Alors que le changement climatique modifie les précipitations et renforce le nombre et l’intensité des évènements extrêmes, Éric Daniel-Lacombe travaille depuis des années pour renouer le dialogue entre l’architecture et la nature et permettre aux habitants de mieux faire face.
Crédit Éric Daniel Lacombe
« Être pour ou contre la nature face à l’architecture, c’est un débat stérile », souligne Éric Daniel-Lacombe qui s’évertue à faire dialoguer les deux. A la tête du cabinet EDL, nommé d’après ses initiales et qu’il se plaît à rebaptiser Evaluation-inventive Des Lieux, l’architecte et urbaniste de 64 ans a peu à peu créé un laboratoire de réalisations.
Son objectif est d’inventer de nouvelles manières de répondre aux enjeux climatiques et notamment aux défis des inondations, loin des clivages. « L’architecture, c’est un dialogue entre la vie et le cadre de vie », se plaît-il à répéter, en essayant de « n’oublier ni l’éthique, ni l’esthétique ».
Le déclic du projet de Romorantin
Durant la première partie de sa carrière, Éric Daniel-Lacombe mène des projets qui lient l’architecture et les humains : des écoles, des foyers de jeunes travailleurs, des foyers Sonacotra, des résidences pour personnes âgées. C’est un projet initié en 2007 à Romorantin-Lanthenay, dans le Loir-et-Cher, qui l’amène à se passionner pour l’enjeu des inondations. Après avoir remporté un concours d’architecte, il travaille avec la municipalité à redonner une nouvelle vie au site des usines automobiles Matra, fermé quelques années auparavant. Et s’intéresse alors aux enjeux classiques (la pollution, le patrimoine, la commercialisation des logements, etc.). « Je voyais cet endroit avec la rivière, la Sauldre, comme un lieu sympathique », explique-t-il.
La prise en considération d’une inondation possible, elle, arrive plus tardivement, après une convocation de la sous-préfète de l’époque. L’Etat étudie les risques et anticipe la possibilité d’une crue centennale d’un mètre vingt, auquel il faut ajouter trente centimètres par précaution. Ce qui fait fuir le promoteur.
« A partir de là, je change tout », raconte Éric Daniel-Lacombe. Le dessin évolue dans le sens de l’eau, guidée par les règles imposées par l’Etat : seul 20 % de l’espace revient à l’emprise architecturale, le reste étant dédié à la rivière. Avec le projet s’articule un espace de dialogue entre la municipalité et l’Etat.
Un quartier à l’épreuve d’une crue
De Venise, aux Pays-Bas, en passant par les Etats-Unis ou le Japon, Éric Daniel-Lacombe voyage pour en apprendre plus sur les inondations et découvrent deux chemins : les digues et les barrages d’un côté, composer avec la nature sans arrêter la vie des hommes de l’autre. « A ce moment-là, je comprends l’anthropocène », note celui qui s’intéresse de plus en plus aux incendies, aux canicules, au vent.
En 2015, il reçoit pour le projet de Romorantin le grand prix de l’aménagement Comment mieux bâtir en terrains inondables constructibles des mains de la ministre de l’Environnement Ségolène Royal. Quelques mois plus tard, en 2016, le sud du département connaît des inondations majeures et de nombreux dégâts. A Romorantin, la Sauldre atteint jusqu’à 4,68 m, poussant des centaines d’habitants de la ville à quitter leur logement. Le quartier Matra, conçu comme un affluent de la rivière, résiste. « Quand l’eau est montée, le fait d’avoir laissé sa place à la rivière a sauvé le quartier », relate Éric Daniel-Lacombe. Le parc public et le bassin de rétention ralentissent la crue et laissent le temps aux habitants de prendre des décisions. La décrue, elle, est rapide.
Au-delà de l’architecture, c’est la « culture de la prudence » développée avec et par les habitants qui a permis au quartier d’être résilient. Les habitants conscients des risques ont pu adapter leurs comportements. « Un pêcheur connaît le risque et ne part pas en pleine mer pendant la tempête, parce qu’il est prudent », illustre-t-il. Faire preuve de prudence, observer le mouvement de la nature, cultiver la mémoire des catastrophes passées, constituent en somme une bien meilleure protection qu’une digue qui laisse croire à l’insubmersible.
Conseiller les villes sinistrées
Crédit Éric Daniel Lacombe
Depuis Éric Daniel-Lacombe, consultant auprès de collectivités confrontées à des risques naturels, travaille sur de nombreux projets liés aux inondations. Comme à Mandelieu-la-Napoule (Alpes-Maritimes), où huit personnes ont péri en 2015 après des pluies diluviennes, et où les 14 hectares des vergers de Minelle seront aménagés de manière à privilégier la régulation naturelle, lors de la montée des eaux.
Ou dans les vallées de la Vésubie et de la Roya où l’architecte a également été missionné par l’Etat pour l’organisation des concertations, d’animation, d’accompagnement et de médiation entre les partenaires institutionnels en vue d’élaborer des schémas de principe d’aménagement des vallées dans le contexte de l’après-tempête Alex.
Des enseignements appris au fil du temps
Au fil des réalisations, l’architecte qui vient de publier un ouvrage * développe des « hypothèses de développement, loin de proposer des solutions toutes trouvées : « Chaque situation est différente. Je préfère jouer hétérogène plutôt qu’homogène. »
Parmi les grands enseignements qu’il a tirés, on retrouve la nécessité de favoriser les régulations naturelles et l’attention des habitants pour elles. Le contrôle des eaux, ensuite, est essentiel pour ralentir la crue et accélérer la décrue. L’architecte prône également l’aménagement de la rivière afin qu’elle chasse naturellement les dépôts d’alluvion hors des zones urbaines.
Lorsque l’inondation survient, il préconise de s’attaquer d’abord aux besoins sociaux les plus criants de la communauté et d’associer tous les acteurs concernés à la définition des projets de rénovation. « J’écoute les deux parties. Parfois les deux positions – ne refaire aucune construction ou reconstruire à l’identique – sont intenables. Il faut trouver une troisième voie. Mon rôle, c’est de faire des propositions. »
Enfin, explique-t-il, il faut installer la vie des habitants dans un aller-retour incessant entre s’abriter et s’ouvrir à la vie des humains et non-humains. Professeur titulaire de la chaire « Nouvelles urbanités face aux risques naturels : des abris-ouverts » à l’ENSA de Paris-La Villette, il s’applique à enseigner cette notion à ces élèves.
* Vers une architecture pour la santé du vivant (mai 2023 ; 192 p. ; Les Presses de l’Université de Montréal).
Romorantin, bâtiment insubmersible
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