ÉDITO DU 26 JUILLET 2023

par | 26 Juil 2023 | Editos

« Ben où est l’eau ? » s’interrogeait Obélix assis au fond d’une piscine vide après qu’il y eut plongé. « Elle est sortie quand tu es entré, Obélix. Il n’y a pas de place pour vous deux là-dedans ! » lui répondit Astérix. Presque 60 ans après les héros gaulois d’Uderzo et Goscinny, c’est un peu dans ces termes que se pose la gestion de la ressource en eau dans nos sociétés modernes : d’une part, une concurrence défavorable entre un stock en apparence abondant (l’eau de la piscine) et des acteurs trop puissants et lourds bien qu’aux abords sympathiques. D’autre part, une artificialisation du réservoir (la piscine) qui en limite la capacité. Le phénomène de concurrence sur l’eau s’illustre parfaitement avec le cas des usines Soitec et STMicroélectronics, fabricants de puces électroniques dans la vallée du Grésivaudan, qui consomment près de 29 000 m³ d’eau par jour, soit l’équivalent de la ville de Grenoble toute entière et dont l’État finance l’agrandissement (voir l’article de Vincent Peyret). Un collectif de citoyens s’y oppose comme d’autres s’opposent sur le territoire national à des projets industriels ou agro-industriels accapareurs de l’or bleu et c’est tant mieux.

La Loire asséchée… Crédit Ouest France

Mais si les réserves d’eau sont mal réparties car objet de convoitise entre divers usages publiques et privés, leur problème supplémentaire est qu’elles peinent à se reconstituer. En effet, comme le reconnaît le ministre Béchu, 68 % des nappes phréatiques se trouvent à un niveau en dessous des normales de saison. Toutefois, le réchauffement climatique et la réduction des précipitations n’expliquent pas à eux seuls cette baisse des réserves en eau car entre le ciel et les nappes souterraines il y a les sols dont la capacité de rétention considérable (phénomène de l’éponge) est largement mise à mal par deux phénomènes convergeant : leur imperméabilisation (ou bétonisation pour être plus clair) et l’appauvrissement des terres végétalisées, agricoles et forestières en particulier. Le chercheur indépendant Laurent Denise, spécialiste du cycle de l’eau, considère pour sa part que les fleuves et rivières renvoient 70 % des eaux de pluie à la mer alors que les sols en retiennent 30 % , tandis que ce devrait être l’inverse. L’urbanisation galopante est pour une grande part responsable de ce ruissellement massif (autrement plus réel que celui de la richesse économique sur les populations). D’après un rapport de la Cour des Comptes de 2020, c’est l’équivalent d’un département comme la Charente, le Var ou le Nord qui aurait été artificialisé depuis 10 ans (voir l’article de Toinon Debrenne). Quant aux sols agricoles, leur capacité de rétention d’eau est considérablement réduite par la baisse du taux d’humus (matière organique), une mécanisation lourde (labours profonds, tassement et création de semelles de labour), le drainage des zones humides, l’arrachage des haies, etc. Tout cela contribue à l’asséchement de surface et in fine à la baisse du niveau des nappes.

Heureusement, face à l’urgence de faire face au dérèglement climatique et aux alternances entre sécheresses et inondations, des initiatives se prennent ici et là. Des paysans soucieux de préserver leur écosystème de vie et de travail, mettent en œuvre de nouvelles pratiques agricoles comme l’agroforesterie ou le «  Keyline design » (Cultiver suivant les courbes de niveau, voir l’article de Jean-Pierre Chafes). Des élus de communes rurales se mobilisent pour préserver des zones humides comme à Bretoncelles, dans l’Orne (voir l’article de Toinon Debrenne). Même l’État prend la mesure du problème et a posé dans sa loi Climat et résilience un objectif de Zéro artificialisation nette (ZAN)… d’ici 2050. Une chose est sûre : il ne faudrait pas attendre les prochaines décennies pour prendre des mesures politiques fortes si on veut que l’eau continue de couler régulièrement sous les ponts et à nos robinets et d’irriguer nos campagnes jusque dans nos assiettes. Il faudra pour cela réviser radicalement nos pratiques agricoles, nos modes de vie et nos modes de villes.

Les ruralités auront leur mot à dire car elles sont sources et ressources de solutions. Ce sera le thème de notre prochain dossier.

Nicolas Chomel

Président de Graines d’Avenir et directeur de la publication

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