Aujourd’hui, le constat est sans appel, les grandes villes n’attirent plus. Depuis les années 1980, les ruralités, dans leur diversité, deviennent les refuges de nombreux citadins, épuisés par les modes de vie métropolitains.
En effet, de nombreuses études nous indiquent une baisse d’attractivité des grandes villes au profit des villes petites et moyennes. Selon l’INSEE, « entre 2007 et 2017, la croissance de la population est plus forte dans les communes peu denses, ce qui prolonge la tendance des trois décennies précédentes. »[1]. Depuis la pandémie, bien d’autres données ont attesté du désamour métropolitain, au point que des agences gouvernementales, telle France Stratégie,[2] en conviennent officiellement à partir des prix de l’immobilier ou encore des effectifs scolaires. Ce constat est partagé par Guillaume Faburel dans ses ouvrages, Les métropoles barbares et Indécence urbaine. Pour lui, ce désamour des métropoles s’explique par les souffrances imposées aux corps citadins disciplinés et épuisés.
Les villes métropoles : des espaces écocidaires
Ainsi, les politiques de densification, prétendument « verte », et l’accélération des modes de vie, qui exigent une adaptation et une flexibilité constante de nos quotidiens, seraient en cause. De même, les raisons du départ se retrouvent dans la prise de conscience de l’impact environnemental, social et politique des métropoles. En effet, le constat des maux des métropoles amènent certains individus à chercher les moyens de mettre en place d’autres formes de vie. S’exprime alors une volonté de renforcer l’autonomie politique et matérielle face aux défis du changement climatique qui s’annoncent catastrophiques dans les espaces de forte densité.
Dans cette perspective, les ruralités semblent porteuses d’un récit alternatif à la modernité, celui d’un lien renouvelé à la nature, d’un prendre soin du vivant. La ruralité évoque des milieux peu denses, où les interdépendances avec le vivant sont plus prononcées. De plus, les modes d’habiter ont la possibilité d’être plus respectueux des humains et des autres vivant. En ce sens, certains mouvements, comme les Etats Généraux pour une société écologique du Post-Urbain (EGPU), proposent un déménagement du territoire des grandes métropoles vers les ruralités. Bien sûr, il ne s’agit pas d’imposer aux espaces ruraux la densification du bâti ou l’artificialisation des sols mais au contraire de partir des cultures paysannes, longtemps dénigrées, pour refaire communauté sociale et biotique.
Les ruralités peuvent constituer de véritables territoires refuges, permettant l’autonomisation. Tout d’abord, elles sont un réservoir de logements vacants face à une densité vécue comme inhospitalière et étouffante. De plus, les surfaces libres de toute bétonisation permettent la production de nourriture et la jouissance d’espaces de liberté. Face au bouleversement que vont connaître nos sociétés et face à l’insoutenabilité des grandes villes, il nous semble nécessaire de réhabiter les mondes ruraux.
Les alternatives par et pour une société écologique post-urbaine
Les libertés permises dans les ruralités se retrouvent dans la diversité des lieux alternatifs. Afin de mettre en place une société plus écologique, il convient d’observer les expérimentations qui, dès aujourd’hui, tentent de mettre en place des existences qui se défont des existences métropolitaines.
Parmi ces exemples de ruralités réinventées, nous pouvons évoquer les écolieux. Dans ces espaces, des individus cherchent à mettre en œuvre un autre rapport à soi, aux autres et au vivant. Les membres des écolieux concentrent leurs efforts pour mener une vie satisfaisante sur un plan social et personnel tout en souhaitant avoir une empreinte écologique limitée. Il s’agit donc bien de réinventer l’ensemble de son existence : « Dans l’ordinaire des pratiques et la prise en considération du vivant sous toutes ses formes, l’écologie y devient une philosophie du vivre et de l’agir fondée sur le ménagement des lieux et la recherche de l’autosuffisance. » [3] Ainsi, les écolieux développent une perspective d’autosuffisance selon trois axes : un modèle économique alternatif, une place prépondérante accordée à l’écologie et une vie communautaire active [4].
