L’agri culturel à la sauce Chaise Rouge

par | 9 Mai 2023 | Ruralité

Une troupe de théâtre a élu domicile dans une ferme angevine toujours en activité, il y a plus de trente ans. Lever de rideau sur cette expérience inédite.

La casquette du dimanche, un des spectacles produits et diffusés par Les Chaises rouges. Crédit L

Une chaise rouge plantée à 3 mètres du sol au milieu d’un rond point. Combien d’automobilistes ayant emprunté l’axe Angers-Rennes au niveau de Pouancé, un bourg de Maine-et Loire qui n’atteint pas les 9000 habitants, se sont demandés quelle pouvait bien être cette idée farfelue ? Ou en tout cas à qui cette œuvre pour le moins saugrenue pouvait rendre hommage en plein cœur de la campagne angevine ? L’explication est en fait à quelques kilomètres de là, au lieu-dit de l’Herberie. C’est là en effet, en surplomb de l’étang de Saint-Aubin, que l’on découvre un ensemble de bâtiments pour certains construits au Moyen-Age et qui abritent aujourd’hui une auberge et une ferme. Et surtout un théâtre où… la compagnie Patrick Cosnet a élu domicile en 1991. C’est d’ailleurs le fondateur de la troupe qui nous accueille et nous donne enfin l’explication tant attendue. « Une chaise parce que c’est fait pour s’asseoir, pour parler, pour échanger, réfléchir, écouter et vivre ensemble. Le rouge parce que c’est la couleur du spectacle, des fauteuils de théâtre. On a utilisé la chaise rouge une première fois en 2009 pour une affiche du festival Quartiers en scène de Rennes qu’on co-organisait et elle est restée ». Au point d’avoir donné son nom à ce lieu où culture et agriculture se sont unis pour le meilleur depuis 30 ans. A l’image de Patrick Cosnet, trait d’union entre les deux univers et dont l’histoire débute dans la ferme familiale de la Quinte, dans la Sarthe, avant de se continuer (et de se dérouler aujourd’hui encore) sur les planches du théâtre de la Chaise rouge.

Patrick Cosnet, de la ferme aux planches de théâtre

Fils, petit-fils et arrière petit-fils d’agriculteurs, titulaire lui-même d’un BTAG obtenu au lycée agricole de Laval, Patrick semble pourtant vouloir perpétuer la tradition quand il s’installe en 1979 comme producteur laitier à Pouancé. Sauf que le ver… de la culture est déjà dans le fruit ! « Grâce à l’enseignement socio-culturel dispensé dans les lycées agricoles, j’ai en effet découvert la photo, le théâtre, mais j’ai surtout appris à regarder et à écouter ». Une appétence pour l’art et une curiosité pour le monde qui l’entoure que le jeune agriculteur va bientôt révéler au grand jour en écrivant et en jouant son premier spectacle, « la Casquette du dimanche »« C’était en novembre 1991, dans le cadre du festival Graine de curieux organisé par la ville de Pouancé, au petit théâtre à l’italienne du centre bourg. La mise en scène était de Jean-Luc Placé, un professeur de français du coin, et la musique de Jacques Montembaut, le directeur de l’école de musique locale. Quand à l’histoire, c’est simplement celle des gens au milieu desquels je vivais. A cette époque-là, j’avais un break et c’était moi qui était chargé d’amener les morts au cimetière. Et c’est cette journée d’enterrement en milieu rural que je raconte, en jouant toute une série de personnages que je rencontrais au fil de ma tournée, de la maison du défunt jusqu’à sa dernière demeure ». Jouée dans un deuxième temps dans la salle de restaurant de l’Auberge de l’Herberie qui vient de se créer, « la Casquette du dimanche » connaît également le succès à Angers (au Centre Dramatique national), mais aussi à Paris où Patrick Cosnet est à l’affiche pendant trois mois au Lucernaire ! Sans que cela ne lui fasse perdre la tête. « J’ai rencontré beaucoup de monde pendant cette période et j’aurais certainement pu faire carrière. Mais je me suis rendu compte que le show-biz ne m’intéressait pas et que j’étais mieux chez moi. Et puis cette reconnaissance m’a parfois paru teintée d’une certaine forme de mépris dans le sens où les gens, admiratifs certes, semblaient en même temps surpris qu’un paysan puisse faire ça » !

