AEE) partait avec « Bison futé » à la « chasse au gaspi ». Dans les années 1980, l’agence française pour la maîtrise de l’énergie (l’AFME succédait à l’AEE), mettait en place un vaste projet d’économies d’énergie en agriculture et en particulier dans les applications grosses consommatrices comme les serres et le bâtiments d’élevage intensifs et chauffés. Les énergies renouvelables étaient appelées à soutenir l’autonomie énergétique des exploitations agricoles. Les premiers digesteurs de méthanisation à la ferme voyaient le jour dans une perspective de démonstration et traitaient prioritairement des déchets organiques liquides comme les lisiers. Leur rentabilité était celle de stations d’épuration qui produisent plus d’énergie qu’elles n’en consomment et le but recherché était la valorisation locale et la réduction de la dépendance énergétique. Le schéma le plus typique, de mon point de vue, était celui des fruitières de Haute Savoie qui produisent des fromages et dont le lactosérum était valorisé comme aliment par des petites porcheries attenantes dont les lisiers posaient des problèmes d’épandage du fait des fortes odeurs. Dans ce contexte la méthanisation avait un double avantage : produire du biogaz pour les fromageries et stabiliser les lisiers plus facile à épandre.
Or, depuis 50 ans, la consommation globale d’énergie n’a fait qu’augmenter, en tous cas jusqu’à l’an 2000, et la notion d’efficacité énergétique a remplacé celle d’économie. L’AFME est devenue l’Ademe (environnement et maîtrise de l’énergie) et à ce jour l’agence de la transition énergétique (un nouveau nom ne devrait pas tarder). Par un tour de passe-passe sémantique, la crise écologique a été réduite, du fait du réchauffement climatique, à la production de CO2 et sa solution trouvée dans la « décarbonation » de nos modes de vie. La croissance économique et le développement technologique n’étant jamais remis en
question, la « transition écologique » s’est transformée en substitution de l’électricité aux sources d’énergie fossiles.
Dans ce contexte, les campagnes et l’agriculture sont sommées de produire massivement de l’énergie : biocarburants, agri-voltaisme, Éoliennes à grande capacité, méthanisation collective, etc. Les promoteurs de cette « transition énergétique » de l’agriculture, État et entreprises de secteur de l’énergie en particulier, mettent en avant les avantages pour les agriculteurs comme la diversification de leurs revenus : devenir « énergiculteurs » en somme. Et le tournant semble bel et bien pris si on observe le développement de parc éoliens au milieu des grandes cultures et au sommet des collines, les champs photovoltaïques de grande dimension, ou les usines à biogaz qui sortent de terre un peu partout.
Mais miser massivement sur la production d’énergie par l’agriculture c’est faire fi des problèmes et nuisances que cette conversion crée aux agriculteurs et aux habitants des campagnes : enlaidissement des paysages par les champs d’acier et de silicium photovoltaïques, bruit des pales d’éoliennes et impact sur les oiseaux, odeurs et norias de camions autour des centrales de méthanisation. C’est aussi considérer comme secondaire le rôle assigné aux paysans d’alimenter les villes en énergie après leur avoir fourni l’essentiel de leur nourriture, toujours à bas prix et leur dépendance encore accrue vis à vis de nouveaux acteurs économiques puissants : hier l’agro-industrie et la grande distribution, demain EDF, ENGIE ou Veolia.
Des résistances s’organisent localement contre cette nouvelle orientation donnée à l’agriculture, tant à l’initiative de riverains de projets d’agro- énergie que de paysans eux-mêmes.
Manifestation au SPACE (Rennes) 2023. Crédit Nicolas Chomel.
Au SPACE, le salon de l’agriculture de Rennes en septembre, des paysans s’invitent et manifestent pour du solaire sur leurs hangars plutôt que sur leurs hectares (cf. photo), des collectifs comme Terres libres en Bretagne publient des tribunes. Et des initiatives se prennent pour produire de l’énergie dans une perspective d’autonomie et de valorisation locale.
Produire des aliments ou de l’énergie ? La question se pose bel et bien aux agriculteurs. D’autant plus que la pression foncière est déjà forte et aggrave la concurrence entre candidats à l’installation agricole et agriculteurs déjà installés et cherchant toujours à s’agrandir. L’option de l’énergiculture et ses investissements lourds à la clé ne peut que favoriser les seconds et les financiers/investisseurs au détriment des premiers.
Alors, si on veut prendre le problème énergétique et écologique à bras le corps, il vaudrait mieux réduire drastiquement notre consommation d’énergie et réviser radicalement le mode de vie trépidant que les grandes villes posent en modèle à toute la population et notamment dans nos ruralités.
Nicolas Chomel
Président de Graines d’Avenir et directeur de publication de Champs d’ici
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