Cette perspective, une fois mise en œuvre, permet effectivement un habiter écologique. D’après une étude réalisée par la société Carbone 4, un habitant d’écolieu émet en moyenne 4,9 tonnes équivalent C02 par an, contre 10,1 tonnes pour un français en 2015[5].La mutualisation de biens, l’autonomisation des réseaux énergétiques ou de traitement des déchets et l’installation en habitat léger participent de cet habiter écologique. Afin d’assurer l’horizontalité dans la prise de décision et l’harmonie des relations sociales, la plupart des membres des écolieux se forment à des outils de communication non violente, la gouvernance par consentement ou encore à la sociocratie. Il s’agit à la fois de limiter les relations de domination au sein du collectif mais aussi de se réapproprier son existence. Ainsi, « 66% des enquêtés ont noué des relations de confiance avec les habitants et habitantes de leur territoire. Pour 59% cela a été l’occasion de participer à la vie locale (activités associatives, culturelles, sportives avec d’autres locaux) et de créer du lien ».[6]
Toutefois, cette mise en place n’est pas aisée. Les modes d’habiter alternatifs, ont nécessairement des rapports multiples avec les institutions, au premier rang desquels ont trouvent les collectivités locales. On peut prendre l’exemple de l’habitat léger, qui permet d’avoir une empreinte très légère sur les territoires et les écosystèmes et qui est pourtant très contraint par la loi. En témoignent les travaux de l’association HALEM. Les installations d’écolieux font aussi parfois craindre une sorte de gentrification des espaces ruraux. En effet, sur 10 écolieux et 120 personnes interrogées, plus de la moitié des personnes interrogée ont un Bac+ 5 et un revenu supérieur à 2000 euros[7]. Pourtant, dans un contexte rural où les habitants connaissent de grandes difficultés sociales et économiques, certains écolieux cherchent à monter des projets de solidarité en partenariat avec les associations alentours et avec les institutions locales.
La nécessité de prendre en compte cet enjeu socio-économique afin de ne pas reproduire les inégalités du monde métropolitain capitaliste, ainsi que la nécessité de penser l’accueil pour « n’abandonner personne à l’enfer du béton »[8], est un chantier de réflexion au sein des EGPU.
Bifurquer politiquement, ré-empaysanner culturellement.
Les écolieux ainsi que les autres expériences de vie plus écologiques qui cherchent à se défaire des rythmes métropolitains sont constitutifs d’une alter-ruralité[9]. Cette alter-ruralité est comprise comme un processus de transformation des territoires qui engagent des nouveaux arrivants et des personnes déjà installées dans une transition des formes de vie.
Cela pourrait se comprendre à travers un triptyque : Habiter autrement la Terre, coopérer directement par le faire et autogérer sa vie de manière solidaire. C’est ce qu’identifie Guillaume Faburel dans ses ouvrages par la mise en lumière d’engagements écologiques. Mais également d’autres chercheur·euse·s dans la mise en lumière de diverses formes de vie autonomes. Ces engagements aujourd’hui se multiplient bien au-delà des espaces des écolieux. A l’échelle nationale, les espaces de cette alter-ruralité permettent de dessiner une géographie alternative du bien-vivre aujourd’hui en France. Par la mise en réseau de ces lieux et en suivant un maillage territorial des petites villes de proximité, villages et hameaux (50 000 lieux), nous pouvons figurer la mise en place d’une société écologique post-urbaine. L’enjeu d’une telle géographie alternative, celle de l’alter-ruralité, est de faire place aux espaces ruraux re-habités qui mettent en évidence les installations de néo-paysans, de néo ruraux, mais aussi le changement initié par certains ruraux pour sortir des modèles agricoles productivistes et des formes de vie métropolisées.
Il faut mettre en lumière ce phénomène alter-rural, dans lequel les écolieux ont leur part. Cette géographie alternative à la métropole, dans laquelle s’ancre un réempaysannement de nos sociétés, nous permettra dès demain de mettre en œuvre les bases d’une société écologique post-urbaine.
Ewa Chuecos, doctorante en géographie au laboratoire Triangle à Lyon, travaille sur les questions d’autonomie et d’habiter écologique dans les écolieux.
Victor Babin, doctorant en géographie au laboratoire Triangle à Lyon et au laboratoire Cresson à Grenoble, travaille sur les formes de vie alternatives et rurales.
[1] INSEE, Tableau de l’économie française, éditions 2020, Cliquez ici
[2]« Exode urbain, une mise au vert timide », France Stratégie, Note d’analyse n°122, juin 2023, Lien ici
[3] Guillaume Faburel, Les métropoles barbares, Le passager clandestin, 2018, p. 299
[4] Diana Leafe Christian, 2015, Vivre autrement. Écovillages, communautés et cohabitats, traduit de l’anglais par Sylvie Fortie, Écosociété.
[5] L’Huilier Hélène, Argoud Fanny, EZVAN Cécile, Renouard Cécile, Cottalorda Pierre-Jean, Raynal Juliette, 2022. Construction d’un indicateur de capacité relationnelle dans les écolieux et application à 10 lieux. 45 page Lire ici
[6] ibid
[7] L’Huilier Hélène, Argoud Fanny, EZVAN Cécile, Renouard Cécile, Cottalorda Pierre-Jean, Raynal Juliette, 2022. Construction d’un indicateur de capacité relationnelle dans les écolieux et application à 10 lieux. 45 page Cliquez ici
[8] « N’abandonner personne à l’enfer du béton ! Post-urbain et question sociale », Société écologique du Post-Urbain, Cliquez ici
[9] Parmi d’autres exemple les expériences rapportées par Clara Breteau sont éclairantes de cette alter-ruralité. Clara Bretau, Les vie autonomes, une enquête poétiques, Actes Sud, Arles, 254 pages.
0 commentaires