L’incroyable offre des « Fonds de terroir »

De retour « dans sa campagne », Patrick décide cependant de se consacrer au théâtre et prend un ouvrier pour le remplacer auprès de ses vaches laitières. Puis quitte carrément le GAEC en 1995. Fondateur puis directeur artistique de la Compagnie Patrick Cosnet qui réunit aujourd’hui une douzaine d’artistes (à 80% de Pouancé et des alentours), il rejoint parallèlement l’association « Les Fonds de terroir » dont le but est de « créer et diffuser des spectacles professionnels et des actions culturelles ». Une collaboration fructueuse puisque, le paysan-dramaturge (ou dramaturge-paysan) va écrire en un peu plus de deux décennies une douzaine de spectacles (essentiellement des pièces de théâtre), mais va surtout contribuer à faire d’un petit coin de campagne angevine un centre culturel de tout premier plan.

Géré et dirigé par les « Fonds de Terroir », le Théâtre de la Chaise Rouge voit en effet sa programmation croitre au fil des ans jusqu’à proposer désormais une soixantaine de représentations chaque saison (d’une quinzaine de spectacles différents) faisant le bonheur de milliers de spectateurs. « Et pourtant 60% ne viennent au théâtre qu’ici » tient à préciser Patrick Cosnet convaincu que c’est « avant tout parce qu’ils se reconnaissent dans les personnages et parce que les thèmes abordés dans les pièces qu’on joue au Théâtre de la Chaise Rouge leur parlent ». Et si les « Fonds de Terroir », forts de ce succès, ont souhaité diversifier l’offre culturelle sur le site historique de l’Herberie, avec des stages de théâtre pour seniors (les stages hors d’âge) et des conférences de l’Université Populaire de la Chaise Rouge, l’association rayonne aussi désormais au-delà.

La commune nouvelle d’Ombrée-en-Anjou a ainsi délégué aux « Fonds de Terroir » la gestion du théâtre à l’italienne de Pouancé. Un lieu un brin désuet mais qui vit une deuxième jeunesse grâce aux ateliers de théâtre pour petits (« La Pépinière ») et grands (« L’atelier du samedi »), représentations théâtrales, séances de cinéma, concerts et autres résidences de troupes qui se succèdent tout au long de l’année. Autre organisation « made in Fonds de Terroir », le festival « Ombrée Lumières » s’invite depuis 2021 aux quatre coins d’Ombrée-en-Anjou, dans les communes déléguées de Combrée, Bel-Air, Tremblay…, dans les établissements scolaires, dans des salles des fêtes. Avec un seul mot d’ordre s’évader grâce aux artistes, qu’ils soient danseurs, musiciens, acteurs, humoristes ou chanteurs. Qu’ils soient du coin ou d’ailleurs.

« Fermes en scène », un exemple

Mais s’il est une action qui montre bien les liens indéfectibles qui doivent unir, selon Patrick Cosnet, le monde rural et celui du spectacle vivant, c’est bien le festival itinérant « Fermes en scène ». Depuis 19 ans, de mai à septembre, la compagnie parcourt en effet la France rurale (jusqu’à 6000 km en 2012 !) pour aller jouer dans les fermes, où est installée à chaque représentation une remorque transformée en scène de théâtre et amenée jusque-là grâce aux tracteurs des paysans ! « C’est non seulement l’occasion de faire venir à la ferme et de faire se rencontrer villageois, citadins, artistes et agriculteurs, mais c’est aussi une façon de rendre le théâtre accessible à un public qui ne s’y rend pas forcément » se réjouit celui qui malgré ses 66 printemps aime toujours autant faire le lien entre les deux mondes. Une traduction dans les faits puisqu’il est actionnaire principal de la SAS des Amis de l’Herberie, propriétaire de tous les bâtiments du lieu-dit où sont installés – outre l’Auberge et le Théâtre – deux exploitants agricoles, la bergère Bernadette Brunet avec ses moutons et ses cochons bios, et depuis 2018, Emeric Denis à la fois maraicher et producteur d’œufs… bio ! Mais aussi dans son cœur. « Mon métier d’agriculteur me manque. Surtout au printemps. Et il m’arrive même parfois de me réveiller la nuit en imaginant que mes vaches manquent d’eau » confie dans un sourire celui qui avoue également qu’il n’aurait pas autant d’idées pour ses pièces s’il habitait ailleurs. Et quelle meilleur façon d’en être définitivement convaincu que d’aller voir sa dernière création « L’arbre qui plantait les hommes » !

Infos pratiques

La Chaise Rouge – La haute Herberie, Pouancé – 49420 Ombrée-d’Anjou / Tél : 02 41 92 62 82 / Courriel : contact@lachaiserouge.fr / https://lachaiserouge-compagniepatrickcosnet.com

Théâtre – Association Les Fonds de Terroir – Cie Patrick Cosnet – 36 rue de la Libération, Pouancé – 49420 Ombrée d’Anjou / Tél : 02 41 92 57 08/ Courriel : asso.fondsdeterroir@gmail.com

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